Chapitre 44

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Communauté des anciens magiteriens, 12h19, 71 jours après le voyage.

Rosalie choisit de ne pas brusquer la communauté qui l’accueillait. Ils la prenaient pour une déesse et elle ne voulait pas donner l'impression de vouloir fuir à tout prix. Son matériel de magie industrielle resta dans sa maison durant quelques jours, d'autant que la jeune femme avait besoin de reprendre des forces – une reprise facilitée par le rayonnement de la Lune.

La communauté était ravie de sa présence. Les enfants lui offraient des cadeaux, les femmes et hommes partageaient leur savoir avec fierté, et gardaient les meilleures parties de leurs récoltes pour elle.

Rosalie était un peu gênée de ces attentions, d'autant qu'elle était certaine que ces gens l'auraient aidé, déesse ou pas. Mais elle avait besoin d'accéder à la Lune sans crainte qu'ils hurlent au blasphème. Lorsqu'ils avaient enfin dépassé leur appréhension, Rosalie avait donc dû se résoudre à mentir.

– Je suis tombée en même temps que le rocher. J'ai dû retrouver mon chemin jusqu'à lui.

– Si vous venez de la Lune, comment se fait-il que vous ignoriez son éclat ?

Rosalie se dépêcha de trouver quoi répondre. Il fallait quelque chose d'à la fois plausible et sans trop de détails, qui ne bouleverse pas leurs croyances.

– Parce que j'ai tout à réapprendre. Pour continuer de vivre, je meurs, pour ensuite renaître.

Érable hocha la tête.

La culpabilité tordait le ventre de Rosalie. Qui sait si cette simple phrase n'allait pas modifier le futur qu'elle cherchait à retrouver ?

Une voix lui affirmait pourtant le contraire. Les légendes magiteriennes n’affirmaient-elles pas que la déesse était venue sur Terre pour leur enseigner la magie ?

De toute évidence, Rosalie était cette divinité.

Se devait-elle d'intervenir ? De donner raison à l'histoire pour mieux la préserver ?

Les futurs magiteriens s'initiaient déjà aux prémices de ce que serait la magie, mélangeant les ressources de la nature pour en tirer de nouvelles propriétés. C'est ainsi que la blessure au bras de Rosalie guéri rapidement, même s'il restait une cicatrice.

Cerise en était bouleversée, mais Rosalie assura qu'elle ne se sentait pas offensée.

En les voyant ainsi, simples et généreux, la jeune femme avait du mal à comprendre comment ils en été arrivés à trahir son royaume par manque de gloire. Les siècles à venir lui auraient donné la réponse. D'après son estimation, il devait en rester au moins deux avant que les magiteriens ne proposent de s'allier au roi pour donner naissance à la Cie-Ordalie.

Une Cie-Ordalie dont Rosalie était de plus en plus en mal. Après huit jours de repos et de simplicité auprès de ces ancêtres qu'elle adorait, la jeune femme prit la décision de s'en aller.

Elle s'en ouvrit à Érable, à Cerise, et à tous ceux qui l'avaient accueilli. Ils étaient tristes qu'elle les quitte, mais comprenaient qu'elle se sente déracinée.

Avec leur aide, la jeune femme installa le lourd matériel. Corriger et affiner les équations, calibrer la source d'énergie inédite qui s'offrait à elle, sous la forme d'un morceau décroché du rocher, tout cela lui prendrait encore des jours, voire des semaines.

Des semaines durant lesquelles elle maigrit de nouveau, oubliant de s'alimenter. Chaque échec supplémentaire lui meurtrissait le cœur. Un mal-être que les futurs magiteriens ne comprenaient pas.

– Pourquoi ne pas vous servir de vos pouvoirs ?

– C'est ce que je fais. Mais ici, loin de chez moi, ils sont différents.

Ce fut pourtant la Lune qui lui permit de reprendre espoir. Chaque nuit, Rosalie venait s'asseoir devant le rocher, pour laisser sa lumière la baigner.

Ce rayonnement l'intriguait, l’obsédait peut-être même. Elle sentait que ce morceau pouvait l'aider, plus tard, dans ce futur où Noé sévissait. Rosalie en ressentait pourtant une grande culpabilité. La Lune n'était pas une arme ou un instrument. C'était un miracle de la nature qui n'aurait jamais dû être touché.

À moins que depuis le début, elle ne fut bel et bien tombée que pour leur venir en aide ? Rosalie aurait pu rire de cette idée grossière. La Lune était un astre, elle se fichait pas mal des humains. Elle était là avant eux, et continuerait d'exister bien après. Sa chute sur Terre n'était qu'une coïncidence.

Rosalie devait donc s'en servir.

Un jour, elle vint trouver Érable pour lui poser des questions.

– Le rayonnement du rocher... jusqu'où il s'étend ?

L’homme avait paru désarçonné. Il fit un vague geste de la main englobant toute la forêt, mais son regard allait jusqu'à l'horizon. Rosalie lui désigna alors les sommets d'une chaîne de montagnes, frontière naturelle entre l'Ordalie et la Cie-Ordalie ; visible même à plusieurs centaines de kilomètres.

– Jusque là-bas ?

– Je pense que oui. Lorsque nos enfants atteignent l'âge adulte, ils doivent effectuer un périple hors de notre communauté et ramener une espèce naturelle encore inconnue que nous cultivons par la suite. Les derniers revenus m'ont dit que la nuit, ils se sentaient encore connectés à la Lune, alors même que la mer approchait.

La mer. Soit tout ou presque le territoire Cie-Ordalien.

De quoi empêcher Noé de se servir de sa magie. Plus de voyages, plus de Poupées, plus d'armes potentielles. Juste un homme diminué qu'il serait facile de capturer.

Mais comment garder une partie du rocher intacte pendant tout ce temps, tout en l'empêchant de masquer le reste de la magie durant la nuit ?

Rosalie laissa échapper un glapissement.

La plaque. La plaque métallique qui recouvrait le fond du cratère, à son époque !

Il n'était pas un ornement servant d'hommage à la Lune ! C'était une cachette. Une cachette dont Rosalie comprenait quelle était la clé. D'après les dimensions connues du centre de la plaque, le morceau à l'intérieur ne devait pas être conséquent.

Un morceau jamais touché.

Rosalie savait que le rocher originel était encore plus imposant, mais une partie avait déjà été taillée.

Il faudrait continuer d'extraire ce qui était encore en trop, creuser un trou, pousser le rocher dedans et fabriquer une plaque de métaux fondus.

Une plaque qui s'ouvrirait à l'aide de colliers de pierre.

De quelle manière s'assurer que cela serait accompli ? Il faudrait encore des années. Des années que la jeune femme ne comptait pas passer ici. Ces gens-là la croyaient d'origine divine et si elle laissait des instructions, ils les suivraient, même longtemps après son départ.

Rosalie abandonna ses préparatifs pour se consacrer à cette idée et partit retrouver Érable.

– Pourquoi vouloir faire cela ?

– Parce que dans le futur, un grand danger menace. M'aiderez-vous à le combattre ?

Érable ouvrit de grands yeux, presque choqué de sa question.

– Vous êtes notre déesse. Évidemment que nous vous aiderons.

Rosalie passa de longues heures à tout expliquer aux chefs de la communauté. Elle dut leur révéler que dans le futur, ils seraient divisés en familles, chacune porteuse d'un collier, dont il ne faudra jamais se séparer. Et qu'une fois la mission accomplie, les générations suivantes ne devront rien savoir de ce qui avait eu lieu.

La jeune femme fit en sorte de laisser des instructions précises, notamment sur les équations à graver dans la future plaque.

De son côté, elle fabriqua les colliers, faits de roche lunaire taillée et gravée.

Si les patriarches et matriarches avaient su. Leur héritage le plus ancien, porteur de magie industrielle.

Puisque les familles seraient huit, elle en fabriqua autant.

Lorsque ses instructions furent laissées et ses recherches pour rentrer chez elle presque achevées, Rosalie sut qu'il s'était écoulé presque quatre mois.

Lorsqu'elle prit place sur la plateforme, le cube de verre brillant d'équations rabattu sur elle, Rosalie pria la Lune, celle qui flottait encore dans le ciel, de la ramener chez elle.

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