Adieu parfumé

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Jimmy parti, Léto se précipita dans sa chambre. Elle n’entendit même pas son ami s’éloigner de la porte d’entrée en chantant de joie. Un sentiment d’urgence l'avait saisi et elle ne pourrait se reposer qu’une fois qu’elle lui aurait obéi. Elle escalada à nouveau sur son lit pour fouiller dans les cartons perchés le haut de son armoire. Elle sourit quand elle trouva l’objet de sa recherche : une vieille théière ébréchée par la vie, dont le vernis brunit par le temps donnait l’étrange impression qu’elle était ridée. De retour dans le salon, la jeune femme saisit une feuille de papier et un stylo. Elle ne prit pas le temps de s'asseoir à la table ronde. Elle se mit à écrire à même le parquet délavé. Les mots se dessinaient sur la surface lisse de la feuille, et semblaient couler du stylo tanguant entre les mains de sa propriétaire. La jeune femme resta dans cet état de transe quelques minutes encore. Ses pensées tournoyaient et virevoltaient, provoquant un tsunami d’émotions se déversant sur la page. Léto s’arrêta soudainement, et, avec une appréhension toute particulière dans le regard, fixa la feuille un long moment. Ces mots qui noircissaient et souillaient cette surface exempte de tout défauts l'effrayaient. Mais elle avait enfin réussi à les exorciser de l’intérieur d’elle-même.

Léto se redressa, et alla chercher sa boîte à encens et un briquet. Elle prit avec elle la théière et la feuille, et s’agenouilla sur son tapis ensoleillé, dispersant tous ces objets autour d’elle. Fermant les yeux, la jeune femme détacha son chignon négligé, laissant tomber sur ses épaules ses longues locks. La sensation de leur lourdeur sur ses épaules fut comme une brûlure. Elle ne les avait pas lâchés depuis le jour où elle l’avait quitté. La jeune femme saisit la feuille, prit une grande inspiration, puis lut à voix haute :

Caleb,

Ce 13 décembre, quand, ma main dans celle de mon père, j’ai gravi les marches jusqu’à l’autel, je pensais réellement que ma vie serait enfin parfaite.

J’allais quitter l'étouffant contrôle de ma mère, et vivre pour toujours avec l’amour de ma vie. Tu étais tellement beau dans ton smoking brun en velours. Ta peau noire scintillait, ton sourire garni de perles blanches m’hypnotisait.

J’ai beaucoup pleuré de joie, ce jour-là. Du haut de mes dix-huit ans, je réalisais mon rêve de petite fille. Celui de vivre en harmonie avec mon prince charmant, celui qui me délivrait du méchant dragon me retenant captive dans ma tour. Comment aurais-je pu comprendre qu’en passant cette alliance à mon doigt, tu me menottais à toi pour toujours ?

Cet amour empreint de beauté est devenu ma prison. Dès que les portes de notre nouveau cocon se sont fermées, tu n’as plus été le même. Tes mots sont devenus tranchants. Tes gestes douloureux. Tu resserrais un peu plus chaque jour ton emprise sur moi. Quand je me suis rendue compte que j’avais quitté un enfer pour un autre, il était trop tard. Je ne pouvais pas retourner dans celui que j’avais quitté. Et tu le savais parfaitement. Tu en as joué pour me maintenir captive.

Quand cinq années plus tard j’ai eu le courage de m’échapper de cette nouvelle tour, tu m’as menacé de mort. Alors les derniers espoirs de retrouver l’homme que j’avais tendrement aimé se sont envolés, et j’ai su qu’il fallait que je t’échappe, à tout prix.

Tu es cruel, Caleb. Narcissique, égoïste, dur, violent, machiavélique. Mais tu m’as appris une chose. Tu m’as appris ce que n’étais pas l’amour. Et je sais à présent le distinguer parmi toutes ses contrefaçons.

Je te dis mes derniers adieux.

Léty

Une fois les derniers mots de la lettre prononcés, Léto la reposa sur les mailles colorées du tapis. Elle prit son téléphone et se mit à la recherche de la chanson la plus adéquate pour ce qu’elle s’apprêtait à faire. Une fois qu’elle l’eut trouvé, elle augmenta le volume au maximum, puis appuya sur play.

I wonder why suddenly I can fly

No one can shake me now

And there were times you'd take me high to break me down

Then I'd come back around

Léto prit délicatement la feuille, la plia en deux, puis la plaça dans la vieille théière brune. Elle saisit alors un bâton d’encens, et l’alluma à l’aide du briquet. Une fois l’extrémité du bâton embrasée, elle lui fit toucher le coin de la feuille. Celui-ci fuma timidement d’abord, puis de légères flammes apparurent et se mirent à dévorer le papier. Léto, immobile, observa le spectacle en silence, écoutant la voix angélique s’échappant du micro de son téléphone portable.

Ooh, I'm starting from the inside

Stick your chin up, see if you are satisfied (satisfied)

Take a look in the mirror and decide

Put a grin up even when you wanna cry

Take a look in the mirror

Les mots portant en eux des vérités douloureuses s’échappaient de cette vieille théière sous la forme d’épaisses volutes. Cette fumée nauséabonde se mêlait à l’odeur ambrée dégagée par le bâton d’encens brûlant toujours dans les mains de la jeune femme. Pendant que celle-ci s’élevait dans l’air humide de cette jungle qu’elle avait plantée de ses propres mains, le cœur de Léto s'allégeait peu à peu. Un filet de larmes coulait le long de ses hautes pommettes, et le cours de ses pensées repris. Elle pensa à son mariage. Au sourire de l’homme à qui elle avait donné son cœur quand elle lui avait dit oui. Leur première nuit ensemble. Les mots qu’ils s’étaient partagés en secret.

Even when you wanna cry, take a look inside

Let no one kill your pride even when they try to

(Dry all your tears up)

Dry all your tears up, see yourself clearer, you are the way

Les derniers espaces de blancheur se consumèrent en cendres. Léto resta assise sur ses genoux, ne déviant pas le regard de ces particules noires. C’était fini. Les derniers liens qui la liaient à cet homme avaient été détruits. Elle pourrait vivre à nouveau. Rire à nouveau. Respirer à nouveau. Apprendre à nouveau. Aimer de nouveau. A cette pensée, la jeune femme esquissa un sourire. Elle prit le couvercle de la théière, et ferma le récipient.

Don't deny yourself from nothing, it's not worth it

I love me from the inside out

Stick your chin up when you're in doubt

Yell your name from the inside out

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