Chapitre 50

7 minutes de lecture

Palais royal, 14h38, 13 de jerve de l'an 1901.

– Tu es certain de ce que tu avances ?

Amerius hocha la tête. Il s’était précipité vers le bureau de la reine, ne ralentissant que pour ménager Rosalie, ce dont elle lui était reconnaissante.

Le visage de la reine se fendit d’un sourire satisfait.

– Ce serait une occasion.

– Pardon ? laissa échapper la jeune femme.

– Les Basses-Terres sont peut-être sur le point de se faire bombarder par un ennemi que nous connaissons. Si nous leur envoyons un message pour les prévenir, deux solutions s’offrent à elles : accepter notre aide en échange d’une contrepartie, soit nous envoyer sur les roses et se faire détruire. Chose que nous pouvons leur éviter grâce au rocher originel.

Rosalie avait mentionné le morceau de Lune, juste après qu’Amerius eut expliqué l’objectif possible de Maguel.

– Peut-il être déplacé sans compromettre sa magie ?

– Oui. Mais il ne doit pas être abîmé.

– Quelle serait la contrepartie pour les Basses-Terres ? s’enquit Amerius.

– Des aveux. Signés de la main même de leur dirigeant. Un papier où ils avouent avoir tenté d’enlever Maguel Stanford, qui reste un citoyen Cie-Ordalien. Où ils mentionnent également leur complicité avec les magiteriens, en précisant que ces deux événements ont eu lieu sur notre territoire, ce qui constitue un crime international. Aux regards des lois continentales, nous sommes donc dans notre droit de faire cesser toutes exportations vers les Basses-Terres, nous ainsi que les autres membres de l’Union. Une mise en quarantaine qui les obligera à se faire annexer s’ils veulent survivre.

» Cela fait des années que les Basses-Terres harcèlent tous les pays frontaliers dans l’espoir qu’ils fassent le premier pas malvenu.

Rosalie faillit éclater d’un rire nerveux en songeant à quel point cela aura été facile de dominer les Basses-Terres. Bien sûr, l’annexion ne se ferait pas sans résistance. Il y aurait peut-être une guerre, mais réduite, sans parler des conflits civils entre Bas-Terriens. Des années supplémentaires de dur labeur, sans garantie.

La jeune femme se rappela soudainement les mots de Mona.

L’histoire reprend toujours son dû.

La guerre avait eu lieu dans la première réalité.

La reine se leva de son bureau. Elle ordonna au serviteur dans le couloir de réunir d’urgence ses ministres et que l’on prépare les dispositifs de communication magique.

– J’aimerais que vous veniez tous les deux.

Rosalie était surprise, mais accepta. Son aide apportée aux blessés, et ce qu’elle avait accompli des siècles plus tôt avait dû enfin lui valoir le respect de sa souveraine.

– Vous dites avoir besoin des colliers des patriarches et matriarches, c’est ça ? Je vais vous les faire parvenir.

Moins de vingt minutes plus tard, l’élite dirigeante était rassemblée dans la salle du conseil. Rosalie avait été installée entre la reine et Amerius. La jeune femme s’était tassée au fond de son siège, le plus possible dans l’angle mort des ministres. Elle ne se sentait pas vraiment à sa place et les regards curieux l’intimidaient. Mais puisque la souveraine elle-même l’avait invité, on ne posa pas de questions.

Galicie VII fit un compte-rendu de la situation. Des missives gravées filaient en ce moment même au-dessus des terres, à la vitesse d’un oiseau de proie. Dans quelques heures, les nations de l’Union seraient averties. Un message différent était en route pour les Basses-Terres. La reine mentionna également la roche lunaire, sans toutefois évoquer comment le rocher s’était trouvé là et pourquoi seule Rosalie en avait connaissance – à la demande de la jeune femme elle-même.

Après une heure de concertation, tout le monde tomba d’accord. Maguel chercherait à économiser sa magie et se rendrait forcément au plus près des Basses-Terres, et du golfe Anneau. Le rocher devait y être emmené, avec un contingent de soldats. Ce convoi-ci ne serait pas pour de faux.

Galicie VII n’attendait plus que l’aide de l’Union. Si les Basses-Terres choisissaient de signer des aveux, il devait y avoir le plus d’ambassadeurs possible, chacun faisait office de témoin officiel.

– Je veux deux cents hommes au cratère dans l’heure, avec un chariot renforcé et du matériel d’extraction. Que le double d’hommes de rende directement à Soeurevalanne et s’installe à la caserne locale. Le convoi les y rejoindra.

La reine se tourna vers le ministre de la guerre et le chef des armées.

– Établissez une route sécurisée et postez des hommes tout du long. Nous n’avons que soixante-douze heures devant nous.

Un page attendait sa souveraine à l’extérieur de la pièce. Il lui tendit les huit colliers de Lune, mais elle lui fit signe de les donner directement à Rosalie. La jeune femme s’en empara et les glissa autour de son cou, essayant d’ignorer celui encore taché du sang de Virginia Astre-en-terre.

– S’il vous plaît, dites à mes parents que je pars.

Le page inclina la tête et disparut dans les couloirs, sous le regard songeur de Rosalie. Une main se glissa soudain dans la sienne ; elle la serra en reconnaissant celle d’Amerius.

Quelques minutes plus tard, ils filaient en direction du cratère, déjà suivis par des soldats et le matériel.

Les véhicules s’arrêtèrent à l’entrée de la clairière. Rosalie resta pensive. L’endroit avait changé depuis son voyage. De nombreux arbres avaient poussé, enfermant le cratère sous un dôme de feuilles et de branches.

La jeune femme dévala la pente et traversa le cratère, jusqu’à ce que ses pas ne frappent plus la terre sèche de l’hiver, mais le métal brut. La plaque protectrice évoquait un puzzle. Plusieurs métaux se mélangeaient, grossièrement soudés, et le résultat était parfois gondolé.

Rosalie s’approcha du centre, là où se trouvait la partie ouvragée la plus importante. Un disque d’un mètre de diamètre, forgé d’un motif de croissant de Lune en relief. La mage s’accroupit et le toucha des doigts. Ses ancêtres avaient mis plus de soin dans cette unique pièce que dans le reste.

Amerius et Galicie VII la rejoignirent.

– Ça va aller, la rassura-t-il.

La reine ne dit rien, mais son regard posé sur la plaque était dubitatif.

Rosalie tremblait de nervosité. Elle craignait que le dispositif ne fonctionne pas, abîmé par les ans ou simplement mal réalisé. L’entièreté de leur plan reposait sur le trésor caché dessous, en espérant que lui non plus n’ait pas subi de dommages.

La jeune femme récupéra les colliers. Elle détacha les pendentifs des chaînes et les glissa dans de petites fentes éparpillées autour du croissant, destinées à évoquer des étoiles.

Une faible luminosité avait animé la Lune dès le premier médaillon inséré. À mesure que Rosalie ajoutait les autres, l’astre brillait de plus en plus, laissant apparaître les équations magiques gravées le long de ses courbes.

Lorsque le dernier collier fut introduit, un cliquetis résonna. Rosalie s’écarta du disque, qui s’était mis à tourner sur lui-même. Il s’enfonça dans la plaque avant de disparaître sous elle.

Le trio dut s’écarter davantage, la plaque métallique était en train de s’ouvrir, se courbant en avant sur elle-même sous forme de cercles concentriques.

Lorsque les deux mages et la reine eurent reculé d’une vingtaine de mètres, le phénomène se stoppa. Rosalie s’approcha du gouffre avant de laisser échapper un soupir de soulagement. Le rocher se tenait à deux mètres sous elle, enfermé dans le cocon protecteur de la terre. Il n’était pas bien grand, trois mètres de long pour deux de haut, mais Rosalie espérait que ce serait suffisant pour atteindre les côtes Bas-Terriennes. Ses ancêtres eux-mêmes ignoraient jusqu’où s’attendaient l’influence du rocher. Peut-être touchait-il toute la Terre, peu importe sa taille.

– Je crois que tout va bien.

La reine se plaça à ses côtés, un regard scrutateur posé sur le rocher.

– Vous m’aiderez à guider les hommes pour l’excavation.

Amerius leur avait déjà fait signe de venir. Le chariot s’approcha au plus près du bord, tandis que le matériel était passé à Rosalie et Galicie VII, descendues dans la cavité par une échelle.

Heureusement, la jeune femme avait songé à l’éventualité que le rocher ait besoin d’être déplacé. Une grille placée dessous permettait de le surélever de quelques centimètres, de quoi faire passer les harnais autour. Solidement harnaché, le rocher fut lentement soulevé par une grue, actionnée par une dizaine de soldats qui faisaient tourner la roue. Rosalie eut une frayeur en voyant le rocher tanguer sous son propre poids, mais les hommes connaissaient leur travail. Le morceau de Lune fut déposé avec douceur dans le chariot avant d’être recouvert d’un drap, puis d’une armature de fer.

– En route, ordonna la reine.

Le chariot aurait besoin de douze heures de voyage pour arriver à destination. Puisqu’il n’était pas question pour Rosalie de le quitter des yeux, elle se résolut à passer une nuit blanche sur la route. Elle et Amerius resteraient avec le convoi, tandis que Galicie VII partait devant avec d’autres hommes, pour préparer l’arrivée du rocher et superviser les communications avec l’étranger.

Durant le trajet, Rosalie trembla à chaque sursaut causé au chariot, priant la Lune de conserver son pouvoir sur le rocher. À un moment donné, elle finit par s’assoupir, le bras réconfortant d’Amerius autour d’elle, mais à son réveil, il lui semblait n’avoir dormi que quelques minutes, alors que l’odeur des embruns lui indiquait qu’ils étaient arrivés à destination.

Il était presque cinq heures du matin lorsqu’ils franchirent les portes de la caserne. Le chariot fut laissé dans un hangar, protégé par des soldats. Dans une salle de réunion, Rosalie et Amerius retrouvèrent Galicie, dont les yeux cernés devaient être le reflet des propres visages des deux mages.

– Nous avons reçu les réponses des nations il y à peine trente minutes. Une réunion aura lieu dans trois heures, rejoignez-moi à ce moment-là.

Rosalie hocha la tête, reconnaissante. Elle et Amerius furent conduits dans une chambre isolée. Lui, posa un sac sur le lit.

– J’ai toujours des affaires dans le fiacre pour les départs en urgence. Je me suis permis d’ajouter des vêtements qui t’appartiennent. Nous te trouverons également un gilet de cuir à ta taille, au cas où.

Elle nota qu’il ne s’était pas imaginé pouvoir l’écarter.

– Merci.

Un mot qui englobait tout ce qu’ils avaient récemment vécu, mais Rosalie n’eut pas besoin de le préciser.

– Essayons de dormir.

Mais elle avait déjà sombré.

Annotations

Vous aimez lire Benebooks ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0