Épisode 13 - Home, sweet home

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Londres, enfin !

Lars soupira de bonheur en faisant disparaître son portail magique d’un petit geste de la main. Non pas que la Norvège lui fasse horreur, c’était sa patrie après tout, mais le pays lui rappelait trop de souvenirs douloureux. A Londres, il n’en avait que des bons. Enfin… presque que des bons. Mais au moins, les mauvais n’étaient pas traumatisants.

Le vortex l’avait conduit directement devant chez lui. Avec le temps, Lars n’essayait même plus de se faire discret. Cela faisait belle lurette que ses voisins avaient arrêté de l’espionner. Fut un temps où certains avaient appelé la police et bien évidemment l'Église, affirmant que le “beau jeune homme” du 13 Hyde Park Gate était le diable, un vampire ou même Dorian Gray, tiens. Lars s’était fait un malin plaisir de les faire tourner en bourrique.

Heureusement, la génération actuelle était beaucoup trop centrée sur elle-même et ces affreuses choses qui lui servaient de téléphone pour lui prêter attention. Du moment que Lars ne faisait pas la une de ce qu’ils appelaient Internet, personne ne se souciait de lui.

Chose qui n’arriverait jamais bien entendu, parce que la technologie ne pouvait pas détecter la magie… n’est-ce pas ?! Lars n’y connaissait absolument rien en la matière, il constatait juste les faits : peu importe le nombre de caméras aujourd’hui braquées sur sa propriété, tout ce qu’elles arrivaient à filmer, c’était une banale maison de style géorgien avec son “élégante” façade plate et d’un blanc immaculé, ainsi que ses fenêtres en petit carreaux. Exactement la même que toutes les autres habitations du quartier en somme. Seule coquetterie que Lars s’était permise : un portail savamment forgé aux armoiries de son père… qui donnait cependant sur une cour aussi grande qu’une boîte à sardines.

Déprimant.

Heureusement que la réalité était toute autre : rien que l’idée d’habiter dans ce genre de bicoque étroite l’horripilait à un point ! Le jeune homme ne put d’ailleurs retenir un frisson d’horreur en s’avançant sous l’arcade de fer. L’air ondula brièvement lors de son passage, puis le décor se métamorphosa complètement tout autour de lui.

Au lieu de déboucher dans une petite cour proprette, il se retrouva face à un gigantesque parc recouvert d’un lourd manteau blanc. Les lieux étaient entourés d’une forêt immense et silencieuse. La cime des arbres se balançaient au gré du vent, celui-ci soufflait depuis le très grand lac situé derrière sa véritable maison : un vaste manoir qui dominait le paysage avec ses hautes tours et ses larges fenêtres ventrues.

Son petit nid douillet ! Lars embrassa l’imposante bâtisse d’un regard affectueux avant de remonter le chemin enneigé qui y menait. Il avait vraiment hâte de retrouver sa chambre.

Tout en marchant d’un pas rapide, le magicien gardait le blouson du petit Chat serré contre lui. C’était vraiment idiot, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Au moins, il n’avait pas le nez à nouveau plongé dans le vêtement, malgré l’envie qui le tenaillait ! Et il ne l’avait également pas enfilé, alors que la température glaciale était un bon prétexte pour le faire. Même si ce serait vraiment bête, parce que de un, il était insensible au froid et de deux, il aurait sûrement l’air ridicule dans cette horrible veste pleine de poches !

Lars s’arrêta un instant en soupirant bruyamment. Mais pourquoi se prenait-il autant la tête ? C’était affligeant. Il leva les yeux au ciel, puis reprit la route en pestant contre lui-même.

Le soleil commençait tout juste à pointer le bout de son nez, les timides rayons imbibaient l’atmosphère d’une aura mystique… Les lieux auraient pu être féériques s’il n’y avait pas eu les statues de pierre disséminées un peu partout. Elles représentaient toutes sortes de créatures dans des poses diverses : des vampires à moitié métamorphosés en nuées de chauves-souris, des démons rugissants et armés jusqu’aux dents, un dragon sur le point de cracher du feu… Il y avait même une bande de chasseurs de sorcières, avec toute la panoplie de l’époque : les torches, les fourches et tout. Ridicule.

Toutes ces œuvres d’art partageaient un point commun : leurs visages exprimaient l’horreur ou la terreur pure. Comme quoi, il ne fallait vraiment pas se frotter à Noro (1) quand elle était en colère… D’ailleurs, penser à cette dernière lui fit davantage presser le pas, elle détestait quand il rentrait aussi tard. Surtout que cette fois encore, Lars avait sciemment omis de porter les affreux gris-gris qu’elle s’obstinait à lui confectionner, soi-disant pour le protéger du mauvais sort lors de ses missions.

Quoique… il aurait peut-être dû les mettre ce soir.

Lars esquissa une petite moue en poursuivant sa route. Le chemin était bordé de buissons étrangement tordus, des petits yeux brillants apparurent entre les branches. Ils suivaient sa progression d’un air tellement mauvais que Lars secoua la tête avec exaspération. Quatre-cent ans de cohabitation et les gnomes restaient toujours aussi distants et désagréables avec lui. Non, mais quelle ingratitude franchement !

Ce n’était pas comme s’il demandait à être vénéré, non plus. Mais un minimum de reconnaissance par exemple ?! Ne serait-ce que pour toute la magie qu’il déployait depuis des siècles pour préserver les lieux des humains et autres créatures pas très sympathiques… Sans oublier l’urbanisation et la modernité qui sont un véritable fléau pour la faune et la flore magique. Au moins ici, elles pouvaient s’épanouir à leur guise...

— C’est bon, je ne fais que passer, grinça Lars en agitant une main agacée vers ses détracteurs, ces derniers continuaient de le mitrailler d’un regard plein d’animosité. Pas la peine de me fixer avec autant de bienveillance, vous allez me faire pleurer !

Il ne savait même pas pourquoi il supportait cette bande de ronchons mal lunés. Ah oui, parce que Noro les trouvait adorables et qu’ils le lui rendaient bien. N’importe quoi !

***

— Tu rentres vraiment tard de ta mission aujourd’hui. Je me suis inquiétée.

Lars se figea sur la première marche de l’escalier, alors que la voix de Noro claquait sèchement dans son dos. Lui qui pensait pouvoir se faufiler dans sa chambre ni vu ni connu, c’était râté. Il se retourna lentement en grimaçant un sourire.

Les bras croisés sur sa poitrine, la jeune femme se tenait au milieu du hall. Et bien évidemment, elle était déjà coiffée et habillée. Mais comment faisait-elle exactement pour être toujours aussi matinale ?! Un véritable mystère pour Lars qui avait toujours eu du mal à se lever avant 10 heures du matin. Avant, lui aussi aimait s’éveiller à l’aube, mais c’était il y a très longtemps… Quoique, il devrait peut-être reprendre les bonnes vieilles habitudes…

Bah, il verra ça plus tard. Pour l’heure, sa priorité restait Noro dont la tête contrariée ne présageait rien de bon. Ses longs cheveux noirs étaient ramenés sur chacune de ses épaules en deux épaisses tresses, elle le toisait en pinçant les lèvres. Ses airs bravaches étaient d’autant plus intimidants avec le masque en ivoire qui recouvrait la moitié supérieure de son visage. La surface lisse et d’un blanc immaculé contrastait joliment avec sa peau sombre. Et même s’il ne pouvait pas voir ses yeux, Lars les devinait aisément en train de le mitrailler avec colère. Elle était vraiment effrayante à cet instant précis.

— Qu’est-ce que tu racontes ? répliqua-t-il en agitant une main qui se voulait ennuyée dans sa direction. Il m’arrive de m’absenter plusieurs jours et tu ne t’es encore jamais fait de sang d’encre jusqu’à présent…

— Oui, mais là, il s’agissait d’une “ridicule petite mission de rien du tout et tellement indigne du puissant magicien que tu es”, le coupa Noro en reprenant exactement ses mots lorsqu’il lui avait annoncé ses obligations professionnelles pour la soirée. Ce genre de contrat ne te prend pas plus d’une heure ou deux… or tu t’es absenté presque 24 heures.

Elle parlait d’un ton toujours aussi sec, mais Lars la connaissait par cœur. Il ne rata pas la pointe d’inquiétude, voire même d'angoisse dans sa voix. Il la rejoignit aussitôt pour poser brièvement deux mains apaisantes sur ses épaules, puis se recula légèrement.

— La mission s’est finalement avérée beaucoup plus… compliquée que prévu, avoua-t-il avec une certaine honte, avant de se reprendre. Mais je suis là maintenant et je vais bien.

— Oui, mais regarde-toi, tu es dans un état lamentable ! Je sens que tu as été blessé et ton aura est instable… Que s’est-il passé ? Attends, laisse-moi deviner : tu t’es senti obligé de jouer les héros et sauver tout le monde c’est ça ?!

— N’importe quoi, grommela Lars en affichant une tête vexée face au petit sourire à la fois moqueur et agacée qui ourlait désormais les lèvres pleines de la jeune femme. Je ne vois pas du tout de quoi tu parles ! Tu me connais, l’héroïsme ne fait pas partie de mes qualités.

Mais oui, c’est ça, indiquait clairement la tête toujours aussi moqueuse de Noro. Elle ne fit cependant aucun commentaire et pointa un doigt sévère vers Lars.

— As-tu mangé ? Tu comptais monter te coucher le ventre vide ?! Adala (2), tsss…

Elle secoua la tête, puis se détourna pour se diriger vers les cuisines, tout en marmonnant dans sa langue natale. Lars ne saisissait pas tout ce qu’elle disait, mais il en comprenait assez pour savoir qu’elle venait de le traiter d’idiot.

— Installe-toi, je t’apporte le petit déjeuner…

Lars ne se le fit pas dire deux fois, son estomac le rappelant effectivement à l’ordre. Il se rendit dans la salle à manger qui jouxtait le hall. L’architecture mélangeait savamment le style viking et victorien : les boiseries et les tapisseries représentaient des runes et des symboles. Une longue table en bois sculpté et dont les pieds formaient des pattes de loups trônait au centre de la pièce. Elle se trouvait juste sous un immense lustre en fer forgé, d’où pendaient de longues gouttes en cristal. A cette heure, ces dernières faisaient davantage office de décoration que d’éclairage. Les rayons matinaux entraient en effet à flots dans la pièce, Noro ayant déjà tiré les rideaux des larges fenêtres. Dressées côte à côte face à la table, elles offraient une vue magnifique sur le parc.

Lars s’installa sur une chaise en soupirant d’aise, c’était tellement bon d’être de retour chez soi ! Si ça ne tenait qu’à lui, il ne quitterait jamais son domaine. Mais entre les Dieux et Cédès, c’était bien évidemment un rêve qui ne se réaliserait jamais. Et puis, il fallait voir le bon côté des choses : sortir lui permettait de faire des rencontres… intéressantes. Comme cette nuit. Et Lars se demanda combien de temps le petit Chat allait mettre pour le retrouver. Il avait l’intime conviction que le gamin ferait tout pour récupérer son blouson…

— Tiens. Mange tant que c’est chaud.

La voix de Noro, suivi d’un bruit de porcelaine qui s’entrechoque le fit revenir sur terre. Une bonne odeur de gingembre et de viande grillée envahit ses narines. Lars porta aussitôt un regard gourmand sur le contenu de son assiette, ou plutôt de son bol.

— Tu as préparé ta succulente soupe de riz (3), fit-il, en s’emparant de ses couverts d’un air ravi. Ah oui, c’est vrai, on est vendredi ! Journée spéciale recettes malgaches !

— Malagasy (4), corrigea Noro, en s’installant en face de lui.

Elle parlait d’un ton toujours aussi sec, Lars n’en prit cependant pas ombrage. Il avait l’habitude, Noro affichait une mine sévère en permanence. Et puis, de toute façon, le petit sourire en coin qu’elle affichait à cet instant précis, trahissant son amusement. Le menton coincé entre ses paumes, elle le fixait en silence, pendant qu’il mangeait.

— Alors, comment s’est passée ta journée ? s’enquit le magicien en savourant sa soupe.

Le mélange de riz, de brède et de gingembre, associé aux saveurs goûteuses de la viande, était tout simplement divin. L’ensemble fondait délicieusement dans sa bouche, réchauffait tout son être. Il ressentait toute l’affection que lui portait Noro à travers ce plat. Une profonde et sincère affection, rien de plus. C’était tellement réconfortant.

Mais en même temps, une vague d'anxiété s’empara de lui, surtout lorsqu’il repensa soudain à cette nuit. Il avait failli mourir. Et Noro se serait retrouvée toute seule.

— Est-ce que tu es sortie ? demanda-t-il alors avec une légère hésitation, en posant ses couverts. J’imagine que non, soupira-t-il ensuite, alors que son expression se fermait aussitôt comme une huître. Et pourtant tu devrais, Noro. Il faut que tu envisages l’éventualité que… je disparaisse un jour, est-ce que tu comprends ? Ne penses-tu pas qu’il est grand temps de renouer avec la société ? Tes pouvoirs…

— Tais-toi ! l’interrompit-elle aussitôt, en plaquant brutalement ses paumes sur la table. Tais-toi, Lars. Je ne veux plus t’entendre débiter des bêtises pareilles ! Tu ne vas pas disparaître et moi, je ne renouerais jamais avec la société, tu entends ? Tu sais très bien que c’est impossible ! Et si jamais, tu venais à mourir, alors je mettrais aussi fin à mes jours, comme ça je ne serais plus un danger pour qui que ce soit !

Noro s’exprimait d’une voix froide, implacable. Sa réponse eut le don d’énerver Lars au plus haut point, il repoussa franchement son bol d’un geste agacé. Il ouvrit la bouche pour répliquer vertement, mais la jeune femme le coupa dans son élan en se levant brusquement. Elle se dirigea ensuite à grands pas vers la sortie, les poings serrés et l’air vraiment enragé.

Lars poussa un petit soupir contrarié alors que Noro passait la porte. A chaque fois qu’il se décidait à aborder le sujet, la discussion finissait toujours dans une impasse.

— Termine ton plat, puis va prendre une douche. Tu pues, lui jeta-t-elle sèchement, avant de quitter la pièce, le laissant royalement en plan devant sa soupe désormais froide.

Coucou ! Voili voilà, c’était l’épisode 13 ! Enfin… la partie 1 :p J’avais tellement hâte de vous faire découvrir le domaine de Lars, mais surtout de vous présenter Noro ! Comment l’avez-vous trouvé ? Et sa relation avec Lars ? Qui sont-ils l’un pour l’autre, à votre avis ? Dites-moi tout !

Sinon, pour ce qui est des numéros annotés après certains mots, j’y viens ! Beaucoup d’entre vous l’ignorent, mais il se trouve que je suis de Madagascar, une merveilleuse île située dans l’Océan Indien (juste à côté de La Réunion)… eh ben Noro aussi XD alors je me suis dit que ce serait sympa de vous faire un peu découvrir la culture de mon pays à travers le personnage ! Hein, hein, z’en dites quoi ? Du coup, à chaque fois que des trucs malagasy (prononcez malagAsssssy) sont évoqués dans le livre, je vais mettre quelques annotations/explications en bas de page :D

Alors pour commencer (1) Noro : ça se prononce Nourou et ça veut dire « vie », « lumière »

(2) Adala (prononcez adAla) : « idiot » ou « crétin » en malagasy lol

Et justement en parlant du terme (4) Malagasy, les natifs de l’île le préfèrent à « Malgache » qui sonne insultant. Ben oui : « mal » et « gâche » (comme gâcher) dans le même mot, c’est pas cool !

Enfin, passons à la minute gourmande avec la (3) Soupe de riz ! Communément appelée « Vary amin’anana » (prononcez vAry amin’anAna) ou littéralement « riz aux feuilles », il s’agit d’une tradition culinaire ancestrale malagasy et qui se déguste généralement en petit déjeuner ou dîner.

La soupe est un mélange de riz, de brèdes hachés (souvent du cresson), le tout mijoté avec un peu de gingembre MIAM ! Et en accompagnement : des saucisses bien juteuses ou alors des filets de viande sautée… Ahhhhh mon dieu, j’ai faim !

Bon, sinon, voilà ! J’espère que ces petites explications vous ont fait plaisir :3 C’est tout pour aujourd’hui, je vous dis à très bientôt pour la suite !

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