UN PAPA PROTECTEUR

8 minutes de lecture

Xavier, le premier, se reprit et dit :

— Qui peut bien vous appeler si tard ?

— Sûrement mon père... Il sait que dans la journée, je suis très occupé et donc rarement joignable. Alors, il attend le soir.

Obi arriva à cet instant avec le combiné. Il le confia à Naël en disant :

— Votre père, Monsieur.


L'hermaphrodite s'en saisit

— Bonsoir Papa !

— Bonsoir, mon enfant, comment vas-tu ?

— Je suis en pleine forme.

— J'en suis heureux, et ma petite princesse va-t-elle bien ?

— Très bien aussi, elle babille constamment, mange comme un ogre et court partout... À quatre pattes, j'entends...

L'homme au bout du fil soupira :

— Comme elle a dû changer, près de six mois que je ne l'ai vue !


Il reprit :


— Tu as reçu mon paquet ?

— Je suis allé le chercher aujourd'hui, il y a eu une accalmie ce matin, j'en ai profité.

— J'espère que c'est la bonne taille, les bébés grandissent tellement vite !

— Rassure-toi, cela lui ira tout l'hiver. Il est adorable et je t'en remercie chaleureusement !

— C'est si peu de chose, j'aimerais pouvoir faire plus.

Il parut hésiter puis dit encore :

— Écoute, je voudrais que tu reconsidères ta position et que tu viennes passer l'hiver à HarÏa.

— Papa, nous en avons déjà parlé !

— J'ai une bonne raison d'insister, mon enfant, as-tu lu des journaux récents ces jours-ci ? Où regarder le tridi ? 

— Tu parles de ce soldat d'Ikos ? Papa, je ne risque rien à la ferme. Le climat même est une protection. S'il est dans le coin, tout soldat qu'il soit, il aura gelé sur pied. Puis Obi est là pour me protéger.

— Tu sous-estimes les unités de combat d'Ikos. Quant à ton robot, je n'ai pas beaucoup confiance en lui !

— Je ne suis pas une petite chose fragile et puis, je me barricade, tu ne dois pas t'inquiéter pour moi.

— Je suis ton père, je revendique le droit de m'inquiéter.

Naël leva les yeux au ciel avant d'assurer :

— Rassure-toi, je me débrouille très bien tout seul. N'aie plus d'angoisse.

Naël entendit son père soupirer puis dire :

— Tu es si têtu ! Au moins, si tu acceptais de vivre au village... Quoi qu'il en soit, sache que si au printemps, ce soldat n'a pas été retrouvé, je t'enverrai des hommes à moi, afin que ta propriété soit gardée.

— Papa, c'est exagéré !

— Ne conteste pas, sinon je te fais revenir à Harïa, séance tenante !

Naël abdiqua :


— Comme tu voudras !

Ils échangèrent encore quelques mots puis tous deux raccrochèrent. Xavier qui évidemment n'avait pas dit mot durant cette communication contemplait Naël. Celui-ci redonna le combiné du téléphone à Obi, puis revint auprès de Xavier. Naël hésita puis déclara :

— Il y a une chose que vous devez savoir sur moi.

— Laquelle ?

— Mon père est membre du gouvernement d'Espar.

Xavier se raidit légèrement, il demanda :

— Influent ?

— Il est ministre de la Défense.

L'homme n'eut pas de réaction visible, mais Naël pensa qu'il devait être inquiet. Xavier reprit la parole.

— Je suis surpris. Vous pourriez vivre tranquillement, dans l'entourage de votre père, et vous avez choisi cet endroit ? Cela m'intrigue.

— J'ai suivi mon époux et je me suis juré que c'est là que j'élèverai ma fille, loin des hautes sphères, des intrigues politiques et des faux-semblants. Je ne regrette pas mon choix.

Xavier ne répondit pas. Néanmoins, il trouvait cette coïncidence presque comique. Le père de Naël était sans doute parti prenante dans le dispositif de recherches le concernant. Cet homme ne s'imaginait même pas que c'était chez son enfant qu'il s'était réfugié !

Naël assura :

— Ne vous inquiétez pas, je ne fais pas de politique et j'ai mon libre-arbitre quant à mes idées.

— J'ai confiance en vous, je trouve juste la situation ironique. Pas vous ?

L'être-double haussa les épaules, puis vérifiant l'heure, il déclara :

— Bien, il est déjà tard. Il est temps d'aller dormir.

Il ordonna à Obi :

— Verrouille les portes.

L'homme se leva en déclarant :

— Vous avez raison, la nuit porte conseil.

Ils se séparèrent sur un bref salut et chacun retourna dans sa chambre. Pendant ce temps, dehors, la neige tombait toujours et un vent glacial soufflait sur la propriété. Fort heureusement pour Xavier, l'hiver poursuivait son offensive.


Harïa, Capitale d'Espar, ministère de la Défense

Dreen, après avoir raccroché, s'exclama intérieurement : "Quelle tête de mule !" Il secoua la tête se leva pour se placer devant la fenêtre. Dehors une pluie fine et drue tombait sur les arbres du parc du palais gouvernementale. L'humeur du ministre s'assombrit, Il n'avait pas quitté son bureau depuis deux jours. Savoir ce soldat d'Ikos hors contrôle, en balade sur Espar, le terrorisait presque.

Mais la présence du Général Auker le préoccupait encore plus. En bon militaire, il n'aimait guère qu'un représentant d'un état aussi agressif que l'Empire d'Ikos soit sur Espar, ce malgré les accords signés entre les deux états.

En tous les cas, dès l'annonce de leur arrivée, Le soupconneux Deen avait verrouillé tous ses services, doublé la garde aux endroits stratégiques de la planète, et était prêt à toute intervention, si, en fait, la fuite de ce soldat n'était qu'un prétexte. Il savait que cet Empire ne respectait pas toujours les traités.

Le premier ministre lui disait constamment :

— Vous êtes trop méfiant.

Il préférait cet excès de prudence à une trop grande confiance qui pourrait les mettre en danger, il pensa encore : "Nous jouons dangereusement."

Qu'y pouvait-il ? Même s'il avait de l'influence au sein du gouvernement, il devait se plier à la diplomatie voulue par le Président. Il cessa d'y songer. Ses pensées se tournèrent vers Naël.

L'homme retourna à son bureau. Il se saisit de l'holographie de son enfant. Elle le représentait avec un tout petit bébé dans les bras. Lita n'avait que quelques jours à peine. Il se répéta :  "Il est si têtu."

Il reposa l'holographie et sortit un dossier. Ce n'est pas cette nuit-là qu'il pourrait se reposer...


Appartement du Général Auker

Le Colonel entra dans le salon en compagnie du Général. Celui-ci disait à son subalterne :

— Il ne faut pas s'attendre à ce qu'il y ait des résultats aussi vite, d'autant plus que X 212, est notre meilleur Alpha. Il parviendra à se fondre dans la population afin d'assurer sa survie. Malgré sa déconnexion, il garde ses capacités.

— J'en suis sûr, mon Général. C'est juste que je me méfie des Espariens, surtout de Dreen. Ne trouvez-vous pas qu'il est à notre encontre un peu suffisant ?

— Méfiant tout au plus, ce qui est légitime. Il est militaire, sans doute croit-il que retrouver notre soldat rebelle est un subterfuge pour évaluer les forces d'Espar.

— Vraiment ?

— C'est ce que je penserais. La paranoïa est une qualité chez un soldat.

Auker précisa :

— C'est un grand soldat. J'ai eu le temps de l'évaluer, il aurait mérité des nôtres. À ce propos, avez-vous les renseignements que je vous ai demandés ?

— Je n'ai pas pu pousser trop loin mes investigations, mais j'ai le principal.

Il sortit de la mallette qu'il tenait en mains, une chemise, puis commença :

— Auzon Dreen, 55 ans, issu d'une longue lignée de soldats. Depuis dix générations, tous les hommes de sa famille ont fait carrière chez les militaires. Auzon Dreen est le seul à s'être engagé en politique et à être parvenu à un poste aussi influent. Il est veuf et père d'un seul enfant : Naël, 19 ans, qui ne vit pas avec lui. Naël est propriétaire d'une ferme assez importante, qu'il gère seul depuis la mort de son époux. La naissance de sa fille n'a rien changé à sa décision de vivre loin de la capitale, cela malgré le désaccord de son père.

Il referma la chemise.

— C'est tout, rien sur ses états de service ?

— Je vous ai dit que je n'avais pas pu pousser trop loin.

— Hum... Essayez d'en savoir plus malgré tout... Pour les autres membres du cabinet gouvernemental ?

Le Colonel sortit d'autres dossiers et poursuivit son rapport.


Plusieurs jours plus tard, propriété de Naël

La neige, une fois encore, avait cessé de tomber, mais la couche était si épaisse qu'elle empêchait toute circulation. Par ailleurs, la température extérieure avoisinait les moins vingt degrés dans la journée et descendait à moins trente, la nuit.

Cela ne préoccupait pas Naël, il avait l'habitude. Xavier émerveillé, trouvait le paysage magnifique et le silence de l'hiver aurait pu faire croire qu'il serait protégé de tout jusqu'à la fin des temps.

Quoi qu'il en soit, il ne passait pas son temps à contempler la campagne enneigée, bien au contraire. Il avait pris en charge la comptabilité du domaine, ce qui permettait à Naël de se reposer un peu et, pour la première fois depuis la mort de son époux, se détendre.

Parallèlement à la comptabilité, Xavier le suivait parfois sur les différents sites de son exploitation.

Il visita les étables, le poulailler, la bergerie, les serres où les fruits et les légumes indifférents au climat extérieur poussaient en toute tranquillité.

La plupart de ces denrées, Naël les conditionnait afin de les expédier dès que le temps le permettait à ses clients de la région. Ainsi, les végétaux étaient placés dans des conteneurs spéciaux, munis d'un dispositif qui stoppait la maturation, ce qui permettait aux clients de les recevoir aussi frais que le jour de leur récolte.

Pour le lait de ses différentes races de vaches, chèvres ou brebis, les choses se passaient différemment. Sa ferme était raccordée à un réseau de canalisations enfouies profondément dans le sol et qui courait sur toute la région. Automatiquement, les produits laitiers étaient acheminés en direction des nombreuses laiteries qui les stockaient.

Les règlements étaient ensuite virés sur le compte de l'exploitation. Quoi qu'il en soit, Xavier commença également à l'aider pour cela, bien sûr uniquement pour les travaux de force, quand ses robots étaient tous occupés, Naël n'hésitait plus à faire appel à lui lorsqu'il fallait soulever de lourdes caisses remplies de denrées diverses.

Au terme d'une quinzaine de jours, l'homme totalement adapté à cette existence simple, faite de labeur quotidien, mais aussi de discussions avec l'hermaphrodite, apprit même à plaisanter et rire... En bref, il apprenait la vie.

Quant à Naël, il réalisait que la présence de cet homme à ses côtés était douce et il comprit combien cela lui avait manqué depuis la mort de son époux.

La complicité et l'amitié, lentement, se changeaient en quelque chose d'autre, plus profond, plus émotionnel. C'est lorsque la neige se remit à tomber que tous deux réalisèrent qu'à leur insu, de l'amour était né entre eux.

À ce moment, cela faisait un mois que Xavier vivait sur le domaine et, à la capitale, le Général Auker décidait de prendre lui-même, les choses en mains...

Aussi bien d'un côté que de l'autre, le cours des événements s'accélérait...

Annotations

Vous aimez lire Beatrice Luminet-dupuy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0