Chapitre 55

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Île Vierge, 09h34, 18 de jerve l'an 1901.

Rosalie ouvrit les yeux sur la pénombre.

Elle les referma et écouta les battements de son cœur. Sa poitrine se leva et s’abaissa, l’air entra et ressortit. Elle respirait. Le sang circulait dans ses veines.

La jeune femme leva un bras engourdi et le porta à son ventre. Sous la chemise de nuit, elle sentit un épais bandage, le tiraillement de points de suture.

Une larme de reconnaissance glissa sur sa joue.

Elle était vivante.

L’histoire avait choisi de la laisser en paix encore un peu.

Rosalie tourna la tête sans reconnaître la pièce où elle se trouvait. Les contrevents entrouverts laissaient passer un peu de jour, qui révéla les contours de meubles en bois et de murs blancs. Sa vue ne lui apprenant rien, Rosalie écouta. Par la fenêtre, elle crut entendre un roulis, comme de l’eau s’écrasant sur des rochers. Elle se trouvait au bord de la mer.

La jeune femme se redressa, la main sur sa blessure. Puisque celle-ci ne se mit pas à saigner, Rosalie retira le drap. Elle tenta de passer ses jambes par-dessus le matelas, quand la porte de la pièce s’ouvrit.

– Non, non, non ! Restez allongée !

Une femme en uniforme d’infirmière se précipita vers elle, avant de remettre ses jambes en place.

– Je dois d’abord vous examiner.

Rosalie la laissa faire.

– Où sommes-nous ?

– Sur l’Île Vierge.

– Alors c’est terminé.

L’infirmière hocha la tête. Elle lui fit monter un plateau-repas et l’autorisa à prendre une douche. Les vêtements de Rosalie l’attendaient sur le lit, propres et rapiécés.

– Est-ce qu’Amerius Karfekov est ici ?

La femme lui sourit.

– Il a dû repartir à Annatapolis tôt ce matin. Mais je lui ai déjà envoyé une missive. Il sera peut-être là ce soir, si elle le rattrape à temps.

Rosalie lut pendant quelques heures avant de dormir un peu. Elle se réveilla en fin d’après-midi, alors que le soleil commençait à disparaître. Elle avait besoin d’air frais. L’infirmière l’autorisa à se rendre sur la plage.

Les habitants du bâtiment avaient repris leur place, quand sur la mer, les bateaux avaient disparu. Les personnes que Rosalie croisa la saluèrent d’un hochement de tête, avec un air que la jeune femme trouva bizarrement reconnaissant. Elle espérait qu’ils ne l’imaginaient pas en sauveuse, car elle n’avait rien fait sinon se faire transpercer.

Le vent soulevait les grains de sable de la plage. Debout face à la mer, Rosalie contempla le coucher de soleil. Un peu plus loin sur la droite, les côtes Bas-Terriennes étaient toujours inchangées, mais sur les terres, les habitants devaient être en train de vivre leur propre bataille.

La jeune femme resserra son manteau sur elle. Le froid lui gelait les os, mais il lui rappelait qu’elle était toujours de ce monde, de même que les petits nuages de vapeurs qui s’échappaient de ses lèvres.

Un appel perturba soudain le son des vagues avant d’être emporté par le vent. Rosalie se retourna pour apercevoir une silhouette venir vers elle. Elle reconnut la haute taille d’Amerius, manteau ouvert malgré la température. La jeune femme combla la distance entre eux et ils purent enfin se prendre dans les bras.

– Ne refais jamais ça, la gronda-t-il.

Les excuses et les paroles de réconfort passées, ils se mirent à marcher sur la plage. Rosalie apprit qu’elle se trouvait ici depuis trois jours.

La mort de Maguel Stanford avait été confirmée, mettant fin à toute menace envers les Basses-Terres. Celles-ci se trouvaient désormais sous la tutelle de l’Union, mais les élites au pouvoir avaient fui ou ouvert le feu. L’Union faisait tout pour contenir les tensions, mais elles auraient forcément des répercussions sur chaque nation.

Mona avait péri. Des soldats l’avaient trouvé dans sa cellule, tombée en poussière. Rosalie laissa ses larmes couler. Elle aurait voulu dire adieu à son amie, lui dire qu’elle lui pardonnait.

– Et si on rentrait ?

– Oui. Tes parents vont finir par devenir fous. Les autres aussi s’inquiètent, et je suis à court d’excuses.

Rosalie fronça les sourcils, ne voyant pas à quoi il faisait allusion.

– Les autres ?

– Oui. Les membres de La Bulle.

La jeune femme eut l’impression de devoir se rappeler une autre vie.

– La… ah oui, La Bulle.

Bon sang, elle en avait presque oublié qu’à l’origine, elle avait un travail. Y retourner allait lui faire un drôle d’effet.

Amerius se moqua gentiment d’elle avant de lui rappeler qu’elle avait plusieurs mois de travail en retard. Elle était contente de revenir, mais animer de simples jouets allait sans doute lui paraître fade après tout ce qu’elle avait accompli.

Sauf si l’histoire avait décidé de lui réserver autre chose.

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