Chapitre 27 - 1

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Prison d'état d'Argamunda, 15h33, 11 danubre de l'an 1900.

Ils ne furent pas projetés au sol, mais la perte de repères les déséquilibra. Rosalie se retrouva avachie sur la pierre couleur acajou. Amerius s’était rattrapé au mur et aida la jeune femme à se relever. La Poupée s’était déjà consumée, détruite par la pierre de Satel.

Un vent glacial gifla le visage des deux mages. Ils se trouvaient sur un chemin de ronde au beau milieu d’un virage qui les coupait de tout repère. Rosalie s’approcha de la balustrade avant de reculer, peu à l’aise face au vide. Ils se trouvaient à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, surplombant les rues de la capitale baignée de brouillard.

– La prison a été construite pour dominer le reste, lui apprit Amerius, comme pour les autres lieux de pouvoir.

Pour rappeler aux gens qu’il y avait des règles.

Le paysage urbain était défiguré par les tours de briques hébergeant les habitants et les cheminées des usines, d'où s'échappaient d'épais panaches de fumée.

Le ciel était recouvert par cette pollution grisâtre. Seuls les lieux de pouvoirs parvenaient à y échapper, car plus hauts et éloignés. L'odeur écœurante n’épargnait cependant personne, et Rosalie remonta son écharpe sur son nez.

Chose inattendue, des fanions écarlates pendaient d’entre les bâtiments, peut-être en vue d’une célébration.

Rosalie vit un couple de Bas-Terriens traverser l'avenue juste en bas, emmitouflés dans leurs vêtements bleu foncé qui se détachaient difficilement de la brume. Le reste des rues était désert. La jeune femme espérait que cela était dû au mauvais temps et pas à un couvre-feu. À moins que les Bas-Terriens ne travaillent tous les jours.

Rosalie entendit soudain le frottement d'un pas sur la pierre. Elle bondit vers Amerius et lui saisit le bras.

– Quelqu'un vient !

Ils semèrent l'intrus de quelques pas avant de s’arrêter et de reprendre une contenance. Courir ne servirait à rien, ils croiseraient forcément d'autres personnes. Ils marchèrent cette fois face à leur adversaire. Un garde de prison, vêtu d'un uniforme bleu.

Celui-ci les salua, mais Rosalie vit la lueur de méfiance dans son regard. Il inclina légèrement le menton pour regarder sous leurs capuches remontées. Il fixa particulièrement Amerius – la jeune femme se souvint qu’il était l’enfant de l’actuel dirigeant.

– Pardonnez-moi, Madame, Monsieur, mais je dois vous demander la raison de votre présence à cet étage.

Rosalie prêta attention à chacun de ses mots déformés par la langue Bas-Terrienne. Si les pays du continent s'étaient construits sur le même langage, les évolutions avaient été nombreuses et variées. Seules l’Ordalie, la Cie-Ordalie et les Basses-Terres étaient restées proches du dialecte d'origine, avec toutefois quelques variations de sens et de construction.

Pour Amerius, cette différence n’était en rien un problème.

– Nous n'avons pas à nous justifier, répliqua-t-il.

L'homme déglutit.

– Je me dois d'insister. Nous n'avons pas été informés par les responsables du registre de votre présence.

Amerius lui renvoya son regard le plus noir.

– Parce que ma fiancée et moi sommes ici sur autorisation du directeur de la prison. Vous pouvez lui poser la question, mais je doute qu'il apprécie d'être dérangé pour si peu. Et je ne manquerai pas de lui signifier votre insistance déplacée.

Un coup de bluff osé. Ils ignoraient tout du fonctionnement de la prison.

Heureusement, le garde ne put dissimuler sa terreur. Il baissa la tête et recula contre la balustrade.

– Veuillez m'excuser...

Amerius passa son bras autour des épaules de Rosalie. Ils partirent en abandonnant l'homme.

Ils trouvèrent refuge dans le bâtiment, franchissant une arche sur leur gauche qui menait sur le palier d'un escalier.

– Et maintenant ? Comment on trouve Noé ? « Une tour », c'est un peu vague comme indice. Notre ruse ne marchera pas éternellement.

Ils seraient capables de tomber sur le fameux directeur.

– Je sais. Il nous faut trouver un point en hauteur. La Poupée a dû nous emmener le plus près possible.

Rosalie ouvrit la marche dans les escaliers. Ils n'eurent qu'un étage à gravir pour se retrouver sur un toit-terrasse et constater qu'ils avaient encore du chemin à parcourir.

La prison était semblable aux marches d'un escalier circulaire. Plus on s'approchait du centre, plus le bâtiment s'élevait.

Amerius et Rosalie restèrent sous le couvert du porche. Sur le toit, ils seraient visibles des gardes qui devaient patrouiller le long des remparts.

– J'ai bien peur qu'il nous faille arpenter la prison au hasard.

Rosalie fit la moue. Le bâtiment central possédait quatre tours à chaque coin, supposément là où l'imposteur se trouvait enfermé. Les rejoindre s'avérait une autre affaire.

– Nous allons devoir essayer le culot.

La jeune femme hocha la tête. Amerius était plus doué qu'elle à ce jeu. Elle se sentait perdue. Ça, cette infiltration, elle avait du mal à croire que c'était réel, qu'elle se trouvait à plusieurs centaines de kilomètres de chez elle, ça avait été trop soudain, trop rapide.

Et son corps commençait à le lui faire payer.

Elle devait prendre de plus grandes inspirations pour remplir ses poumons, et son cœur qui aurait normalement dû battre la chamade à cause de l'inquiétude, gardait un rythme constant.

Sa tête était lourde, ses jambes difficiles à soulever. Comme un manque d'oxygène. Rosalie se tourna vers Amerius, mais celui-ci avait l'air d'aller bien.

Ce devait être la peur. La peur de se faire attraper et tuer. Ici, aucune Poupée ne pourrait la sauver, et Amerius avait ses limites. D'autant que Rosalie n'allait pas aimer devoir sans cesse se reposer sur lui. Si cette histoire la concernait de près, elle devait être capable d'y faire face.

Ils reprirent les escaliers en sens inverse, jusqu'à déboucher dans un couloir qu'ils empruntèrent. Une intersection se présenta rapidement, leur offrant le choix de continuer ou tourner à droite.

Changer de direction devrait logiquement les rapprocher du centre. Chaque pas ajoutait des tremblements aux membres de Rosalie.

Ils n'avaient croisé que des portes en bois marquées de plaques. Cette partie de la prison devait servir à entreposer des fournitures, ce qui expliquait qu'ils n'avaient croisé personne.

Un répit avant la tempête, la mage en était certaine.

Une volée de marches ascendantes se présenta. La foulée d'Amerius avait ralenti, il serrait le pommeau de sa canne dans sa main gantée de rouge.

Rosalie manqua un haut-le-cœur en voyant que cela les menait directement face à une arche gardée par deux soldats.

L'espace d'un instant, leur expression se fit méfiante avant de retrouver leur impartialité face aux vêtements rouges des visiteurs.

Amerius voulut franchir l'arche avec toute l'indifférence des gens à qui les interdits sont étrangers, mais les soldats barrèrent le passage de leurs lances.

– Vous n'êtes pas autorisés à passer.

– Pas autorisés ? Faut-il que je vous brandisse mon manteau sous le nez ?

– Non, Monsieur, mais vous n'êtes pas escortés, ce qui constitue un manquement à la sécurité.

– Doit-on comprendre que vous n'êtes pas capable de garder les prisonniers derrière leurs barreaux ?

L'un des hommes se tourna vers Rosalie. Surprise par sa propre audace, la jeune femme faillit reculer.

– Nous sommes fatigués de devoir rappeler les règles à de simples gardes, menaça Amerius. Poussez-vous.

Les deux hommes échangèrent une œillade.

– Je vous accompagne jusqu'à destination, déclara l'un d'eux.

Il s'écarta pour les laisser passer. Rosalie et Amerius prirent le seul chemin possible, un couloir qui les mena jusqu'à une porte de fer.

Un autre garde patientait à côté.

– Ce monsieur et sa dame doivent entrer.

Son collègue ne protesta pas. Il ouvrit la porte grâce à son jeu de clés. Rosalie et Amerius entrèrent, suivis du premier garde. Ils constatèrent rapidement qu'un second s’était joint à lui.

Rosalie jeta une œillade inquiète à Amerius, qui s'efforça de ne pas la lui rendre.

Seul, le soldat aurait été facile à assommer s'il l'avait fallu, mais désormais ils se retrouvaient à égalité, deux hommes entraînés face à un mage qui l'était moins et une femme qui trouvait désagréable la sensation d'une arme contre sa hanche.

Le quatuor remonta le couloir, jusqu'à une salle circulaire d'où partaient quatre autres accès.

C'était le moment de vérité. Ils y étaient allés au hasard, se basant sur les dires impossibles à vérifier d'une Poupée et leur sens de l'orientation. S’ils s'étaient trompés, les gardes ne perdraient pas de temps à les mettre hors d'état de nuire.

Rosalie se tourna vers les hommes, mais fut encore une fois trop lâche pour parler. Amerius prononça les mots fatidiques.

– Menez-nous à Astrasel Noé.

– Ce prisonnier est sous visites réglementées.

Si les mages étaient soulagés qu'il fût bien ici, le chemin jusqu'à lui était encore long.

– Une urgence nous pousse à nous en passer. Obéissez.

Les hommes ne bougèrent pas.

Amerius frappa le sol de sa canne.

– Le directeur...

– Le directeur est une femme, laissa tomber l'un des hommes.

Ils pointèrent leurs armes sur eux.

– Les mains en l'air, tout de suite.

Rosalie se serait giflée pour sa naïveté et son espoir.

Évidemment. Évidemment qu'ils n'allaient pas y échapper. Un état dictatorial ne le restait pas sans former ses hommes à arrêter quiconque au moindre doute.

Malgré le revolver, Rosalie et Amerius avaient encore un avantage que la jeune femme comptait bien utiliser, en se servant d'une des peurs des Bas-Terriens : l'inconnu.

– Je baisserais ces armes, à votre place.

Les hommes afficheront des rictus méprisants.

– Ha oui ?

– Oui. Nous ne sommes pas Bas-Terriens, vous savez. Vous ignorez tout de nous et de nos méthodes, de notre science et de notre manière de penser.

Ils cillèrent, mais étaient entraînés à faire face aux menaces.

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