Jamais je n'aurais imaginé le résultat de ma demande. Si j'avais pu, je l'aurais reformulée, mais c'est apparemment impossible.

Lorsque ce type bizarre m'avait abordé dans la rue sans raison apparente pour me demander ce que je désirais le plus au monde, je pensais être la victime d'un canular innocent, façon caméra cachée. Mais le gars semblait sérieux, je réfléchissais un peu ma réponse, histoire de ne pas avoir l'air ridicule, au cas où se serait effectivement filmé.

Je répondais donc, après un cours instant de réflexion et un p'tit sourire au coin de la bouche :

— Je voudrais que désormais, tout me soit possible.

Le gars me sourit et me dit que mon vœu était exaucé. Puis il s'en alla et disparut comme il était venu.

Je rentrais chez moi, oubliant rapidement l'histoire. Je me rendis au travail les jours suivant sans que rien ne vienne me mettre la puce à l'oreille. Et à vrai dire, cette situation dura, encore et encore, jusqu’à ce qu'un jour, le type qui m'avais fait son numéro du génie de la lampe ne me rentre dedans au coin d'une rue.

— Alors, satisfait ?

Je ne compris pas tout de suite. Puis je reconnus le gars, me rappela de ce qu'il m'avais dit.

— Vous vous rappelez de tout les gusses à qui vous racontez vos salades ? Lui demandais-je, un peu énervé.

— Ça ne répond pas à ma question.

— Aucun changement.

— C'est de votre faute, alors...

Et il disparut de nouveau. Je le suivis du regard un moment, agacé. Puis je me remis en marche et, en réfléchissant bien, je n'avais rien essayé. C'était peut-être ce qu'il voulait me dire.

Pour voir ses vœux exaucés, il faut surtout s'en donner la peine.

Ô combien je me trompais. Ce gars n'avait aucune leçon de morale à transmettre. Je m'en rendis compte quelques jours plus tard, et de la pire des façons.

Je rentrais chez moi à pied après une soirée chez un ami quand, en traversant la rue et sur les clous s'il vous plaît, je faillis être renversé par un jeune chauffard-crétin-agressif. Aucune mention inutile, je vous jure. Non content d'être passé à un quart de cheveu de m'envoyer à l'hosto ou au cimetière, il m'injuria copieusement, mettant en doute mon hétérosexualité, son copain hilare à côté de lui. Je me retenais de lui conseiller d'aller demander conseil en la matière auprès de sa chère maman à grand peine et laissais filer le beauf dans sa golf au pot trafiqué. Mais je me sentais quand même furieux. Alors qu'il allait disparaître dans un virage à une cinquantaine de mètres, je lançais à son véhicule un dernier regard haineux, m'imaginant faire exploser sa caisse à distance. Le réalisme de la scène qui suivit me força à l'immobilité. J'étais persuadé d'avoir fait travailler un peu trop mon imagination. Les cris d'horreur et de panique finirent par me convaincre du contraire.

Nom de Dieu ! C'était vrai. Plus vrai que vrai. Je venais d'utiliser pour la première fois ce don qu'un être imbécile m'avais confié dans le seul but, sans doute, de se divertir. Et je venais d'envoyer deux jeunes types, un peu cons c'est vrai, dans l'au-delà. Mais ils ne méritaient sans doute pas ça.

Je rentrais chez moi, complètement déboussolé.

Aujourd'hui je vis mieux, mais je suis passé par un grand nombre de gros problèmes de ce genre avant de savoir me contrôler. La clé, c'est de se rappeler ce qu'on souhaiterais faire et ce que l'on veux effectivement faire. La frontière peut vous sembler mince, mais je vous assure qu'elle est bien plus infime encore que ce que vous pouvez vous figurer.

Imaginez cet instant ou votre chien vous tape sur les nerfs.

Pire.

Imaginez cet instant ou votre enfant vous tape sur les nerfs.

Et vous n'avez aucun moyen de vous contrôler vraiment. Le seul remède c'est de renoncer à ses sentiments, à la colère, à la peur, à la haine ou à l'amour ; toutes ces émotions qui altèrent notre jugement. Vous devez devenir un être froid et distant.

Je vis seul. Pas par choix, mais par peur. Alors que je peux rendre n'importe qui fou de moi en quelque minutes juste en faisant des choses incroyables.

Imaginez : rien ne vous est impossible. Vous souhaitez voler, il vous suffit de le faire. Vous voulez passer au travers des murs, vous trouver à un autre endroit ? Rien de plus facile.

Les seules choses que vous ne pouvez pas faire, ce sont les choses que vous ne pouvez ni comprendre ni imaginer.

J'ai essayé maintes fois de retrouver ce type qui m'a fait ça, mais c'est une chose impossible. J'imagine qu'il s'est protégé, d'une manière ou d'une autre, ou tout bonnement que je n'ai pas réellement compris ce qu'il m'a fait.