Réponse à "Pratiquons-nous avec aisance l'art de l'écriture ?"

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Avec le soutien de  LyoLyiio, Emmalyre 
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BANG !

Mon mari s'effondre. Je reste à ses côtés, le fusil encore fumant. Paralysée par mes muscles engourdis, je suis incapable de détourner mon regard de ce visage que j'avais tant de fois embrassé. Ses traits, tordus par la douleur et par la peur, se gravent dans mes yeux remplis de larmes. Je couvre ma bouche béante d'une main glacée, encore tremblante de ce qu'elle venait de faire. Quelques morceaux gluants se mêlent au sang et aux larmes qui s'écrasent sur la nouvelle robe qu'il m'avait offerte pour notre anniversaire. Mes poumons brûlent, consumés dans une chape de plomb qui alourdit mes épaules et mon âme : à mon tour. Je soulève mon jupon, teinté de sueur, de terre, de mousse, et sors mon revolver. J'y vois mon reflet déformé dans le chrome, flou et instable. Je n'ai jamais eu l'air aussi pathétique. Pourtant, je ne me suis jamais trouvé aussi belle. Je lâche un soupir chevrotant. Enfin, je vais retrouver ma famille. Enfin, nous allons être heureux. Je déglutis une dernière fois. Je ferme les yeux. J'appuie sur la gâchette.

Mon doigt ne répond pas. Sa voix me transperce les entrailles, ses supplications brisent un cœur que je ne soupçonnais plus. Mais il est trop tard pour reculer. Je ne peux pas le laisser continuer à me torturer avec ses murmures vides de sens, je ne peux pas vivre avec ce secret. Je ravale la bile qui chatouille mes cordes vocales, lui murmure un dernier « Je t'aime ». Jusqu'à ce que la mort nous sépare, j'honore la promesse qu'il avait oublié. Un frisson de sueur froide parcourt mon échine. Je tremble de tout mon être, mais je dois le faire. Je prends une grande inspiration, réunissant tout mon courage, les raisons qui me poussent à agir, mon enfant, la vie qu'on aurait pu avoir sans ses péchés. Les paupières closes, je colle le canon sur sa tempe. Je tire. La force de l'explosion me fait lâcher le fusil. Les chants des oiseaux se changent en sifflements stridents qui transpercent mes tympans. Le bruissement de leurs ailes fait écho aux battements de mon cœur. Moi aussi, j'aimerais m'enfuir. J'aimerais hurler toute ma douleur. Mais je ne le peux pas. Désorientée, je me laisse tomber de tout mon poids dans l'humus.

Mon cœur bat la chamade. Il est temps. Mon mari a fini son verre, presque bu la bouteille entière. Il buvait beaucoup ces jours-ci, beaucoup trop. Il voulait oublier tout ce qui s'était passé. Mais il ne le pouvait pas. Moi non plus. Il se lève, difficilement, chancelle entre les bosquets. Il se cale contre un arbre, essayant tant bien que mal d'ouvrir le médaillon de sa ceinture. Mais il ne contrôle pas les spasmes de ses poignets, et le métal glisse entre ses doigts. Il jure sur Dieu. Je fais un signe de croix. Le vent se lève, fait frissonner les feuilles et les poils de mes bras. Mon regard se pose sur son fusil, gisant là, devant moi, allongé sur les brins d'herbe sur lesquels nous avions choisi de pique-niquer. La lumière du soleil fait scintiller la poignée, comme si Dieu lui-même me donne son approbation. J'avale ma salive dans un bruit sourd, hésite une dernière fois. Mais il est trop tard pour faire machine arrière. Il faut que je le fasse. Je me lève, prends le fusil, le cache dans mon dos. Il s'enfonce dans le bois. Je le suis.

Ma cicatrice me gratte. C'est la ceinture de sécurité qui frotte contre mon ventre. Il ne faut pas que je pense à toi ou je vais encore me mettre à pleurer et ton père déteste ça. Je tripote le petit cœur doré qui pend à mon cou. Je sais que tu me regardes. Tu vois ton père poser sa main sur mon genou. Je ne le regarde pas. Je le laisse faire, mais je n'en pense pas moins. Il sait que c'est de sa faute. Nous avons tous payé le prix de ses erreurs, toi le premier. S'il n'avait pas... tu serais là, avec nous, sagement assis sur la banquette arrière. Car tu aurais été un gentil petit garçon, j'en suis certaine. Mais ne t'inquiète pas, mon bébé. Papa et Maman arrivent bientôt. Laisse-nous juste le temps de garer le pick-up. Et d'éteindre cette maudite radio que ton père écoute toujours trop fort depuis qu'il a commencé à chasser.

J'ai mal. Une douleur insupportable me déchire les tripes. Je pose une main sur la cicatrice qui lézarde mon ventre dans un réflexe, un souvenir gravé dans ma chair, une torture qui me suit où que j'aille. C'est tout ce qu'il me reste de toi : une cicatrice, comme si j'étais réparée, comme si tout était fini. La vérité, c'est qu'ils m'ont arraché le cœur quand ils t'ont arraché à moi. Mes mains sentent encore le poids de ton petit corps immobile, mon sang qui t'enveloppait, tes yeux clos, ta bouche ouverte. Je vois ton visage partout, dans le moindre enfant qui se promène dans la rue. Ses rires sonnent comme les tiens. Parfois, je ressens encore tes coups de pieds tordre mes boyaux comme si rien ne s'était passé, comme si rien de tout cela n'était réel, comme si je fermais cette porte tous les soirs après t'avoir bordé. Tu aurais été à l'école maternelle, tu aurais joué avec tes copains. On aurait ri ensemble, comme la famille unie qu'on aurait pu être, parfaite. Un autre coup, mon cœur sursaute ; ne sois pas si impatient, mon chéri. Maman arrive. Papa aussi. Je ravale mes larmes, soupire, me calme. Je descends les escaliers, retrouve la réalité malgré moi. Avant d'arriver au rez-de-chaussée, la portière du pick-up claque, m'injecte un frisson d'effroi. La dernière fois que j'avais entendu ce bruit, c'était cette nuit-là. Ma paume protège ce qu'il me reste de toi, ta cicatrice. Ton père sort du garage. J'essaie de dissimuler mon souffle saccadé.

  • Prête ?
  • Oui.

Je monte les escaliers jusqu'à ta chambre. J'aime rester ici, assise sur le tapis, pendant que ton père est au travail. Je sais que tu entends tout ce que je te dis. Tu sais tout. J'ouvre le tiroir de la table à langer. Là, entre les lingettes et les couches aplaties, je sors un petit pistolet argenté. C'est bon, il est chargé. Je le glisse contre l’élastique de mes sous-vêtements. Il n'a aucune chance de le trouver à cet endroit. Il préfère explorer les dessous de la voisine. Jamais je ne lui pardonnerais. Je ne sais pas si je tremble de panique ou de colère, sûrement des deux. Je n'aurais pas d'autre chance : c'est aujourd'hui ou jamais. Je sors, referme la porte. Mon attention est happée par les grosses lettres colorées qui épellent ton nom, ce nom coincé dans ma gorge et qui ne peut en sortir qu'en sanglots. C'est pour toi que je fais tout ça.

Le temps presse. Je sors de la poche de ma robe un petit sachet en plastique rempli d'une fine poudre blanche que je verse dans le vin. Je secoue le tout, espérant que le verre de la bouteille cache les particules qui flottent à la surface de l'alcool. J'ouvre un grand tiroir, y sort un bouchon noir et une nappe à carreaux. Je jette le sachet à la poubelle et le recouvre du film alimentaire qui contenait la viande des sandwiches. Je referme la bouteille, la dépose à l'intérieur de la glacière.

Il faut faire vite. Je fais claquer les semelles de mes pantoufles en velours jusqu'au garage où je croise mon mari, vêtu de sa fidèle veste camouflage. Sa carrure impressionnante ne laisse transparaître que la crosse de son fusil. Il est encore en train de l'entretenir comme si c'était la chose la plus précieuse au monde. Il dit que ça l'aide à ne pas penser. Je me demande comment il fait. Moi, je ne peux pas m'en empêcher, constamment. Les bruits de l'échographie hantent chacune de mes nuits, chacun de mes jours. Je passe derrière lui, caressant son dos d'un geste familier. Il ne sait pas que je sais tout. Malgré son air naturellement renfrogné, il sourit, éclairant son visage d'un air un peu benêt, et embrasse le sommet de mon crâne. Je me demande s'il fait ça parce qu'il m'aime, ou bien si c'est par habitude. Il me dit que je devrais m'habiller comme ça plus souvent. Je serre les dents et lui offre mon plus beau sourire par politesse avant de me diriger vers une étagère. De quoi se mêle-t-il ? Il ne me regarde plus de toute façon, plus comme une femme. Moi non plus. Je me tends autant que je le peux pour atteindre un cubi de vin et le traîner de toutes mes forces jusqu'à la cuisine. Je sors l'une des nombreuses bouteilles en verre qui traînent sous l'évier, en attendant d'être jetées dans les bacs à ordures. Une fois lavée, j'en transvase l'alcool du carton lourd. Une bouteille sera largement suffisante. Je regarde autour de moi : je suis seule. Dehors, il y a des policiers qui discutent entre eux. Ils ne vont sûrement pas tarder à sonner à ma porte.

« Du nouveau sur l'affaire de la disparition du petit Sam, 2 ans. En effet, d'après une source proche de l'enquête, certains témoins auraient vu le petit garçon monter à bord d'une camionnette de type 4x4 de couleur blanche peu de temps avant l'heure présumée de sa mort. Personne n'a encore été interpellé, mais l'étau se resserre autour du meurtrier. »

Je fais un signe de croix, éteins le poste de radio posé sur le comptoir de la cuisine. Je reprends mon couteau tartiné de beurre et l'enfonce dans une demie-baguette. C'est le minimum pour rassasier mon mari qui venait de repartir. Il est du genre costaud, et a l'habitude d'avoir beaucoup de force sans même s'en apercevoir. Et quand il chasse, son appétit se démultiplie. Je dépose alors deux tranches de jambon au creux du pain, referme le tout. J'enroule le sandwich dans du papier aluminium quand une voiture de police attire mon attention sur le perron de la voisine. Ils vont vite faire le rapprochement, c'est sûr.

L'une de ses mains glisse sur ma taille. Je frissonne, non pas de désir mais de dégoût. Ses doigts sont sales, tachés par l'encre indélébile des tatouages de la voisine. Elle qui voulait détruire ma famille, c'est elle qui pleure dans les bras de l'inspecteur, les pieds ancrés dans son parterre de marguerites. Pauvre petit Sam. Il a payé le prix de la trahison. Il fallait qu'elle souffre comme moi j'avais souffert. Le fruit de son péché n'allait pas prendre ta place, ça, jamais. Elle sait ce que ça fait de perdre un enfant maintenant.

Il m'embrasse dans le cou. Il lui ressemble tellement. Je suis sûre que tu lui aurais ressemblé, toi aussi.

HorreurContemporainExpérimentalà l'enversthriller, trahison
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1 chapitre de 8 minutes
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Table des matières

En réponse au défi

Pratiquons-nous avec aisance l'art de l'écriture ?

Lancé par LyoLyiio

Ce n'est pas mon défi, c'est simplement pour vous mettre l'eau à la bouche, si possible !

Dans mon journal, je me suis demandée : "Comment écrit-on une histoire à l'envers ?"

En effet, existe-t-il un seul moyen d'écrire à l'envers ? Je ne crois pas. C'est pourquoi je vous propose de relever ce défi avec moi ! Il n'y a pas de bonne ou mauvaise réponse puisque tout travail se vaut.

Cependant, parce qu'il y a toujours un "mais", j'ai quelques exigences pour ce défi.

Tout d'abord, j'aimerai que l'histoire se déroule à "l'extérieur". C'est-à-dire que le confort des maisons et des lieux que l'on connaît sont à bannir.

Ensuite, il doit y avoir deux personnages, peut importe qui ils sont, ce qu'ils font et où ils vont. Vous allez les mettre en scène dans un espace que vous maîtrisez plutôt bien, pour faciliter un peu le défi déjà bien perché.

Puis, je demanderai que vous choisissiez entre ces genres-ci (que vous pourrez noter si vous voulez avant de commencer votre rédaction):

1) Fantastique

2) Horreur/thriller

3) Policier

4) Humour

5) Drame

Si possible, pour les plus audatieux, donner à votre récit une chute à laquelle on ne pouvait pas s'attendre. Comme si nous pouvions penser : "Tout ça pour ça ?" Cette question peut avoir différentes émotions liées. C'est à vous de nous faire ressentir des frissons !

Bonne chance à vous !

LyoLyiio.

Commentaires & Discussions

IrréversibleChapitre19 messages | 8 mois

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