Chapitre 3

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Chapitre 3

Cypriane, adossée à la cheminée, embrassait avec fougue un grand type dégingandé qui paraissait bien plus âgé qu’elle.

Iléana se leva, blême. Il lui sembla que tous les regards étaient tournés vers elle.

Elle fit quelques pas, contournant la table basse encombrée et s’apprêtait à partir quand elle sentit qu’on la retenait par le bras.

– Tu t’en vas ? demanda Cypriane.

– Tu ne vas pas t’acoquiner avec ce type, répondit-elle.

– Qu’est-ce que tu racontes, je fais ce que je veux !

– Oh ! Excuse-moi, je ne me sens pas bien. Je voulais simplement te dire…

– Oui ?

– Je m’inquiète pour toi, il a l’air lourd ce type.

– C’est une fête ! Je peux bien m’amuser !

– La musique est trop forte.

– La musique est trop forte ? Oh ! Tu ne dois vraiment pas être dans ton assiette pour dire un truc pareil ! Allez ! Je te raccompagne. Attends-moi deux minutes que je largue le type lourdingue ! dit-elle en riant, et je reviens !

Dans la rue, Iléana fut saisie par la fraîcheur de l’air et le silence qui l’entourait quand la porte se referma. On entendait bien quelques vagues bruits de moteur au loin, mais la ville semblait s’être endormie à présent.

Les deux jeunes femmes marchèrent le long du boulevard Vauban et Iléana qui regardait entre ses paupières fatiguées, avait peine à répondre à son amie.

– On aurait dû demander à quelqu’un de nous raccompagner en voiture, dit Cypriane. Il y a une trotte jusque chez moi et pour toi, je crois bien que c’est encore plus loin.

Iléana ne répondit pas, elle avait dans sa tête comme une voix qui scandait sans arrêt « Rentre chez toi ! »

– Tu te sens mieux ? demanda Cypriane.

– Oui…oui, répondit vaguement Iléana.

– Si je t’abandonne ici, tu te sens capable de rentrer seule ? demanda Cypriane.

– Oui, je crois que j’y arriverai, répondit Iléana.

Cypriane lui souhaita alors une bonne nuit.

– Si tu as le moindre problème, tu m’appelles sur mon portable ! ajouta-t-elle de loin puis elle s’engagea dans l’obscure rue Saint-Jules dont les lampadaires trop vieux diffusaient une lumière sale, pâle et orangée.

Un quart d’heure plus tard, Iléana était presque arrivée que le lancinant murmure dans ses oreilles cessa. Elle s’arrêta presque étonnée, en sourit, puis se remit en marche, bien décidée à aller au plus vite se coucher.

Un crachin s’était remis à tomber quand elle devina la haute et sombre silhouette de sa maison à peine éclairée par un lampadaire trop distant. Il lui fallait à présent changer de trottoir et comme le plus proche passage piéton était situé après son habitation, elle traversa immédiatement. La rue était d’un calme morbide. Elle regarda des deux côtés ; on n’y voyait pas à plus de vingt-cinq mètres. Elle faillit sursauter quand elle entendit des chats se battre au loin et cracher derrière des poubelles.

Elle marqua un temps d’arrêt puis se décida à traverser.

Tout se passa alors très vite.

Elle descendit du trottoir, se faufila entre deux berlines et s’engagea sur la route quand elle sentit à la fois le souffle de quelque chose se déplaçant à grande vitesse, une automobile en fait, et une main l’entraînant sèchement en arrière. Elle se retrouva alors les fesses à même le sol mouillé avec l’impression bizarre que l’homme qui se trouvait à ses côtés, ce clochard qui puait la vinasse et qui titubait devant elle, venait de lui sauver la vie.

Elle lui sourit et le remercia.

Il lui répondit simplement : « C’est rien, p’tite dame » et il s’éloigna dans la pénombre aussi étrangement qu’il était apparu.

Iléana le regarda un instant marchant gauchement avec son petit caddie dans le crachin et sous la lumière pâle d’un des lampadaires, et avant de disparaître complètement, il apparut nimbé, son auréole flottant au-dessus de sa tignasse hirsute comme une singularité de plus. Elle se releva, sonnée comme un boxer qui aurait reçu un KO, et se remit en marche machinalement, allongeant les jambes sans prêter attention où elle mettait les pieds.

Une plaque d’égout mal encastrée faillit la déstabiliser et elle atteignit tant bien que mal le seuil de sa maison, avec soulagement. Les marches la menèrent jusqu’à sa mansarde où elle s’effondra sur son lit sans avoir jeté un regard à son chat Caramel. Elle dormit comme une masse sans guère prêter d’attention aux murmures qui bruissaient avec délicatesse autour de son corps.

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