Réveil à l'hôpital 2

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Je reprends conscience. J'aurais préféré rester dans le coaltar, sans douleur, sans angoisse. Errer à l'infini dans un monde de nuages.

 Dans mes rêves, je voyais un grand oiseau noir. Il planait sur un morceau de ciel aussi sombre que son plumage. Je me posais sur son dos et me laissais porter par les courants d'air. Sous moi, il y avait un paysage étrange, une végétation rase et humide, tavelée de mauve et de grandes étendues d'eau dans lesquelles se reflétait une lune d'argent. Le retour dans le monde des vivants ravive mes douleurs et mes angoisses. Seize fractures, impossible de pisser seul. Impossible de manger seul. Impossible de me gratter. Et je ne parle pas de la branlette. L'infirmière m'aide pour tout, sauf pour la branlette.

 Elle s'appelle Hélène. Mes yeux revenus à une vision plus prosaïque la découvrent moins laide qu'au premier abord. Disons plutôt, le genre de fille dont le physique est un gâchis. Le genre dont on se dit qu'il aurait suffi d'un rien pour la rendre consommable. Un gabarit trop gras, trop lourd. Comme si elle se fichait de plaire. Des traits slaves noyés sous des bas-joues flasques, mais son regard est d'un vert translucide, profond et direct. Si seulement Francesca avait pu avoir un tel regard, mais ma femme, ou plutôt mon ex-femme, est tout l'inverse d'Hélène.

 Belle à couper le souffle, une chevelure de jais, un teint de porcelaine, un regard transparent, des lèvres sanguines, une Scarlett O'Hara made in Italy, mais glacée, froide, hautaine. Un iceberg. C'est ainsi que l'avait surnommée mon ami François, « Icewoman ». Aucune compassion envers son prochain, jalouse et possessive. Par contre au lit, une vraie braise. C'est cela qui m'a fait craquer. C'est aussi pour ça qu'elle m'a fait porter des cornes à m'en briser le cou. Et moi, pauvre con, je croyais ses histoires de séminaires sur la côte. Je voulais juste lui faire une surprise, la surprendre dans sa retraite du Cap d'Ail. Je ne pensais pas l'y trouver avec son amant...

 Hélène, c'est différent. Impossible d'avoir des pulsions sensuelles envers elle, mais elle est dotée d'une passion de bonne sœur pour son prochain. Toute en abnégation et en don de soi. Ceci étant dit, je la soupçonne de fantasmer quand elle m'aide à pisser. Il faut dire que j'en ai une belle. C'est ça qui a plu à Francesca. Ça et mon compte en banque, l'appartement rue Gay-Lussac, et le chalet à Megève. Salope de Francesca.

 ― Rue Gay-Lussac, glousse Hélène en m'aidant à nouer la ceinture de mon pantalon d'hôpital, vous avez manqué le plus beau.

 ― Quoi, quel plus beau? Et là, elle me raconte, les manifestations, les barricades, les pavés lancés sur les CRS, et la fameuse nuit du 13 mai qui a vu tout le quartier latin sembraser.

 ― La plus belle barricade a été montée dans votre rue. C'est marrant hein?

  Je hausse les épaules. Des barricades, ça n'a rien de marrant. J'étais môme encore, mais je me souviens de celles de la Libération. Je me souviens des chars et des explosions, des tirs, du sol qui tremblait et des morts qui pendaient aux fenêtres comme du vieux linge qu'on aurait oublié, alors non, les barricades, je ne trouve pas ça marrant.

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