Chapitre 5- 12/12/1938

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29/05/1950

Cher Seigneur Jésus-Christ,

Aujourd’hui nous avons moissonné toute la journée sous un soleil abominable. Nous avions l’impression de brûler toutes les deux minutes. Fort heureusement, nous avions de quoi nous équiper avec les beaux chapeaux que Madame BelFort nous a tissés ! Nous nous sommes aussi occupés de la réserve pour jeter tous les vieux sacs de farine qui ont moisi depuis la guerre… J’ai eu une extrême douleur dans le bas du dos et quand j’ai voulu soulever un sac, ma force s’est bloquée… C’était comme si j’étais paralysé et je tremblais de tout mon corps. Un moine a remarqué ma faiblesse et m’a demandé si j’allais bien. J’ai menti en disant que je m’étais cassé le dos mais que j’avais réussi à me décoincer. Cela a duré toute la journée, j’ai eu une extrême fatigue et de vilaines migraines. La nuit suivante, j’ai beaucoup transpiré alors que la pièce où je dormais, était tiède. J’ai enchaîné des nuits très mauvaises, mais j’ai continué les activités car la clientèle s'agrandit beaucoup et nous devions faire vite. Malheureusement, les moines l’ont remarqué lorsque j’ai de nouveau soulevé un sac de grain et que je me suis effondré en le portant. Comme je m’étais cogné contre d’autres sacs, tous les autres sont tombés sur moi. J’ai eu l’impression à ce moment-là, que je portais votre croix mon doux Jésus… Ils m’ont demandé de me reposer, mais j’ai insisté pour continuer en faisant une petite pause.

Chaque jour, je mentais en disant qu’il ne fallait pas faire venir le médecin, mais que c’était la chaleur qui m’empêchait de dormir. Est-ce-que j’ai bien fait de mentir à mes frères bien-aimés ? Je ne veux pas leur montrer que j’ai une faiblesse alors qu’ils ont besoin d’aide à la boutique. Il fallait impérativement récolter cet argent pour avoir un nouveau toit ! Nous y sommes presque Ô Jésus-Christ, encore quelques gains et nous pourrons le réparer ! De plus, comme le frère Philémon et le frère Jean-Baptiste ne peuvent pas nous aider et que nous sommes devenus peu nombreux, il fallait bien que les autres aient besoin d'aide ! Je ne peux pas les abandonner, c’est plus fort que moi… Il faut que j’arrête de me plaindre de mes maux de tête et de mon incapacité à soulever des sacs, car je me suis énervé contre un moine… Et je me suis très vite excusé et maintenant, je m’en veux de m'être comporté ainsi… Pardonnez-moi, je n’aurai pas dû m’énerver contre mon extrême fatigue et mon manque d’énergie contre lui… Mais la récolte est plutôt bonne cette année. Les blés poussent grandement bien, l’eau ne leur manque guère et peu d’oiseaux viennent les picorer. Nous avons trouvé des techniques pour qu’ils n’en prennent plus. Le seul problème reste les souris, je me demande si du poison pourrait faire l’affaire… mais tant qu’elles ne grignotent pas les tiges ou qu’elles ne propagent pas de maladie, c’est une bonne chose mais je me méfie tout de même. Elles viennent souvent fouiner dans les sacs à grains. Le frère Jérôme s’est occupé du levain et il grandit bien ! Nous pourrons bientôt lancer des nouvelles fournées pour préparer des nouvelles spécialités en commençant par la brioche. J’ai récupéré une vieille recette de ma grand-mère, elle me l’avait offerte lorsqu’elle était revenue à l’Abbaye pour prendre de mes nouvelles. Au passage, je vous embrasse très fort ma petite Bonne Maman. Vous avez été un modèle pendant toute ma vie, sachez le, c’est grâce à votre foi que j’en suis arrivé là. Comme j’ai encore le temps devant moi, je voulais vous rappeler un vieux souvenir qui m’est revenu à la mémoire.

Nous étions avec mes amis étudiants, nous formions une super bande avec Joseph, le futur marié de Coline, Marguerite sa grande sœur, Philémon et un autre ami, Louis, mais qui nous avait quitté pour changer de voie. Joseph nous racontait à quel point il voulait devenir avocat, c’était une grande passion qui lui était venue lorsque son arrière grand oncle était venu à la maison pour en discuter avec ses parents et cela l’avait grandement marqué. Coline nous racontait qu’elle désirait devenir patineuse professionnelle, car elle en faisait depuis l’âge de ces cinq ans et Philémon partageait le même avis, comme sa mère avait réussi à gagner plus d’argent en changeant de métier. Quant à Marguerite, elle ne savait pas trop où se diriger, mais elle disait pour nous faire rire qu’elle voulait devenir mère au foyer et que c’était son plus grand rêve d'avoir beaucoup d’enfants, mais elle avait choisi la même filière que moi. Quant à Louis, il désirait devenir garagiste. Tout le monde me posait la question de ce que je voulais faire plus tard, je leur répondais que je voulais devenir un grand médecin. J’avais bien remarqué que Philémon, mon meilleur ami, était tombé amoureux de Coline. Il me racontait combien les séances de patinage artistique lui plaisaient quand il était seul avec elle. Ils avaient commencé à avoir un classement, ils désiraient tous les deux être de bons professionnels pour participer à de vrais tournois. Il me racontait combien il était difficile d’avouer ses sentiments pour Coline. Elle lui avait raconté qu’elle désirait rester célibataire toute sa vie parce que trop de garçon lui avait demandé sa main et qu’aucun ne lui plaisait.

Un jour, j’avais dû sauter les cours pour me rendre à la boulangerie, car les moines avaient besoin d’aide. J’avais servi la clientèle pratiquement toute la journée. Au moment où je désirais faire ma pause, la porte s’ouvrit et une jeune femme rousse fit son apparition. Elle portait de grandes boucles d’oreilles d'argent en cercle, elle avait de long cheveux bouclés et des yeux verts luisants. Elle portait une robe à manche bouffante et à ses pieds, de jolies talons à aiguilles. Elle s’était approchée du comptoir et avait sonné. J’avais nettoyé mes mains sur mon tablier bleu et regardé la cliente en lui disant que j’allais fermer, mais quand je vis qu’il s’agissait de Marguerite, je lui avais dressé un beau sourire et m’étais approché de la caisse.

— Oh, bonjour Marguerite !

— Bonjour Barthélémy ! Je comprends mieux pourquoi tu n’es pas venu aujourd’hui…

— Hé oui, mes frères avaient besoin d’aide alors je ne pouvais pas refuser.

— Pff, t’es toujours serviable et tu ne changeras jamais, siffla-t-elle pour rire.

— Que puis-je pour vous madame ?, avais-je rit à mon tour.

— Mmm je voudrais bien une bannette et vous inviter au restaurant !

J’avais pris la bannette qui se trouvait derrière moi et l’avait posée sur le comptoir. Nous n'arrêtions pas de rire lorsqu’elle m’avait déclaré cette invitation si soudaine. Je lui demandais de payer et elle me sortit quelques sous de sa poche.

— Alors ? Tu es pour ?

— Oh oui ! Je meurs de faim ! D’ailleurs, en parlant de restaurant, j’ai quelque chose à te dire.

Pour moi, il était évident de lui en parler, car cela me tenait à cœur, depuis le temps que j’attendais. Toute rouge, elle fit « oui » de la tête, prit son pain et m’attendit pour que nous partions au restaurant.

Une fois prêts, nous longeons le bord du Doubs pour arriver à un petit restaurant qui se situait non loin du lycée. Nous nous posions au bord d’une terrasse en nous baignant sous la douceur du soleil. Nous prîmes une commande et continuions à papoter de nos amis, des études, de nos familles, jusqu’à ce que nous parlions d’avenir. Elle sortit une cigarette de son joli sac à main et commença à fumer.

— Écoute heu.. Marguerite, j’ai hum… Quelque chose à te dire…

Elle s’arrêta brusquement de fumer et écrasa sa cigarette au sol. Elle se mit à tousser de travers et s’installa comme il faut pour entendre la suite de mon discours. Elle fut stupéfaite en devenant complètement rouge.

— Je ne sais pas comment te le dire, mais c’est quelque chose qui me tient vraiment à cœur.

— Vas-y, je t’écoute, disait-elle en posant ses longs cheveux sur son épaule gauche.

J'avais pris une grande respiration avant de me lancer.

— Voilà je…

Je m’étais pincé très fortement les lèvres en ayant les larmes aux yeux.

— J’ai envie de devenir moine.

Bouleversée, elle se racla la gorge en s’enfonçant dans son fauteuil.

— Oh je… je vois… Félicitations !

En me complimentant tout le long du repas, je l’avais remerciée pour le soutien qu’elle m’apportait, jusqu’à ce que Philémon débarqua dans la brasserie et nous vîmes tous les deux.

— Oh, bonjour Barthélémy ! Des élèves de ta classe me demandaient où-tu-étais passé ?

Je le saluais en serrant sa main contre la mienne.

— Je m’occupais de la boulangerie et j’annonçais justement à Marguerite que je voulais devenir moine.

— Wouaw ! Félicitations ! Je suis content pour toi, d’ailleurs, moi aussi j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer !

Il commença à s’installer près de nous en demandant à Marguerite si ça ne la dérangeait pas que nous puissions discuter à trois. Elle répondit très gentiment que non et Philémon continua de poursuivre son discours.

— Tu penses que c’est une bonne idée si je demandais ma main à Coline ? Parce-que je lui ai proposé de venir patiner dans le Doubs et je pensais faire ma déclaration à ce moment là…

J’avais donné une bonne frappe à son dos et lui avais dit que c’était une excellente idée ! Il nous avait montré la bague et Marguerite était stupéfaite.

— Wouaw, pour une bague, c’en est une… Elle sera ravie… marmonna-t-elle en fumant une nouvelle cigarette.

— C’est vrai ? Elle aime bien le saphir ta sœur ?

— Mais oui ne t’inquiète pas, tu te fais un sang d’encre ! Allez file, va voir ta futur fiancée ! Depuis le temps que tu nous en parles !

— Merci beaucoup ! Oh comme j’ai tellement hâte !

— N’oublies pas de venir en cours, riais-je.

— Ah oui c’est vrai, aller Phil, tu peux le faire, oui tu peux le faire !

— T’inquiète pas, je suis sûr qu’elle dira oui.

— Merci Barthe pour ton soutien, merci à vous deux !

Enfin bref, ce fût le plus beau moment de ma vie. J’avais enfin déclaré mon amour que j’éprouvais pour vous, et j’étais heureux de l’avoir fait devant ma meilleure amie. Tout ça lors d’un repas, d’un samedi douze décembre, dans un hiver plutôt doux, pour vous dire à quel point je vous aime.

Signé, le père Théophane

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