Chapitre --- - 1

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Première réalité, 13h23, 3 occibre de l’an 1909.

Rosalie s’avança jusqu’au parloir. Elle s’assit devant la vitre percée de trous sans oser regarder l’homme qui se tenait derrière.

– Rose, ma chérie, comment vas-tu ?

Elle releva la tête et affronta son mari du regard. Maguel lui souriait, à croire qu’il s’inquiétait de savoir si elle avait passé une bonne journée au travail et que le repas attendait sur la table. Sauf qu’il n’y aurait plus de dîners en famille.

Depuis la dernière fois, les joues de Maguel s’étaient encore creusées, les cernes sous ses yeux aussi bleus qu’un glacier s’étaient épaissis. La prison allait le tuer avant qu’il n’aille au bout de son jugement. Pour sa propre sécurité, il avait été placé en isolement, un choix qui devait le rendre fou, lui qui aimait la compagnie. Le déni commençait déjà à ronger sa perception de la réalité.

– J’ai subi un nouvel interrogatoire, ce matin.

– Ho. Tu m’en vois désolé. Comment était-ce ?

Rosalie soupira. Maguel était à côté de la plaque. Elle prit cela comme un signe. Toute leur vie, Maguel avait rythmé la leur. Il l’avait demandé en mariage après seulement trois mois de relation. Une durée qui n’avait rien d’extraordinaire, mais à l’époque il passait beaucoup de temps dans une autre ville, où les frères Zevedan, pour qui ils travaillaient tous les deux, avaient installé une partie de leurs laboratoires de recherches. Rosalie et Maguel se connaissaient donc assez peu lorsqu’il lui avait offert la bague. Mais elle tenait à lui et avait accepté, heureuse de compter autant pour quelqu’un. Son fiancé avait demandé sa mutation à la capitale et ils avaient emménagé dans la maison qu’il y possédait.

La question des enfants s’était rapidement posé. Rosalie avait freiné les ardeurs de Maguel. Elle n’avait que vingt-trois ans et voulait se consacrer à sa carrière le plus longtemps possible. Les frères Zevedan possédaient une grande entreprise où il était possible de monter en grade. Rosalie s’était fixée une dizaine d’années pour parvenir au poste de responsable principale de formulation. Mais trois ans après, son ventre s’était arrondi, retardant ses plans de plusieurs années.

Rosalie n’avait pas compris comment cela avait pu arriver, les potions contraceptives magiteriennes étaient très efficaces. Une petite voix n’avait pu s’empêcher de lui murmurer que Maguel avait trafiqué les breuvages – les dernières ingérées lui avaient semblées plus fades qu’à l’ordinaire. Rosalie se souvenait de sa contrariété et de l’orage dans son regard, quand elle lui avait dit non. De ses piques régulières, chargées de reproches sous-entendus, ces trois dernières années. Elle avait secoué la tête, devant forcément se tromper, les sorts magiteriens n’étaient pas infaillibles. Et l’arrivée de Mona avait donné un nouveau souffle à leur vie, que Rosalie trouvait déjà trop monotone. Leur fille avait maintenant cinq ans, et n'arrêtait pas de demander quand Papa allait rentrer à la maison.

Rosalie leva sa main gauche devant sa poitrine. Elle chassa la culpabilité qui menaçait de la noyer et fit la meilleure chose à faire pour elle, en mettant fin à ce qui n’avait plus aucun sens. Elle retira son alliance et sa bague de fiançailles avant de les poser devant la vitre.

Maguel les regarda sans comprendre.

– Elles te font mal ? Tu pourrais les faire agrandir.

– Non, Maguel. Je n’en veux plus. Tu es prison pour le reste de ta vie. Être mariés ne veut plus rien dire.

Son sourire vacilla.

– Le reste de ma vie ? Allons, je crois que tu…

– Tu as assassiné un homme ! Tu t’es fait complice de ses crimes !

Il secoua la tête, l’air perdu.

– Ce n’est pas avec toi que je veux continuer ma vie.

Cette phrase sembla rallumer une conscience chez Maguel. Il releva la tête, le glacier devenu un orage.

Rosalie aurait pu tourner sa phrase autrement, mais de manière inconsciente, elle avait peut-être eu besoin de lui avouer la vérité.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

Elle ne répondit pas.

– Il y a quelqu’un d’autre, c’est ça ?

Sa lèvre tremblait. Il frappa la vitre, faisant sursauter Rosalie. Le garde le rappela à l’ordre et Maguel baissa la main.

– Je le savais. Je me doutais bien que tu ne travaillais pas autant. Comment as-tu pu me mentir ?

– Tu es mal placé pour me dire ça, cracha-t-elle.

Il l’ignora.

– C’est ce type, c’est ça ? Celui que tu as rencontré à une conférence, l’espèce de grand coincé qui fabrique des…

– Ne l’insulte pas !

Elle se leva, furieuse. Venir ici était une erreur, elle aurait eu mieux fait de lui renvoyer les bagues par courrier.

– Adieu, Maguel.

Elle s’éloigna, fuyant l’appel désespéré puis rageur de son prénom. Les gardes durent le maîtriser, et lorsque Rosalie quitta la pièce sans se retourner, il lui sembla qu’on plaquait Maguel au sol.

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