14 juin 1940

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Ma chérie, je voudrais d'abord m'excuser.

J'ai mal au cœur en pensant que je ne pourrai sans doute jamais te poster cette lettre, mais mon besoin de coucher ces mots sur le papier est trop fort pour que je puisse y résister.

Quand je pense que tu n'as que douze ans... Tu semblais si paisible dans ton petit lit, je n'aurais jamais osé te réveiller. Je t'ai laissé un mot dans la hâte, pourtant j'ai l'impression qu'il ne suffit pas.

J'aurais dû prendre plus de temps, t'écrire une lettre comme celle-ci avant de partir... Alors sache que si je ne suis plus là, ce n'est ni parce que je ne t'aime plus, ni parce que tu as fait quoi que ce soit de mal. Mes raisons ne peuvent pas être dites, mais si un jour l'Occupation prend fin, je t'expliquerai en détail. Je te le promets. Tu comprendras alors... du moins je l'espère de tout cœur. Je sais que mon métier fait honte, et je me doute qu'il n'a pas dû simplifier ta vie...

Je ne t'ai jamais dit pourquoi je t'ai appelée Apolline ; je référençais Apollinaire, l'artisan du vers moderne. Il est celui que je préfère, c'est avec Alcools que ton père m'a appris à lire.

Peut-être l'étudieras-tu un jour, lui et ses poèmes. Peut-être alors verras-tu pourquoi j'ai choisi ce prénom pour toi, ma libellule : à partir des injures du quotidien, il fait de véritables chefs-d'œuvre. J'espère, non, je sais que comme lui, tu sauras t'élever au-delà des injures pour tracer ton propre chemin.

J'ai foi en toi.

***

— Rose ! Mais dépêche-toi, bordel !

La jeune femme soupira, rangea son crayon et son carnet dans un sac à double fond avant de s'exécuter. Son expression assombrissait un visage paisible. Elle fixa longuement la charrue chargée de son interlocuteur, les lèvres pincées, avant de répondre :

— Pas la peine de gueuler comme ça, j'ai compris.

— Je l'espère bien pour toi, souffla l'homme avec exaspération, les autres vont se ramener dans une minute et t'as même pas fini de te préparer !

Fouillant dans ses propres affaires, il tendit un laissez-passer et un ticket sous un faux nom quelconque. Rose les saisit lestement pour les ranger dans la doublure de sa veste après y avoir jeté un bref coup d'oeil : un aller simple pour Marseille, en zone libre. Elle s'assit sur la plus grosse des malles et contempla un instant ses ongles rongés, avant de se résigner à se préparer.

Un foulard et un chapeau plus tard, - il fallait bien masquer sa chevelure rousse, trop facilement repérable -, ils étaient prêts à partir.

Un dernier regard en arrière, et c'en était fini de la vie en Normandie...

Rose réprima une larme, détourna la tête. Elle se haïssait déjà de fuir comme ça.

Sa dernière pensée en quittant les lieux fut pour sa fille.

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