CHAPITRE 15 : Le commerce du sentiment

3 minutes de lecture

Aujourd’hui, aimer est devenu un marché.
Un marché froid, bruyant, où les hommes échangent des sentiments comme des marchandises.
On donne un peu d’attention pour recevoir un peu d’écoute.
On offre des paroles pour obtenir une faveur.
On prétend s’intéresser… pour ne pas être seul.
L’amour, jadis gratuit, est désormais facturé.
Il faut être utile pour être aimé.
Il faut briller pour être entouré.
Il faut cacher ses failles pour espérer qu’on reste.
Et dans cette économie de l’émotion, les faibles sont perdants.
Le silencieux, on ne l’écoute pas.
Le pauvre, on ne l’approche pas.
Le juste, on le soupçonne.
L’homme n’aime plus son prochain. Il l’évalue.
Il calcule ce qu’il peut en tirer, et ajuste ses gestes.
Et quand il ne peut plus rien prendre… il s’éloigne.
Même les élans les plus sincères sont vite freinés :
— « À quoi bon aimer un homme qui ne pourra rien faire pour moi ? »
— « Pourquoi donner de mon temps à quelqu’un qui ne m’élèvera pas ? »
Et ainsi, les plus vrais sont laissés sur le bas-côté.
Ils deviennent les témoins amers de cette société de troc où l’amour ne survit qu’en solde.
Mais il existe encore, quelque part, un amour sans prix.
Un amour muet, discret, qui ne cherche ni reconnaissance ni retour.
C’est celui du vieil ami qui reste malgré l’échec.
Celui du frère qui tend la main sans poser de questions.
Celui du passant qui s’arrête pour écouter un cœur qu’il ne reverra jamais.
Ce sont ces gestes invisibles qui sauvent encore l’espoir.
Ils sont rares. Fragiles. Presque oubliés.
Mais ils sont la preuve que l’amour entre les hommes n’est pas mort.
Juste… abandonné.
Mis de côté pour des urgences plus visibles, pour des urgences moins vitales.
Et tant que l’amour ne redeviendra pas un choix sincère plutôt qu’un calcul froid, l’homme continuera d’aimer… à moitié.
Un vrai amour. Un semi-parcours.
Les murs invisibles
Dans les villes comme dans les villages, dans les bureaux comme dans les maisons,
l’homme construit des murs.
Pas avec du ciment.
Mais avec des peurs. Des blessures. Des silences.
Il ne les voit même plus, ces murs.
Ils sont devenus normaux.
On ne serre plus un inconnu dans ses bras.
On ne dit plus « je t’aime » à un ami sans qu’il ne se méfie.
On ne pleure plus à côté d’un frère, car on craint d’être faible.
L’amour est devenu suspect.
Celui qui aime trop est étrange.
Celui qui pardonne est naïf.
Celui qui tend la main est moqué.
Et pourtant, c’est dans cet amour que l’homme se guérit.
Pas dans les discours, pas dans les lois, pas dans les grandes réformes…
Mais dans la tendresse simple.
Dans la main posée sur l’épaule.
Dans le regard qui dit : « Je suis là, sans condition. »
Mais ces gestes font peur.
Ils brisent l’armure.
Ils dévoilent l’humanité qu’on tente de cacher sous des couches de fierté.
Alors on les évite.
On s’en moque.
On les oublie.
Et l’on avance, chacun pour soi,
dans un monde de plus en plus connecté, mais de moins en moins lié.
On partage nos vies sans vraiment les offrir.
On discute sans vraiment écouter.
On vit ensemble sans vraiment se connaître.
L’amour, ce lien qui faisait de deux hommes des frères,
s’est transformé en outil de stratégie sociale.
Et dans ce théâtre quotidien,
le cœur, lui, reste en coulisses… muet, invisible, ignoré.
Et pourtant…
Il suffirait parfois d’un seul mot sincère,
d’un seul acte gratuit,
pour qu’un mur s’effondre.
Mais qui osera ?
Qui, dans ce monde, brisera la chaîne des illusions
et fera renaître l’amour… dans toute sa vérité nue ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Joel koko ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0