Chapitre 18

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Appartement de Rosalie BasRose, 21h37, 3 danubre de l'an 1900.

Rosalie avait beau savoir que du bois avait été dérobé par leur voleuse, elle ne se sentait pas plus avancée. Sa découverte n’avait été due qu’à la chance.

Elle avait le sentiment d’être inutile. Mener une enquête ne faisait pas partie de son champ de compétences. Peut-être que c’était cela qui lui manquait.

Ou qu’on attendait d’elle. Se servir de ses connaissances.

Rosalie soupira. Quelques jours plus tôt, elle aurait refusé de se mêler de tout cela, mais il avait suffi d’une découverte et de questions sans réponses pour la faire changer d’avis. Peut-être aimait-elle simplement les défis ? Elle n’envisageait pas de se lancer à la poursuite de leur ennemie, juste de réfléchir au comment.

Le bois avait dégagé de la fumée sans logique apparente. Rosalie se dirigea d’un pas décidé vers l’une de ses bibliothèques. Elle récupéra plusieurs manuels de magie industrielle, de même qu’un cahier de sortilèges magiteriens. Un objet que tous les enfants recevaient le premier jour de leur apprentissage. Ils y consignaient les sortilèges appris, mais surtout ceux qu’ils inventaient. Pour Rosalie, cette partie de l’ouvrage était restée vide.

La jeune femme étala les livres sur la table sans savoir par lequel commencer. Elle choisit le plus difficile, dont la police minuscule et resserrée pouvait décourager la lecture. Rosalie plissait les yeux sur la plupart des mots qui ressortaient flous. Ces derniers temps, lire devenait de plus en plus pénible. Il faudrait qu’elle songe à se procurer des lunettes pour le travail. Le livre ne lui apprit finalement rien.

Au terme d’un épluchage méticuleux, elle apprit seulement que la fumée était une conséquence du bois qui se consumait, à cause d’une exposition à une magie trop puissante. Le bois était sensible, mais fragile. Une fois qu’il commençait à brûler, il ne restait que quelques fragments.

Une magie trop importante donc. Quelle équation ou sortilège pouvait causer cela ? Les formules servant d’exemples dans le livre n’étaient pas du genre réaliste. Rosalie devait mener des recherches. Du côté de la magie de Terre, ce fut rapide. Son cahier comportait les sortilèges les plus puissants, mais Rosalie savait qu’ils n’allaient pas jusqu’à consumer du bois. Restait la magie industrielle. Autrement dit, une aiguille dans une botte d’autres aiguilles. La magie industrielle était une ressource au potentiel sans limites, si ce n’était l’imagination. C’était surtout le septième amendement qui servait de barrière – ainsi que le manque de méthode, mais le progrès ne cessait de se développer.

Après deux heures de recherches, Rosalie avait dressé une liste d’une quinzaine d’équations et procédés qui, poussés à leur maximum, pouvaient s’avérer instables ou destructeurs. Mais rien en rapport avec un cambriolage. Pas besoin de savoir par exemple transmuter du métal pour dérober une formule à Noé.

Les pensées de Rosalie se figèrent soudain. Noé. Astrasel Noé. L’homme autour duquel les choses semblaient tourner.

Il était actuellement retenu aux Basses-Terres, mais peut-être avait-il à un moment donné dans sa carrière laissé échapper ses connaissances sur le matériau lunaire ? Et s’il avait mentionné cela à quelqu’un susceptible de pouvoir réaliser ce projet… ce même quelqu’un pouvait tout à fait utiliser d’autres de ses travaux. Surtout qu’une partie d’entre eux avaient été rendus publics.

Rosalie se leva d’un bond. Elle fouilla parmi une pile de livres tout en bas de sa bibliothèque – le genre d’ouvrages dont elle s’était désintéressée, sans parvenir à les vendre.

Elle trouva le livre de Noé tout au fond, coincé entre un roman à l’eau de rose affligeant de niaiserie et un livre de cuisine. L’ouvrage était dans un format proche d’une feuille de papier. Des économies avaient été faites en réduisant la police à son maximum. Rosalie se frotta longuement les paupières de dépit.

Sa compréhension de l’ouvrage ne s’étant pas améliorée, la jeune femme se contenta de parcourir les titres et les conclusions – mélange de données scientifiques et magiques et de réflexions personnelles parfois contestables.

Sur les dernières pages – évidemment – Rosalie songea avoir enfin trouvé une solution plausible parmi toutes les idées fantasmagories. Noé avait nommé cela la téléportation. Passer d’un endroit à l’autre en quelques instants, peu importe la distance. Cela expliquerait le manque d’effraction pour certains assassinats. Sur le papier c’était impressionnant, mais dans les faits, sa mise en œuvre n’était que peu réalisable. D’après le livre, il fallait se revêtir d’une armure entièrement faite de bois gravé. Une proximité corporelle avec autant de magie pouvait être dangereuse pour le porteur.

À défaut d’être la solution, pour Rosalie, cela prouvait l’implication de la magie industrielle. Satisfaite, la jeune femme rassembla ses livres dans l’optique de les ranger seulement le lendemain quand on toqua contre sa porte d’entrée.

Rosalie se figea. Une visite à cette heure ? Elle devait avoir rêvé, ce devait être sa voisine du dessus qui avait une tendance prononcée pour les insomnies. Les coups reprirent, presque insistants. Méfiante, Rosalie s’empara du plus lourd de ses livres. Elle s’approcha d’une fenêtre et pencha la tête vers l’extérieur. Bartold n’était plus à son poste. Le banc était désert, mais ce n’était pas lui qui se trouvait derrière sa porte. Ils avaient convenu d’un code tous les deux, pour que Rosalie ne prenne pas peur.

Ce n’était pas lui derrière la porte.

Rosalie allait ordonner à Léni de s’enfuir par la fenêtre, quand le bois fut enfoncé. Elle reconnut l’uniforme sombre des gens d’armes et leurs revolvers, pointés dans sa direction.

Elle recula contre le mur, cherchant la menace, avant de voir que les hommes se dirigeaient vers elle. Rosalie vit les armes à la gâchette tendue viser son visage et son torse, sans comprendre. Le sang lui battait aux tempes, étouffant les injonctions des officiers, qui venaient de la saisir par les bras pour l’allonger au sol.

Rosalie se débattit en hurlant, mais les menaces des gens d’armes étaient plus fortes que ses appels à l’aide. Forte également était la lumière qui se reflétait sur les boutons dorés de leurs vestes. Une couleur peu courante, visible seulement aux visiteurs du palais royal. Les soldats de la royauté, protecteurs et serviteurs des rois et reines, venaient s’en prendre à elle en personne. Impossible. Impossible qu’ils lui veuillent du mal, ils devaient se tromper, à peine quelques heures plus tôt, Rosalie et Amerius étaient justement en train qu’enquêter pour cette même royauté !

– Qu’est-ce que vous voulez, gémit-elle, les larmes aux yeux à cause du genou d’un officier, enfoncé entre ses omoplates.

Elle avait froid dans le cou à cause du canon du revolver qui lui mordait la peau. Elle aurait voulu hurler, les insulter comme les salauds qu’ils étaient, mais l’arme, l’arme sur son cou lui faisait trop peur.

Une partie des hommes s’éloigna d’elle. Rosalie entendit le vacarme des tiroirs que l’on vide, des armoires que l’on retourne. Ils fouillaient sa maison, comme si elle était une vulgaire contrebandière.

Ils allaient tout détruire, comme les BasRose l’avaient fait. Rosalie en avait assez qu’on piétine son âme, mais ses forces l’avaient abandonné. Elle ne put que les regarder faire, abattue.

– Nous avons sécurisé les lieux, annonça l’un des hommes. Vous pouvez entrer.

Une silhouette émergea du couloir. Du sol, Rosalie ne voyait que ses bottines à talon, dont les encoches des lacets étaient aussi dorées que les boutons des officiers. Rosalie tordit le cou pour voir qui lui voulait du mal et le revolver recula légèrement.

Elle vit une robe bleu nuit, une cape tout aussi sombre, qui faisait ressortir deux yeux bleus aux reflets ambrés.

Galicie VII baissa les yeux vers Rosalie. La reine ne daigna pas s’accroupir à sa hauteur.

– Quoi ?!

La souveraine lui rendit une expression méprisante.

– Rosalie BasRose. Je vous arrête pour tentative d’assassinat. À l’encontre d’Amerius Karfekov.

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