Défilé

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La première top modèle arrive. C'est une jeune femme a la peau mate, avec de long cheveux noirs attachés en une queue de cheval qui prend fin en bas du dos. Elle s'avance en marchant adroitement au rythme de la douce musique électro qui l'accompagne. Elle est habillée d'un manteau blanc sans doute fait de velours et à la forme étrange. Le col est volontairement trop grand, le côté gauche est bien plus long devant que derrière, et seule la manche droite est faite de fausse fourrure. Son pantalon en cuir laisse paraître de faux effets mattelassés, et ses bottines blanches décorées d'une grosse fleur grise placée derrière semblent s'être trompées de collection.

J'entends des applaudissements étouffés par le son. En me retournant, je constate que l'entièreté de la salle félicite le travail accompli, pendant que la jeune femme tourne une dernière fois sur elle-même avant de repartir vers les coulisses. En deux clichés, j'immortalise son étrange ensemble, alors qu'elle s'éloigne de plus en plus. Et j'applaudis, par politesse. Je ne comprends rien à la mode, c'est loin d'être quelque chose qui m'intéresse. Et je me dis que finalement, avoir une cravate jaune fluo chez soi, ce n'est pas si ridicule que ça.

Je n'ai pas le temps de me faire cette réflexion que quelqu'un est déjà sur le devant de l'estrade. Un homme cette fois. La peau claire, les cheveux blonds vénitiens et coiffés à la Elvis Presley. Une horrible veste en jean aux couleurs chaudes est sur son dos. De grandes pièces de la même matière allant du jaune au marron ont été rassemblées aléatoirement pour créer un semblant de vêtement, je ne vois que cette explication. Son pantalon en velour au ton jaune moutarde n'arrange malheureusement pas les choses. Seuls ses baskets et son t-shirt noir me paraissent potables. Mais je m'abstient de montrer ma mine interloquée. D'un rapide coup d'oeil, je regarde mon voisin mitrailler son déclencheur. Je l'imite, prenant juste la veste en photo sous differents angles, et j'ovationne ensuite le mannequin qui repart aussi vite qu'il est arrivé.

Heureusement que le passage de chaque modèle ne dure qu'une minute. D'une oreille distraite, j'ai entendu tout à l'heure que les mannequins étaient seulement trente.

Patiemment, je regarde ces inconnus marcher vers moi avec confiance et grâce, s'arrêter, regarder devant eux sans émotion aucune tout en pivotant de droite à gauche, puis repartir. Le temps me paraît long, mais heureusement que les idées hors du commun du créateur me donnent envie de les garder en mémoire. Je me limite à deux ou trois photos par passage.

Je me concentre tantôt sur un bonnet rose aux motifs fleuris, ensuite sur une longue jupe voilée avec des jets de paillettes supposés la sublimer, puis plus tard sur un duffle-coat recouvert du mot "miaou" cousu dans toutes les couleurs et sur la moindre parcelle de tissu. Je compte le nombre de mannequins au fur et à mesure. 26, 27, 28... Hanna ne vas pas tarder.

La musique change lentement, les notes commençent à disparaître. Les lumières virent tranquillement d'un blanc aveuglant à un bleu électrique.

- Vous savez ce qu'il se passe ?

Je regarde mon voisin, sans doute avec un air aussi perdu que le sien.

- Aucune idée. C'est le clou du spectacle je suppose ?

Le son revient peu à peu à son volume normal. L'électro relaxante à laissé place à une forme de disco mélangé à des riffs de guitares hypnotisants et un air de basse à la fois sensuel et funky. J'entends les personnes autour de moi chuchoter, avec un ton inquiet et surpris à la fois. L'atmosphère change, et je décide de revenir fixer la scène pour voir la suite.

Hanna arrive avec le dernier mannequin masculin de l'agence. Elle me paraît encore plus fine qu'auparavant, je me demande combien de kilos elle a perdu depuis la dernière fois que je l'ai vue.

Ses cheveux roux sont remontés en un chignons serré, elle porte une robe a manches longues étonnement simple, d'un mélange de vert kaki et de beige. Ses collants noirs sont suivis par des bottes à talon brillantes de la même couleur. Une veste d'un marron vif est posée sur ses épaules. Son partenaire, un brun avec de courtes bouclettes, porte un pull en laine bleu marine avec des épaulières en cuir blanc. Son jean slim bleu turquoise laisse transparaître son évidente anorexie. Et enfin, ses tennis en toile sont signées par le créateur en personne. Une grosse signature que l'on voit et comprend bien.

Émilio Vasquez. Le fameux nom que j'avais oublié, et l'homme à l'origine de cette joyeuse soirée.

Hanna s'avance élégamment jusqu'au bout de l'estrade, sa main droite sur l'épaule de son associé. Ils s'arrêtent tout deux dans une parfaite synchronisation et font quelque chose que les précédents modèles n'avaient jusqu'ici pas eu l'occasion de montrer : ils sourient à pleine dents. Je comprends rapidement que leur prestation ne va rien avoir de commun avec les autres. Au lieu d'afficher leur profil à droite et à gauche, ils restent immobiles. Comme s'ils attendaient quelque chose.

Soudain, la sono s'énerve. Les hauts-parleurs jouent encore plus fort, la chanson change pour quelque chose de plus péchu et imprévisible. Comme un signal de départ, Hanna et le jeune homme se mettent d'un seul coup a se mouvoir.

Ils restent sur place mais se déchaînent. leurs gestes n'ont aucune coordination, ils inventent des pas de danse selon ce qu'ils entendent, ils tapent dans les mains comme pour motiver l'assemblée à faire de même. Hanna lâche un cri strident avant de bouger davantage, son compagnon l'imite et se met à genoux pour commencer a jouer un morceau d'air guitar.

Je suis abasourdi. Mais fasciné. Je colle mon oeil à mon objectif et prend des photos de chaque seconde. Les invités derrière moi sont outrés, je perçois leurs commentaires affligés, certains huent, d'autres partent en faisant grincer leur siège sur le sol.

Et moi, je me régale. Je me déplace pour immortaliser mon amie et son partenaire sous différents angles. Dans son euphorie, je la voit envoyer un petit clin d'oeil dans ma direction. Je pointe mon pouce en l'air pour la féliciter. Je me rends ensuite compte que le photographe de chez 'Elle' m'a suivi. Je lui souris.

- C'est une amie à moi ! dis-je en haussant le ton pour me faire entendre.

- Elle est géniale !

- Un peu folle mais oui, elle est surtout géniale.

Hanna pose ses mains sur ses cheveux et les libère d'un geste. Elle lance ses pinces dans la foule et, avec toujours plus d'énergie, se remet à danser. La macarena cette fois. Son ami se relève après avoir fini son solo de guitare imaginaire, il tire la langue tel le portrait craché de Mick Jagger, et pose ses mains sur ses côtes.

Il enlève son pull pour révéler un t-shirt blanc des plus simples. En un bond, il se retourne pour montrer une inscription au dos. "Émilio...".

Je prends un cliché.

Hanna secoue ses épaules et rattrape sa veste avec grâce avant qu'elle ne tombe à terre. Elle la retourne d'un geste et replace le vêtement sur elle, avec des mots inscrit dessus là aussi. "On démissionne !"

Comme mon confrère du magazine de mode, j'appuie sans m'arrêter sur le déclencheur alors que les deux partenaires partent à présent vers les coulisses, puis disparaissent.

La musique redevient calme, les projecteurs s'éteignent pour laisser place aux lumières de la salle principale. Mais cette fois-ci, elle est à moitié vide. Le volume baisse jusqu'à ce que le silence se fasse. Les personnes restantes discutent entre elle. J'entends des mots comme "honteux", "vulgaire", ou encore "choquant". Je les fusille du regard.

- C'était du grand spectacle je n'ai jamais vu ça.

Je porte mon attention sur mon voisin.

- Moi non plus. avouais-je. Je comprends pourquoi je devais absolument être là ce soir, j'aimerais voir des choses comme ça plus souvent.

- Vous avez dit que la jeune femme était votre amie n'est-ce pas ? Vous pensez que ça ira pour elle ?

Il est vrai que sur le moment, je n'y ait pas réfléchi. Hanna vient de faire une performance unique en son genre, mais ça lui coûtera sans aucun doute son travail. Transformer un événement huppé en soirée improvisée, ça ne sera pas sans conséquence.

Alors que je m'apprête à lui repondre, je sens mon téléphone vibrer. Un message d'Hanna.

"Merci d'être venu. Ne t'en fait pas je t'expliquerai tout demain autour d'un verre dans notre bar habituel si tu es dispo. J'en profiterai pour te présenter le beau gosse qui était avec moi ! Si c'est oui, 19h ça te va ?"

Je laisse s'échapper un souffle de soulagement. Visiblement, elle sait ce qu'elle fait.

"De rien, merci de m'avoir invité. Je te passerai les photos le plus tôt possible. Et c'est ok pour demain, 19h c'est parfait."

Je range mon téléphone dans ma poche et réponds enfin à mon acolyte d'un soir.

- Pardon, ne vous inquiétez pas. Elle a plusieurs cordes a son arc.

Je range délicament mon matériel dans ma sacoche et commence à me diriger vers la sortie. Je salue une dernière fois mon confrère, attrape quelques petits fours au passage, et quitte les lieux en riant. Vivement demain.

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