Un claquement de talon sur le sol

5 minutes de lecture

“ Dites-moi, Léto, commença la thérapeute. Qu’est-ce que ça vous fait d’être ici ?

Léto ne répondit pas tout de suite. En fait, il lui semblait qu’elle ne comprenait pas la question. Elle osa un coup d'œil à la fois discret et inquiet à son père. Dennis hocha doucement la tête.

_ Je suis là… Enfin, nous sommes là, se reprit Léto, à cause de moi.

La jeune femme ponctua sa phrase d’un regard, cette fois-ci plus soutenu, destiné à sa mère. Celle-ci choisit de l’ignorer. Cela déclancha en elle une douleur qu’elle ne connaissait que trop bien. Léto fille pouvait sentir son malaise d’où elle était. Il se lisait dans le bout de ses manches tirées vers ses paumes, ou dans le tressautement intempestif de son talon qui ne claquait pourtant jamais sur le sol. Le seul ayant l’air détendu était Dennis, mais Léto savait bien que c’était une façade. Une façade acquise après de longues années à s’exercer à la neutralité.

_ Je crois que je n’ai pas été assez claire, reprit la thérapeute. Pardonnez-moi. Ma question ne portait pas sur le pourquoi de votre présence ici, mais sur ce que cela vous fait ressentir.

Il y eut un autre instant de silence. Mais cette fois-ci, le talon de Catherine claqua au sol.

_ Je suis soulagée. Et en même temps terrifiée. Et aussi honteuse. Mais surtout soulagée.

Léto avait tenté de prononcer cette phrase en regardant la thérapeute dans les yeux. C’était une femme d’un certain âge. Son carré soigné qui semblait être comme une couronne blanche et argentée posée dignement sur sa tête encadrait un visage aux traits fins et creusés. Mais dans ce visage tout en raideur, un regard bienveillant semblait chanter “Bienvenu” à chaque fois qu’il se posait sur quelqu’un.

_ Catherine, dit la thérapeute sans rebondir sur ce qu’avait dit Léto, savez-vous pourquoi nous sommes ici ?

Le talon de Catherine claqua une nouvelle fois sur le sol. Cela ne faisait même pas dix minutes qu’ils étaient entrés dans cette pièce mais elle ne le supportait déjà plus. Tout dans cette situation la déplaisait : le ton faussement bienveillant de cette thérapeute et ses questions idiotes, entre autres.

_ Nous sommes tous présents aujourd’hui car ma fille ne va pas bien et que sa thérapeute nous a fortement conseillé d’entreprendre une thérapie familiale. Mais je crois que vous le savez déjà. Alors si nous pouvions commencer cette dite thérapie plutôt que de s’encombrer de mondanités inu…

_ Ce que veut dire mon épouse, interrompit Dennis qui avait compris déjà depuis quelques minutes que Catherine était déjà en train d’atteindre ses limites, c’est que nous sommes là pour Léto. Il semblerait que ce soit nécessaire pour l’aider à guérir. Une nouvelle fois.

Léto ne put s’empêcher de grimacer à cette précision. “Une nouvelle fois”. La jeune femme savait bien qu’on ne guérissait jamais totalement d’une dépression. Il y a toujours un risque de rechute exacerbée par les vulnérabilités que le précédent épisode a laissées. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de sentir le goût amer de l’échec envahir sa bouche. Ou bien s’était peut être une nouvelle fois celui du sang qui lui signifiait qu’elle s’était mordue les lèvres avec trop d’intensité.

_ J’ai rechuté il y a environ deux mois. Pourtant tout semblait aller mieux. J’avais déménagé, ouvert mon cabinet. J’allais aussi entamer une nouvelle relation mais…

_ Mais vous avez appris les causes de votre abandon par votre mère.

Catherine bondit à ses mots. C’en était trop pour elle. C’était exactement la raison pour laquelle elle ne voulait pas venir. Elle n’avait pas besoin qu’on lui fasse la morale sur ses choix de vie ni sur ce qu’elle avait vécu. Bon sang, qui étaient-ils tous pour la juger ainsi ?

_ Excusez-moi mais je n’ai pas “abandonné” ma fille, cracha Catherine avec tellement d’animosité que Léto en trembla presque. Je l’ai confié à sa tante. Et j’en ai plus que par-dessus la tête qu’on me répète à longueur de journée que je suis une mauvaise mère et que j’ai abandonné ma fille.

_ Personne n’a dit que vous étiez une mauvaise mère Catherine, se contenta de répondre calmement la thérapeute.

_ Ha ! Personne ne le formule peut-être, mais tout le monde le pense tellement fort que je peux l’entendre sans être télépathe. Il n’y a que les mauvaises mères qui abandonnent leur enfant !

Léto était figée sur place. Elle s’était même arrêtée de respirer. Les colères de sa mère l'effrayaient toujours autant. Elle qui pensait avoir fait des progrès dans la manière de les supporter, il lui semblait qu’elle avait fait des dizaines de pas en arrière. Elle ne s’y ferait jamais. Sa mère la terrifiait.

La thérapeute ne répondit pas. Elle choisit une nouvelle fois de ne pas répondre pour interpeller Denis.

_ Dennis, j’aimerai avoir votre ressenti. Qu’est-ce que ça vous fait d’être là, à vous ?

Léto surprit son père jetant un regard anxieux à sa mère. Elle bouillonnait de rage. Si la thérapeute continuait de l’ignorer, elle ne mettrait pas longtemps à quitter le cabinet en claquant la porte. Dennis finit par répondre après un bref instant d’hésitation.

_ Je crois… Je crois que… que je partage le soulagement de ma fille. Je pense que ça lui fera du bien.

_ Et à vous, demanda la thérapeute, est-ce que ça vous fera du bien à vous ?

Il ne répondit pas, désarçonné. Il ne savait pas quoi répondre, tout simplement parce qu’il n’était pas venu pour lui. Léto était tout ce qui comptait. Sa fille n’allait pas bien, une nouvelle fois. Alors il était prêt à tout pour qu’elle aille mieux. Il ne s’était pas posé la question. C’était comme ça.

_ Je crois… Je crois que oui, ça me ferait du bien. Si ma fille va bien, alors oui j’irai bien. C’est ma fille vous savez, alors oui, je crois que ça me ferait du bien.

La thérapeute acquiesça puis se tourna de nouveau vers Catherine qui était restée debout.

_ Et vous, Catherine, est-ce que cela vous ferait du bien ?

Catherine ne répondit pas non plus. Elle ne répondit pas, car elle savait que des sanglots l’envahiraient à l’instant même où elle ouvrirait la bouche.

_ Vous posez des questions idiotes.

_ Vous êtes doctorante et vous ne manquez pas de qualité de réflexion. Pourtant, vous fuyez les questions idiotes. Ce n’est pas ce qu’on pourrait attendre de vous, Catherine.

Léto jeta un regard désespéré à son père. Mais il paraissait lui-même trop happé par le brouillard anxieux qui avait pris possession de la pièce pour s’en rendre compte. Il s’apprêtait à intervenir quand son épouse le surpris.

_ Oui, lâcha finalement Catherine. Je crois que ça nous fera du bien. A tous les trois.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Sunniest_Child ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0