Chapitre 3- 30/03/1931

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20/03/1950

Seigneur Jésus-Christ,

Nous avons eu de la visite ces derniers jours, nous avons accueilli avec joie, nos frères dominicains de la congrégation de notre dame de la famille ! Nous avons préparé un grand festin à leur venue, vous auriez dû voir leur tête, ils étaient tous émerveillés du lieu que nous avons choisi, comme eux habitent à Saumur. Ils nous ont raconté toutes les péripéties qu’ils ont vécues lors de leur voyage. Nous étions tous heureux de nous retrouver en famille, près de vous, mon bon et doux Jésus. Ils sont restés une bonne semaine pour se préparer à faire leurs vœux perpétuels, pour certains d’entre eux. Mes petits frères ont très bien répondu à leurs questions, j’étais épaté de voir qu’ils avaient assimilé la leçon que je leur ai donnée la dernière fois. Ce fut un bon moment de retrouvailles, j’ai pu recroiser mon cousin François, qui est rentré après moi au couvent. Il me racontait à quel point les chants des dominicains le touchait, il aimait faire l’aumône dans la rue pour récolter des sous. C’est le système des dominicains. Ils doivent évangéliser ou jouer de la musique pour rapporter de l'argent à leur monastère. Il me parlait avant-hier, combien il avait été difficile de voir son père partir en guerre, ainsi que le reste de la communauté, qui partageait le même avis. Ils m’ont tous demandé de prier très fort pour leur père… J’ai répondu que c’était avec plaisir, que je les portais dans mon cœur meurtri par cette horrible guerre, qui nous avait tous laissé des séquelles.

Nous avons enchaîné sur notre rôle, en tant que prieur, et je lui racontais à quel point j’étais maladroit dans cette lourde tâche qu’on m’avait confiée, mais très gentiment, mon cousin m’avait répondu qu’il fallait toujours un début pour commencer ! Il pensait que j’allais devenir un incroyable prieur, mais je ne partageais pas le même avis.

Ils nous ont posé des questions concernant les sacs de grains que nous cultivons et nous ont demandé si on pouvait faire un partage, car il me racontait que dans sa région, il était difficile d’en trouver et j’ai répondu qu’il n’y avait pas de soucis. En échange, il nous donnera la moitié de l’argent qu’il aura récolté pour nous aider à réparer le toit. Il nous a même donné une bonne partie, en nous disant qu’il avait trouvé une dame, assez riche, pour aider à réparer leur cloison. Apparemment, nous ne sommes pas les seuls à bricoler dans notre monastère, cela m’a bien fait rire.

En ce moment, je me perds beaucoup dans mes pensées, je revois souvent mon enfance, défiler dans ma petite tête de pécheur. Je m'en souviens comme si c’était hier.

Les moines avaient pris la décision de me scolariser, dans la petite école de sainte Thérèse de l’enfant Jésus. Ils m’avaient inscrits depuis le CP et je venais d’apprendre tout juste, des matières que je n’avais jamais apprises au monastère. J’étais très curieux à mon âge, je lisais beaucoup de livres sur les saints et les dévorais en une nuit. J’étais aussi, le garçon le plus timide au monde… Quand il fallait passer devant toute la classe, j’avais les joues qui devenaient rouges et je n’osais jamais parler… J’avais beaucoup de mal à parler devant les camarades de mon âge, mais je préférais largement m’imaginer, dans le royaume des cieux. Ma tête n’était que plongée dans cet endroit paradisiaque et je parlais avec des anges, pour rire.

Une fois, un groupe de garçons m’avait demandé si j’étais sorti avec une fille. Je ne comprenais pas ce qu’ils me racontaient et j’avais répondu « désolé mais je n’ai pas le temps de sortir après mes cours » et ils avaient tous explosés de rire. J’étais bien naïf à mon âge, on m’avait souvent posé la question de savoir si j'avais embrassé une fille, ou bien, ils disaient de vilains mots alors que je répondais toujours à côté de la plaque. Un garçon m’avait dit un jour « tu ne dis jamais de gros mots » et cela ne m’avait pas étonné, j’étais reparti pour poursuivre ma lecture sur sainte Jeanne d’Arc, une grande sainte que j’honore au passage. Mais, il m’arrivait bien entendu, de jouer avec mes camarades ! Il y avait une fille dans cette bande, elle s’appelait Marguerite. Nous étions très vite devenus meilleurs amis et je pouvais m’exprimer devant elle en ne parlant que du bon Dieu. Elle me demandait si j’avais une autre passion que Dieu et je lui avais répondu « oui, la musique et la médecine ». J’étais déjà très intéressé par cette science, et depuis, les moines avaient autorisé à ce que je poursuive des études plus poussées, mais je n’ai jamais pu continuer car la guerre a éclaté…

Il y avait un petit garçon, qui attendait toujours derrière la grille de l’école. Il nous regardait, chaque matin, en train de nous amuser à la récréation. Un jour, par simple curiosité, je m’étais approché de lui. Il n’avait pas bougé, il avait les mains agrippées aux poteaux. Il avait un regard neutre, des yeux ambres qui brillaient sous l’éclat du soleil. Ses cheveux bruns étaient bien soignés et il portait une salopette d’un bleu très clair.

— Comment-tu-t’appelles ?, avais-je demandé en premier.

Il redressa ses yeux vers les miens et un petit sourire au coin de son visage, venait d’apparaître.

— Philémon ! Et toi ?

J’avais tendu la main à travers la grille qui nous séparait.

— Moi c’est Barthélémy ! Pourquoi tu ne viens pas à l’école ?

— Parce que ma maman n’a pas d’argent pour m’y inscrire…

Je le lisais dans son regard, qu’il avait très envie de venir à l’école pour jouer et apprendre. Je regardais mes camarades qui riaient et couraient en jouant au jeu du renard, de la poule et de la vipère. Je m’étais pincé les lèvres, en étant triste pour ce petit garçon qui ne pourrait jamais aller à l’école. J’avais poursuivi mon discours en lui demandant si ses parents lui avaient appris à lire et à écrire. Il m’avait répondu « non » en secouant la tête. Il me disait que sa mère n’était jamais allée à l’école et qu’elle avait toujours travaillé aux besoins de ses parents, tandis que son père avait quitté le foyer quand il avait quatre ans. Son histoire me fendit le cœur. Après être sorti de cours, j’avais demandé aux moines si on pouvait inscrire Philémon à l’école, ce à quoi, ils avaient répondu qu’ils allaient s’en occuper avec sa mère.

Plus tard, j’avais retrouvé exactement le même garçon, bien élégant et bien éduqué se tenant droit, pour se présenter devant la classe. Depuis peu, nous étions devenus les meilleurs amis avec Marguerite. Il était entré en CP, avec son autre sœur qui s’appelait Coline. Elles étaient toutes les deux identiques et avaient de beaux cheveux roux. Pour aider Philémon, je lui apprenais à écrire et à lire, et chaque soir, je lui donnais une petite leçon de catéchisme qu’il esseyat au plutôt de mettre en pratique. Nous nous retrouvâmes toujours au parc, pour qu’il me montre ses écrits, et en l’espace de quelques mois, ses notes remontèrent.

Il y a quelques années, j’avais appris que sa mère, Clémence, était une femme veuve, qui avait élevé, seule, son enfant. Elle racontait à tout le monde que son mari avait quitté du jour au lendemain le foyer. Elle avait donc pris la décision de travailler dans un petit bar « Bonsoir Francis » et servait tous les jours la clientèle. Je m’en souviendrais toute ma vie quand elle venait au monastère pour se confesser, elle avait toujours une cigarette dans les mains et parlait pendant des heures et des heures dans les salles de confessions. Cela pouvait durer toute une journée… je me demandais ce que pouvait bien raconter cette brave dame…

Aujourd’hui, je ne quitte plus des yeux Philémon. Parfois, je me demande comment l’idée d’être devenu moine lui est apparue alors que ce n’était pas son intention de rentrer au monastère… seul le Seigneur pourrait me répondre à cette question, car il nous connaît, tous, par cœur.

Signé, le père Théophane

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