Chapitre 1: La Taverne "Les trois Cornes" (2)

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Un choc brutal continuant en un bruit strident détonna. La dague du jeune garçon fut déviée si vite que sa mémoire était sèche de toutes images. Il s’écroula penaud sur les fesses.

Un instant après, la dague tomba à côté de lui. Il récupéra son arme et la découvrit ébréché sur le tranchant.

L’homme étrange rengaina une lame de poing en la faisant voltiger entre ses doigts.

Quelques clients du bar regardèrent cette scène soudainement intéressés, mais l’appel de la chope détourna leurs attentions. Devant l’apathie générale, le jeune garçon se sentait impuissant et son imagination lui faisait pressentir le pire. Malgré tout, dans un sursaut d’orgueil de nature il bomba le torse. Si son heure était venue, il se devait de rester digne.

– Tuez-moi, ou rendez-moi ma bourse, tonna-t-il la voix tremblotante qui sur la fin reprit les aigus de l’enfance.

Il se redressa sur les genoux. L’inconnu de sa hauteur marqua un regard fixe et prédateur. Le garçon trembla. Prestement, l’autre s’accroupit à son niveau.

Face à face, les nez se touchant presque, le garçon se perdit dans les grands yeux blancs de l’inconnu. Il se découvrit une ascendance animale, un instinct qui le poussait à la soumission.

La pièce entra dans le champ de vision du jeune garçon.

– Tu peux me la donner, demanda l’inconnu d’une voix légèrement nasillarde.

– Pardon, reprit le garçon.

L’autre se releva.

– Oui… je sais que je demande ça comme ça, mais j’ai perdu un pari avec une saloperie d’archer et je lui dois une pièce d’argent avant minuit, sinon… vous ne voulez pas savoir, expliqua-t-il en agitant ses mains et en cherchant ses mots.

– Eh bien… dit le garçon en se relevant. Je consens à vous la donner à la condition que vous buviez un verre avec moi et que vous répondiez à mes questions.

Malgré ce bousculement d’émotion, le garçon vit chez cet inconnu la possibilité de trouver les informations qu’il cherchait.

– Parfait ! dit-il avec volubilité.

Les deux se rassirent au moment où la tenancière arrivait derrière le bar. Le jeune voyageur posa une pièce de bronze sur le comptoir et demanda une bière pour son étrange ami. Elle arriva un instant plus tard avec quatre pièces de cuivres jetés dans la foulée.

– La spécialité également appelée le trois-cornes d’où le nom du bar, commenta l’étrange homme fasciné par le liquide dans la chope du garçon.

Ces attitudes étranges donnaient à penser au garçon que son interlocuteur était soit engourdi soit un peu limité.

– Je sais… on m’a vanté plusieurs fois cette boisson à la cap...

Le garçon s’arrêta. Son aisance dans la parole pouvait lui coûter cher. Il devait distiller ses informations avec parcimonie. L’autre ne le montra pas, mais il avait remarqué cette retenue. Pour tromper son malaise, le garçon goûta à nouveau le breuvage et refoula un rot qui trahit une expression d’insatisfaction.

– Alors, reprit le voyageur, j’aurais quelques questions… vous m’écoutez ?

Son interlocuteur lorgnait avec envie le verre à peine touché.

– Ohh par la Créatrice, prenez cette chope et écoutez-moi !

Satisfait, l’homme obscur se frotta les mains avant de vider la moitié cul sec. Il gardait la précaution de dissimuler son visage avec sa main, arrêtant là la curiosité du garçon. Après avoir terminé son verre, il s’affaissa dans son siège une main sur le ventre.

– Vous savez pourquoi on l’appelle la spécialité ?

Le garçon remarqua que le timbre de la voix de l’autre avait changé. Une sorte de fermeté et d’intelligence perspicace avait remplacé le caractère hébété et frénétique. Après avoir bien marqué son silence, il reprit.

– … Eh bien, c’est parce qu’on ne sait pas ce qu’il y a dedans. On peut deviner un léger goût d’hydromel ! C’est un jeu ici de trouver. Marmine qui a inventé la recette ne l’a révélé à personne, termina-t-il en tendant son doigt vers la femme qui faisait le service.

Elle avait les cheveux courts et gris, la mine rude et renfrognée, mais malgré son âge elle conservait une forme de jovialité dans le sourire. Elle était petite et son embonpoint lui donnait une silhouette arrondie, mais équilibrée.

– Pourquoi vous me dîtes ça, demanda le garçon.

– Eh bien, même si je ne sais pas de quoi est faite la spécialité, ça ne m’empêche pas de la déguster. Malgré tout ça ne m’empêche pas non plus de vouloir savoir ce qu’elle dissimule ! On ne sait jamais. Vaut mieux savoir ce genre de chose, vous ne croyez pas… Et puis, je me disais que vous racontez une anecdote sur cet endroit vous ferez réfléchir à deux fois si vous comptiez faire du grabuge. Qu’on se le dise, si vous voulez remettre ça, je vous calmerais pour de bon !

Le garçon frissonna. L’homme en face jouait un double-jeu. Ses frasques et attitudes étranges dissimulaient un tempérament avisé .

– Certes, finit-il par répondre, comprenant la situation. Mais, vous m’avez tout de même volé ? Et si je puis vous rassurer. Je ne compte pas m’éterniser.

– L’homme révèle ça vrai nature quand il est acculé. Quand sa part animale rejaillit des tréfonds et consume la raison. Là, il n’y a plus de mensonge et l’on peut réellement savoir à qui on a à faire.

– C’est l’intelligence et la raison qui nous distinguent de l’animalité !

L’homme rit.

– La raison est un masque, une facétie de l’esprit pour déguiser nos pulsions. On a beau vouloir s’en départir, elles demeurent et nous envahissent, même dans nos actes les plus médités. L’homme n’est pas maître des forces qui le traversent.

– Vous parlez bien pour un pauvre hère.

– L’habit ne fait pas le mendiant ou la couronne le Seigneur… Qu’est-ce qui amène un jeune garçon déguisé en voyageur des grands chemins, mais aux attitudes de nobles dans ce bourbier ?

En finissant sa phrase, il appuya son regard sur le garçon. Ce dernier se sentit comme traversé par les deux grands yeux blancs. Les pupilles se gonflaient lentement et repoussaient les limites de ses pulpes vitrées, puis l’espace alentour. Le garçon se sentait aspirer à l’intérieur de lui-même. Incapable de bouger, il se laissa envahir par une pression qui écrasa son esprit jusqu’à se sentir disparaître.

C’était comme être en état de demi-sommeil. Le garçon sentait son corps allégé, presque flottant. Tout lui paraissait lointain et irréel. Cependant, il distingua l’écho d’une voix posant des questions, puis remarqua que, malgré lui, sa bouche répondait. Sa volonté ne pouvait faire le choix de sceller ou non ses mots. Il tenta de résister. Dès lors, il se sentit happé dans un tourbillon d’obscurité, comme si sa conscience était repoussée dans les profondeurs de son esprit.

Un étrange paysage s’ouvrit à lui. Il se voyait dans un monde ravagé. Partout des bâtisses et des châteaux dévastés. La terre exultait une fumé noir. Tout était ténèbres et désolation. Un vent de face charriait les débris de ce monde en berne. Dans l’horizon lointain, une étrange lumière orangée, diffractée par des nuages de poussière, dans lesquels serpentaient à l’horizontale des éclairs rouges, ouvrait le regard à une vision apocalyptique plus étendu. Un son guttural venant des entrailles de la Terre faisait trembler le sol. Une obscurité s’étendit sur le garçon et ce monde. L’ombre de l’aile d’un oiseau gigantesque qui déployait son aile serra le garçon. Son cœur s’accéléra et la peur le fit tomber à genou. Il vit la face du rapace dépasser les nuages et tourner son regard vers lui. À ce moment, une étrange pression lâcha dans le jeune homme. Il entendit le bruit d’une chaîne d’acier taper en continu contre un sol en pierre. Ce son ouvrit en lui la porte à une colère refoulée. Dans un cri mêlant rage et peur, il devint la source d’une explosion qui oblitéra le monde et l’oiseau.

Les yeux de l’inconnu affichèrent une surprise non feinte.

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