Chapitre 10 - 2

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Deux jours plus tard, Rosalie découvrit un bouquet de fleurs sur son palier. Des roses, évidemment, aux pétales d'un blanc éclatant. Elle pensa à l'un de ses amis, sans doute désireux de lui souhaiter un bon rétablissement.

Il n'y avait pas de lettre, juste une carte de visite. Rosalie fut surprise d'y découvrir la boutique du fleuriste l'ayant menée à la soirée des mages industriels. La jeune femme retourna le carton au dos duquel figuraient la date du jour ainsi qu'un horaire, pour cet après-midi.

Elle eut le fol espoir de recevoir des nouvelles de ses parents. Leurs échanges dans les journaux s’étaient faits de plus en plus rares ces derniers mois. Avec Astrance en pleine guerre contre la couronne et les enchères, elle serait moins encline que d’ordinaire envers ceux qui commettaient des fautes. Jasmine et Pyrius craignaient sans doute sa réaction s’ils étaient découverts.

Rosalie se dépêcha de terminer ses travaux de magie en cours. Quelques heures plus tard, elle sautait dans le train, Léni dans sa sacoche. Depuis son accident, l’automate refusait de la laisser sortir seule. Dans le wagon, il passa sa petite tête au-dehors de la poche qu’il s’était choisie, dévisageant les autres voyageurs avec fascination – du moins Rosalie le supposait-elle, son expression étant toujours la même.

Face aux bâtiments des quartiers chics et la fleuristerie, Léni se pencha bras tendu. Pour l’occuper, Rosalie lui donna un pétale tombé au sol.

– Vous voilà !

Le fleuriste surgit de derrière son comptoir.

– Votre commande est derrière, venez.

Rosalie le suivit, pas très étonnée qu’il soit pressé. En ces temps, être vu avec des magiteriens pouvait être mauvaise publicité. L’homme la fit entrer dans une réserve, éclairée d’un abat-jour recouvert de vert-de-gris.

Une silhouette au visage recouvert d’un châle sortit de l’ombre. Elle retira son voile, les coins des yeux humides.

– Ma petite Rose.

– Maman !

Rosalie se jeta dans les bras de sa mère. Elles s’étreignirent longuement, jusqu’à ce que des crampes de les obligent à se séparer. Rosalie essuya ses joues mouillées de larmes, imitée par Jasmine.

La mage n'aurait pas pensé s'émouvoir autant. Elle s'était habituée à l'absence de ses parents – sans l'accepter complètement, réalisa-t-elle.

Mère et fille s’assirent l’une contre l’autre, à même le sol.

– Tu as encore convaincu ton client de t’aider ?

– En échange de quelques fleurs passées sous le manteau. Nous avons réduit les ventes, telles que l’a ordonné Astrance…

Jasmine laissa échapper un soupir las.

– Je ne suis pas d’accord avec tout ça. Mais je n’ai toujours pas le courage de lever la voix.

– Comment as-tu fait pour venir jusque-là sans subir un interrogatoire ?

– Ta grand-mère préside l’assemblée magiterienne, assistée de Violine. Et Azale n’est pas franchement très malin.

Rosalie eut un rire nasal. Azale était si habitué à être dans l’ombre de sa tante qu’il ne s’était jamais donné la peine de réfléchir par lui-même. Enfant, Rosalie n’avait eu besoin que de quelques mensonges pour qu’il la laisse piocher à loisir dans la réserve de bonbons.

En tant qu’ainé de la génération suivante, il devenait le prochain patriarche BasRose, promettant un avenir bien incertain pour leur famille. Rosalie aurait dû être la suivante sur la liste, mais son départ offrait la place à Violine, sans aucun doute ravie.

Nul doute qu’elle dirigerait son père comme une marionnette selon les principes d’Astrance. Preuve en était la présence de la jeune femme à l’assemblée.

Deux à trois fois dans l’année, les matriarches et patriarches des familles magiteriennes se réunissaient dans un cratère naturel, à même le sol. Ce même cratère où un éclat de Lune serait soi-disant tombé et dont une partie du sol s’avérait être une imposante plaque, faite d’un patchwork de divers métaux fondus. Une œuvre ancestrale réalisée des siècles plus tôt, en hommage à la Lune. Des dessins et motifs la représentant en remplissaient chaque carreau.

Les familles avaient toujours fait en sorte de s’accorder dans leurs actions et leur politique, notamment pour ce qui était de faire barrage contre les mages industriels. Chaque famille ayant sa propre spécialité, il n’y avait pas de concurrence et aucun intérêt à se faire la guerre.

– Astrance semble déterminée à s’opposer à la royauté. Mais elle ne gagnera pas, il est trop tard. Le progrès est bien trop installé.

C’était davantage une affirmation qu’une remarque. Mais les faits étaient là : les magiteriens étaient vouées à disparaître. Leur magie devenue inutile, ils deviendraient de simples exploitants comme les autres. Les nouvelles générations ne verraient plus d’intérêt à enseigner les arts magiteriens à leurs enfants, qui finiraient par oublier cet héritage. Ils déserteraient les manoirs, transformés en maisons de campagne et épouseraient des habitants de la capitale. Leurs noms si symboliques se perdraient ou ne signifieraient plus grand-chose. Rosalie ne voyait aucun autre avenir possible. L’acharnement d’Astrance n’était plus qu’une question d’honneur, un moyen de continuer à se faire remarquer, pour ne pas tomber dans l’oubli.

– Je ne veux pas parler de ta grand-mère, objecta Jasmine. Mais de toi.

Rosalie raconta tout. Sa vie au quotidien, Mona, et surtout, son travail auprès d’Amerius, un homme différent des autres, qui ne se contentait pas de diriger. Il écoutait. C’était le genre de personne à qui on n’avait jamais peur d’avouer ses fautes ou difficultés. Il participait régulièrement aux conférences ou rencontres entre mages industriels et n’oubliait jamais d’emmener Rosalie avec lui. La jeune femme s’était fait un petit carnet d’adresses parmi ses confrères. Certains l’avaient même reconnue, depuis sa démonstration à la soirée d’anniversaire l’an dernier.

Sans doute vexé d’avoir été oublié, Léni tira sur la robe de Rosalie. Jasmine fut émerveillée par le petit automate. Ce dernier mit ses mains devant son visage, comme s’il rougissait. Il fila vers les étagères de la réserve, farfouillant parmi les caisses de fleurs coupées.

Jasmine se leva soudainement.

– Je vais devoir y aller. Azale est peut-être un imbécile, mais c’est un vrai rapporteur, que ton père ne pourra pas retenir longtemps. Si je m’absente trop longtemps, Astrance viendra me demander des comptes.

Rosalie était déçue que sa mère doive déjà s’en aller, mais préféra ne pas le montrer, pour lui éviter davantage de peine.

– Ton père me fait dire qu’il t’aime. À l’avenir, si tu souhaites nous écrire, j’ai acheté une boîte postale à quelques rues de là. Je passerai relever et déposer le courrier aussi souvent que possible.

Elle lui tendit l’adresse sur un morceau de papier. Mère et fille s’étreignirent de nouveau. Rosalie aurait voulu la retenir. Ses parents lui avaient bel et bien davantage manqué que voulu

Jasmine embrassa le front de sa fille, et remit son châle sur la tête. Rosalie récupéra Léni, qui refusa de lâcher le bouton d’or qu’il tenait et quitta la réserve à la suite de sa mère. Quelques clients étaient depuis entrés dans la boutique.

Le propriétaire les pressa de la quitter, d’un geste sec de la tête. Dans la rue, Rosalie voulut se retourner une dernière fois vers sa mère. Mais celle-ci était déjà loin.

Les légères blessures de Rosalie lui permirent de reprendre le travail à La Bulle. Elle y mettait plus d’énergie qu’en temps normal. Après avoir frôlé la mort, le besoin de vivre et de laisser une trace de son passage se faisait pressant.

– Rosalie ?

La jeune femme sursauta en entendant la voix d’Amerius. Elle ne s’y était pas attendue. Il arrivait parfois à son patron de s’absenter à l’improviste, pour plusieurs jours, avant de revenir tout aussi soudainement. Il avait cependant veillé à ce que son assistante soit assez formée pour se débrouiller seule.

– Je vous écoute.

– Vous êtes libre, le premier nafodard ?

Rosalie ne put retenir un sourire. Cette formulation lui en rappela une autre, le jour où elle avait rencontré Amerius. Elle ne put qu’y voir un signe.

– Oui, pourquoi ?

Amerius s’avança jusqu’à son bureau.

– J’ai en ma possession deux billets pour les enchères lunaires, ainsi que pour la conférence des frères Zevedan qui va suivre. Ce dernier point étant avant tout destiné aux mages industriels, je pensais que cela vous intéressait.

Rosalie resta mâchoire béante devant son patron. Même Léni avait cessé de jouer avec le pendule à billes du bureau.

– Je… euh, je… Oui ! Oui, ce serait… fantastique !

Les frères Zevedan ! La jeune femme ne les avait jamais revus, même de loin. Et elle allait assister à leur conférence ! Peut-être qu’Amerius les connaissait suffisamment pour qu’elle puisse échanger quelques mots avec eux ?

En fait, il était même certain qu’elle le pourrait. Si son patron s’avérait peu connu du grand public, au sein des mages, il était unanimement réputé comme un homme talentueux et éclairé – bien que paradoxalement peu loquace.

Rosalie s'était souvent demandé pourquoi un génie comme Amerius avait choisi un domaine aussi anodin que les jouets. Un jour, elle avait osé lui poser la question.

– Mon père voulait que j'exerce une haute profession, comme médecin ou avocat. Dès mes huit ans, il n'avait de cesse de me répéter de travailler et d'arrêter de me comporter comme un enfant. J'ai donc décidé que j'en serais un toute ma vie.

Rosalie avait ri face à cette sorte d’innocence. Le reste de ses paroles l’avait surprise et gênée.

– Je pense que je me suis reconnu en vous. Ce doit être pour cela que je suis venu à votre rencontre lors de cette soirée.

Rosalie avait bredouillé un merci et filé à son bureau, les joues en feu.

– Nos places sont réservées, mais il nous faudra être présents pour neuf heures, afin d’éviter le gros de la foule. Rendez-vous ici à huit heures.

– D’accord.

Amerius hocha la tête d’un air appréciateur avant de quitter la pièce. Rosalie le suivit du regard. Constatant qu’il quittait son propre bureau, elle se leva et hurla de joie.

Surpris, Léni tomba à la renverse, s’entremêlant avec les fils du pendule.

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