Chapitre 3

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https://youtu.be/A5CLHodo6IE

Trois mois plus tard, Dante n'est toujours pas revenu au côté de sa compagne. Pourtant, cette fois, quelque chose a changé. Sa présence ne lui fait plus défaut. Elle n’a plus besoin d’avoir son aura titanesque dans son dos pour se sentir exister. Maelys se rend jour pour jour à l’appartement de sa voisine. Elle y va pour avoir de la compagnie, pour discuter (ou plutôt monologuer), même si ce qu'elle recherche réellement, c'est sa présence. Elwyne l’a peinte maintes fois. Elle est envoûtée par cette âme balafrée, qui au premier abord pourrait sembler commune, mais qui a tant à offrir et à découvrir. Presque obsédée par son image, elle possède d’ores et déjà une dizaine de tableaux qui recouvrent ses murs, tous en hommage à sa nouvelle muse. Quant à Maelys, elle reste aussi naturelle que possible, tel qu'on le lui demande. Pas de poudres, fonds de teint, fards à paupières, eye-liners ou faux cils. Elle doit laisser ses artifices derrière cette autre porte où une femme sans maquillage n’est rien de plus qu’un tas de viande sans saveur.

Les pensées en ébullition quant aux diverses raisons qui peuvent bien l’avoir menée à être là, l'artiste l'immortalise. Esquisses et estompages, couches après couches. Lorsqu’elle est satisfaite de son avancée, Elwyne l'invite toujours à manger à l'extérieur. Elle n’accepte jamais ses invitations. Elle bafouille constamment qu’elle se sent plus en sécurité dans l'enceinte du bâtiment. C’était un mensonge. Elle a tout simplement peur des ragots. Les murmures plus rapides que le vent lui-même entaillent tous ceux qui osent s’élever au milieu de la foule. Elle est tétanisée qu'on puisse rapporter à son mari une quelconque information concernant leurs diverses rencontres. S'il arrivait quelque chose à sa voisine par sa faute, elle ne pourrait pas le supporter. Elle peut tout supporter, mais pas ça.

Par conséquent, elles restent au sein de cet appartement où Elwyne s’empresse toujours d’acheter divers ingrédients, car Maelys s’est découvert une véritable passion pour la cuisine. Elle y prépare toutes les recettes qu’elle parvient à trouver à l’aide d’Elwyne dans ce qu'elle nomme une « tablette tactile ». La technologie, les mots, les chiffres, barrière inatteignable auparavant pour Maelys, sont devenus anodins. Elle observe les vidéos et demande toujours à sa voisine les quantités exactes indiquees sur l'ecran illumine, incapable de lire les chiffres ou les mots qui s’affichent. Elle imite et innove quand son inspiration lui en donne l’occasion. Maelys n'a même plus conscience de la notion du temps lorsqu'elle est à ses côtés. Elle parvient à oublier qu'elle est la « chose » de cette armoire à glace. Elle s'oublie elle-même, tout en effaçant ses problèmes. Elle ne savait pas qu'il était possible de connaître une telle satisfaction autrement que par l'alcool ou la drogue. La présence de cette femme agit sur elle comme ces substances que s'injectent les clients de Dante à un prix totalement exorbitant.

Aujourd'hui encore, cette ébauche terrestre est susceptible de devenir une création céleste. Toutefois, Elwyne formule une demande pour la moins inattendue. Elle désire que sa muse pose nue, sa chair meurtrie à l'air libre. Elle veut lui faire perdre ses complexes. Bien que ce soit une tâche difficile, la blonde s'y adonne avec une ferveur qui lui est rare. Elle essaye de la convaincre, de lui faire comprendre de mille et une façons que poser nue n'est pas un obstacle, mais Maelys rougit puis se tapit dans le silence. La gêne presente à leur première rencontre remonte à la surface. Le mutisme et la confusion jaillissent. De sa bouche, seules quelques paroles parviennent à remonter à la surface.

— Mais mon corps n'est pas parfait…

— Ce sont tes imperfections qui te rendent si parfaite a mes yeux.

La jeune femme ne comprend pas son insistance. Elle ne parvient jamais à deviner ce qui lui passe parfois dans la tête. La seule chose dont elle est sûre, c'est que venant d'elle, ces propos ne sont pas une injure, ni une moquerie et encore moins une phrase tirée d’un feuilleton à l’eau de rose. C'est bel et bien un compliment sincère.

Elle se résigne à s'exécuter, pour ne pas la décevoir. Elle ne voudrait pas créer un malaise et perdre le peu qu’elle possède.

Après six ans de vie commune, Elwyne est la seule personne qui la traite comme un être humain digne de ce nom. Aux yeux désabusés de Maelys. Cette femme qui se rapproche le plus d’une figure céleste miséricordieuse. Malgré les différentes parties de jambes en l'air qu'elle a pu avoir ou subir, avec son mari ou encore des inconnu(e)s qui partagent leur lit. Elle ne ressent de la pudeur qu’en présence de la peintre. Elle laisse tomber avec timidité sa robe à paillettes, dos nu à Elwyne.

Ses yeux la poursuivent d’abord par curiosité, s’ensuit l’intérêt artistique et finalement l’appétence. Aucun clignement de cils n'est permis durant cet instant où cette déité a enfin accepté de descendre sur terre. Aucun bruit n'est bienvenu. Elle doit juste regarder, sans toucher. Elle est derrière une vitrine et elle contemple la création du sculpteur de la vie. Le soutien-gorge qui sépare ses tétons de l’air libre s’échoue finalement contre le sol, alors que Maelys laisse glisser l'ultime pièce qui sépare son mont de Vénus de la jeune femme. La brune se met face à elle, remarquant l’attention avec laquelle est contemplée. La blonde ne démontre aucune gêne vis-à-vis de la nudité, comme si elle avait passé sa vie à faire ce genre de portrait. Quant à la plus petite, elle détourne le regard.

Vraisemblablement mal à l'aise, bien qu'elles soient toutes deux des femmes, ses joues s’empourprent contre son gré. Soudain, elle tente vainement de cacher son entrejambe. Ses mains finissent par trembler. Engouffrée d’embarrasd'embarras et de terreur de ne pas etre "assez bien", elle se rue entre quelques tableaux encore présents sur des chevalets en bois pour se dissimuler. Elle et ce corps qui la rebute tant.

Sa voisine lui demande de rester debout et de ne plus bouger. Ses joues rouge pivoine sont le centre d'attention de cette œuvre. Elle essaye tant bien que mal d’effectuer l'esquisse d'un croquis, mais elle se doit d'arrêter. Sa muse est vraiment mal dans sa peau et cela est entièrement sa faute pour avir oser franchir cette barriere qu'est la nudité. Elwyne lâche subitement son crayon. Elle baisse la tête. Ses ongles pénètrent sa cuisse droite. Elle se maudit d’avoir ce genre de comportement. Elle n’est en rien différente du tortionnaire de sa muse si elle l’oblige à répondre à ces demandes stupides. Elle n’est personne pour essayer de la changer.

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— Rhabille-toi.

— Mais…

Elwyne ramasse ses vêtements et elle les lui tend, son champ de vision dévié vers une pièce adjacente. Elle se rend jusqu'à la cuisine pour se préparer un thé à la camomille. Elle en sert dans deux verres à thé, aux motifs vieillots. Elle s'assoit sur le canapé et commence à boire ce liquide, impatiente d'en savourer jusqu'à la dernière goutte.

Lorsque sa voisine revient, elle attrape le verre qui lui est destiné, buvant silencieusement tout en regardant Elwyne qui a la tête baissée, errant dans ses pensées.

Les joues de la muse portent encore les marques de sa timidité. Assises côte à côte, elles ne parviennent pas à saisir ce qui peut bien les rapprocher autant. Elles ne se disent presque rien. Elles se contentent juste de se regarder, de boire du thé ensemble et d'échanger quelques moments complices lors des peintures. Qu’à cela ne tienne, Maelys retourne chaque jour à sa porte pour la revoir. Malgré la pesante sensation que lui donne la peintre d'être une coquille vide, sans émotion apparente, la brune s'entête à croire qu'elle a juste du mal à s'exprimer. Elle ne compte même plus le nombre de fois où Elwyne a essayé de la réconforter et de lui remonter le moral, lorsque celui-ci était au plus bas. Elle n'accepterait jamais d'être à ce point envahie dans son espace de vie, si elle n'avait pas une once de sympathie au fond d'elle.

Aux yeux de Maelys, cette femme incarne la beauté extérieure comme intérieure. Cependant, à trop se fréquenter, les défauts remontent à la surface et l’agacement s’immisce sans esquive possible. Selon la peintre, l'être dépossédé de liberté se maquille beaucoup trop. Elle en fait et elle en met des tonnes. La brune pense que derrière cette épaisse couche – chimique et toxique – elle peut dissimuler ses bleus. Elle croit que les blessures reçues peuvent s'atténuer par un quelconque produit. Elle s'imagine vraiment que ce subterfuge est suffisant pour la duper, mais les yeux d’Elwyne voient bien plus loin que ça.

— Vivez-vous de vos tableaux ? demande soudainement Maelys, éprise de curiosité.

Son interlocutrice secoue la tête en guise de négation. Cette réponse ne lui suffit pas. Elle reste sur sa faim. Elle cogite quelques secondes avant de l'ouvrir à nouveau.

— De quoi vivez-vous alors ?

Elwyne relève la tête. Elle qui garde toujours cette expression figée, brise cette glace et lui affiche un sourire ravi. Elle semble apprécier son intérêt, mais elle ne compte pas y donner suite.

— Quel beau sourire, marmonne Maelys à voix haute, sans même s'en rendre compte tant elle est captivée.

Mise en avant par un tel compliment, bien que maladroit, l'intéressée n'y fait aucun commentaire. Elle est satisfaite par le simple fait de poser ses yeux sur ce corps. À la recherche sempiternelle du moindre défaut, de l'infime malformation, d'une seule éraflure qui pourrait l'alerter. Elle ne voit rien. Rien à part les reflets de cette bouille adorable dont Maelys est totalement inconsciente. Cette pauvre fille n'a, à vrai dire, plus conscience de rien.

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