Le dîner

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La chambre, elle aussi, est d'une belle teinte citronnée, cette fois grâce à un papier peint délicat qui se décolle par endroits. Refermant la porte derrière moi, je m'assois sur le lit de fer grinçant, aux côtés de ma malle de cuir.

Tandis que mes doigts se battent pour ouvrir la serrure récalcitrante, mon regard suit les lignes de la petite pièce. Loin du bois sombre et des teintes sobres omniprésentes chez Adélie, tout devient léger ici : une grande fenêtre pourvue de voiles blancs laisse entrer la lumière estivale, et juste en face, un petit bureau d'écolier en bois clair. Une armoire ivoire tient compagnie au petit meuble, et en face du lit, un vieux miroir taché reflète ma pâle silhouette.Comme avec le sucre d'orge, je me sens saliver, et, ragaillardie, tire d'un coup sec sur la fermeture du bagage. Laquelle cède enfin !

Je soupire de soulagement et déballe pêle-mêle tous les habits empaquetés. Chemisiers, jupes, foulards, une veste, un chapeau de paille, mon maillot de bain, deux robes...

C'est à peu près tout ce que j'ai, et seulement la moitié a été achetée en magasin à cause des tickets de rationnement. La majorité des chemisiers et deux des jupes ont été cousues par les mains expertes d'Adélie, au début de la guerre... mais depuis l'année dernière, même les tissus les plus banals sont rationnés. Certaines filles du village finissaient même par se faire des vêtements à partir de sacs de farine...

M'arrachant à ces pensées, je finis par choisir une des robes, la plus gaie des deux, puisque son étoffe ambré me fait toujours penser à un lever de soleil.

Je la déplie, la défroisse un peu avant de la déboutonner pour l'enfiler, abandonnant sans regret mes habits de voyage à leur poussière. Le coton frais est un soulagement pour ma peau fatiguée. Je ferme les yeux en finissant de l'ajuster. Il me suffit de nouer la ceinture en une boucle sur le devant et... voilà !

Un rapide coup d'œil à la glace m'assure de mon état. Mes boucles noisette retombent sagement autour de mon visage, les faux plis de la robe n'ont pas l'air trop chiffonnés. Même ma grand-mère serait satisfaite du résultat...

Enfin, je crois.

Je me dirige vers la cuisine, d'où de délicieuses odeurs d'huile d'olive, de thym et de légumes me parviennent, et accélère le pas. Qu'est-ce que j'ai faim... !

  • Apolline ! Mets la table, s'il te plaît, ça sera prêt dans une minute.
  • J'arrive !

En entrant dans la cuisine, je suis happée par la chaleur de la pièce et son fumet appétissant. Malgré les murs crème et les voiles bleus aux fenêtres, l'archaïque cuisinière à charbon rend l'atmosphère - tout comme les joues - brûlantes.

  • Les assiettes sont ici, m'indique Louise en tendant le bras vers un cabinet blanc cassé.

Je hoche la tête avant de l'ouvrir aussi doucement que possible. Chez moi, plusieurs des plats utilisés sont très fragiles, et je ne voudrais pas risquer d'en casser alors que je ne suis qu'invitée.

Tout en sortant deux assiettes en terre cuite, je la regarde faire. Son dos courbé s'agite sous ses gestes, coupant rondelles de concombres et tranches de tomates à toute allure. Sa silhouette se retourne : avant qu'elle ne puisse me voir immobile, j'attrape couteaux et fourchettes et m'empresse de déposer la vaisselle sur la table de la salle à manger-séjour.

  • Louise, qu'est-ce qu'on mange ce soir ? Si ça ne t'ennuie pas de me le dire, bien sûr... me risqué-je à demander, une main plaquée sur mon ventre grondant (un vrai fauve affamé, celui-là).
  • Aucune question ne m'embête, voyons ! Pour fêter ton arrivée ce soir, je nous ai cuisiné un tian.

Je l'observe un instant, perplexe, tandis qu'elle mélange les légumes colorés dans un grand saladier en terre.

  • Et, euh... Qu'est-ce que c'est ?
  • Ah, c'est vrai ! Vous autres Normands n'avez pas ça !

Elle s'essuie les mains dans un torchon propre, l'œil rieur, avant de répondre :

  • Un tian, pucette, c'est un grand plat ovale d'ici. On y fait cuire des tomates, des courgettes, des aubergines, avec du fromage...

Seigneur, mon estomac est à l'agonie rien qu'à l'entendre... Louise a dû s'apercevoir de mon état pitoyable puisque son sourire se creuse encore.

  • Mais je pense bien que manger le tian sera plus intéressant que d'en parler !

Elle se baisse, étouffe le feu avant d'en ouvrir la porte. Je peux voir de la vapeur monter au contact du torchon contre le métal cuisant, et tressaille d'inquiétude tandis qu'elle récupère le repas hors du four.

  • Et voilà ! Prends un peu de salade en attendant que ça refroidisse, me suggère-t-elle chaleureusement en s'asseyant à son tour.
  • Merci beaucoup !

Je me sers tandis qu'elle remplit nos verres d'eau fraîche, avant de l'étudier un moment. Une question me trotte dans la tête depuis mon arrivée, mais il me faut de longues secondes pour oser la poser :

  • Louise... Comment as-tu rencontré ma mère ?

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