En route vers Bran Du

3 minutes de lecture

 Curieux comme sa venue me paraît salutaire. Si ces deux femmes en étaient venues aux mains, je ne donnais pas cher de ma pauvre Séverine.

 ― Ah, monsieur Devinsky, nous voici enfin. Il y a deux jours que je vous attends. C'est à mon tour de rouler des yeux, stupéfait.

 ― Mais... vous... je... comment savez-vous que je devais venir ? Je ne vous ai pas prévenu de ma visite.

 ― L'évidence, mon cher monsieur, l'évidence. Et l'expérience aussi. Avez-vous déjeuné ?

 ― Pas encore mais vue l'ambiance locale, je m'en abstiendrai !

 ― Je vous avais prévenu que ces gens-là avaient l'accueil sélectif.

 ― C'est pas peu dire. Ne perdons pas de temps, Maître Guimpbert, puisque vous êtes là, si nous allions voir cette ruine que vous m'avez si sournoisement refourguée!  

 ― À votre guise. J'ai demandé au vieux Iael d'aérer les lieux et de faire du feu. Même en été, la vieille pierre a du mal a garder la chaleur.

 Je soulève un sourcil perplexe. Comment ce fou de notaire a-t-il fait pour savoir que je venais. Mon regard converge vers Séverine, tout aussi hébétée que moi. Ce n'est pas elle qui, visiblement, l'a prévenu. Des dons extra-lucides? Je n'en crois rien. L'attitude de cet individu qui semble partout chez lui n'en finit plus de m'étonner. C'est à peine si je remarque la grosse tôlière qui recule dans son trou en se signant, conjurant pas un crachat glaireux la venue des deux créatures du diable qu'elle semble voir en Séverine et moi.  

Le notaire est déjà dehors et nous attend. Le village s'éveille, les premières âmes montrent le bout de leur nez. Des conciliabules se forment. Qui sont ces nouvelles têtes qui viennent troubler notre douce et placide quiétude?

 Un chien vient me renifler les basques en remuant la queue. Enfin un visage accueillant. Je risque une caresse sur sa tête et récolte un grognement agressif. Inamicaux jusqu'à leurs clébards dans le patelin. Ce qu'il me tarde de me tirer d'ici.

 ― Je n'ai plus d'essence, dit Séverine, nous avons roulé toute la nuit. Il y a-t-il une station dans le coin?

 ― Sans doute, mademoiselle, sans doute. Il faut bien mettre du gasoil dans les tracteurs.  

― Ça roule au gasoil les tracteurs? Je pensais qu'ils faisaient leur carburant eux-même à base de fiente de porc.

 Le notaire esquisse un sourire qui ne me plait pas et me rappelle que je m'étais promis de lui casser la gueule si je le revoyais. Il n'est pas interdit que je tienne cette promesse avant la fin de cette journée.

 ― Laissez-donc votre voiture ici, je vais vous conduire, dit le notaire. Il sera toujours temps d'acheter de l'essence à un paysan.

 ― Vous pourriez aussi bien nous conduire à une pompe, je grogne, aussi hargneux que le chien qui a voulu me mordre.  

― Vous conduire à une pompe, mais vous n'y pensez pas !

 ― Donc, pas de pompe à plusieurs dizaine de kilomètres à la ronde. Un vrai paradis pour bled !

  ― Il fallait faire preuve de prévoyance ! Si nous y allions, le vieux Iael n'aime pas attendre.

 ― Bien, puisque nous sommes attendus. Ah, une seconde, Maître Guimpbert, j'allais oublier.

 ― Ouuiii ?

 Son sourire répugnant d'hypocrisie explose sous mon poing lancé en catapulte dans sa face. Il chancelle, fait trois pas en arrière et s'écroule sur son séant. Du sang lui coule sur le menton. Il bat des paupières et lève sur moi un regard perclus de stupéfaction.

 ― Mais... mais... mais...

 ― Il y a longtemps que ça me démangeait. Bon, on peut y aller à présent.

 Au moment de s'installer à côté du conducteur, j'aperçois la patronne du bouge sur le pas de son commerce, les jambes profondément enfoncées dans le sol, ses yeux de dogue rivés sur moi. Un troupeau de commères s'accolent à ses lèvres, avides de savoir qui sont ces étrangers. Les distractions sont si rares dans leur bourgade coupée du monde. L'échange est bref, à peine quelques mots. La femme-arbre ne gâche pas ses mots. Les yeux s'agrandissent et s'horrifient, les bigotes de signent. L'une d'elle attrape le gros crucifix qu'elle porte au cou et le brandit en notre direction, protection dérisoire contre une superstition stupide. Le parigot serait-il assimilé au diable chez ces ploucs du bout du monde?  

 Le voiture démarre. Passant lentement devant l'église, j'avise un écriteau cloué en travers de la porte. Impossible de lire ce qui y est inscrit. Curieux cette église fermée dans ce village où règne une pudibonderie moyenâgeuse. Je me prends à espérer que ces gueux ne nous foutront pas au bûcher au prétexte de sorcellerie.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Morgane Destree ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0