La plage

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Le week-end suivant, nous nous retrouvons tous, comme souvent le dimanche, au bord de la plage, à côté du village. C'est le seul jour de la semaine où nous pouvons enfin nous détendre. En principe, nous partons le matin de bonne heure et nous passons la journée à nous prélasser au soleil, à nous baigner, à plonger avec de simples masques et tubas, à faire du surf sur les vagues avec des planches que les garçons ont eux-mêmes confectionnées. Le meilleur à ce jeu-là reste Phébé, le bourreau des coeurs ! Il y a toujours une fille pour l'admirer se pavaner sur sa planche, torse nu, les cheveux au vent ! Il faut reconnaître qu'il a de l'allure ! Un corps digne des gladiateurs romains et une chevelure bouclée d'un blond  très clair qui descend jusqu'aux epaules.

 Au loin, on aperçoit Fossea, cette immense bulle avec, à sa cime, des moteurs utilisant la force du vent pour faire fonctionner des micro turbines qui produisent de l'électricité. A la surface du dôme, les scientifiques ont installé des panneaux solaires thermiques (1) qui permettent l'évaporation de l'eau de mer grâce aux rayons solaires. Le sel et autres substances sont stockés d'un côté et à l'opposé, la vapeur d'eau est condensée pour qu'elle devienne potable. Tout est pensé pour s'autosuffire et faire vivre les populations. Il existe plusieurs sites sur la terre, tel que Fossea, éparpillés dans différentes régions encore habitables sur terre.

Autour du site, reliées les unes aux autres, de grosses boules blanches sont  ballottés par les flots et paraissent inoffensives. En fait, ce sont des explosifs qui détectent le moindre mouvement anormal et qui empêchent l'intrusion de toutes agressions extérieures contre le site et, par la même occasion, interdisent à quiconque de quitter Fossea ...

En l'air, tournoient de petits appareils chargés de repérer tout comportement inhabituel. Il y a eu des explosions dans le passé. Des personnes ont tenté de fuir Fossea. On a vu alors l'eau se teinter de rouge et une multitude de poissons carnivores se jeter sur les restes éparpillés. Ce fut une vision d'horreur !

Mais, pour l'instant, je suis sur le sable dans les bras de Loïs et notre conversation ne porte pas sur d'éventuelles victimes d'explosion mais plutôt sur son prochain départ.

— Tu t'en vas quand ? demandé- je à Loïs, tout en prenant sa main dans la mienne.

— Mercredi matin à neuf heures. Ça va me faire bizarre de retourner dans ma région voir mes parents, ma soeur et les gens du village. Je suis à la fois super heureux et en même temps triste de devoir te laisser.

Il me fait un regard tellement malheureux que je me sens dans l'obligation de le rassurer malgré la peine que je ressens à le voir s'en aller pour un mois.

— T'inquiète, je survivrai, dis-je, en riant . Pense au bonheur de revoir ta famille. Cela fait  six mois que tu n'es pas rentré chez toi. Tu verras, une fois là-bas tu te sentiras bien, insisté-je, pour essayer de le rassurer.

— Je sais, tu as raison. Mais j'ai de plus en plus de mal à supporter cette situation ! Tu laisses toujours quelqu'un que tu aimes quelque part. Ça ne devrait pas être comme ça ! s'énerve Loïs, agacé d'être toujours obligé de suivre les règles imposées.

— Tout à fait d'accord avec toi  mais malheureusement on n'y peut rien !

Et je ferme les yeux, me collant à lui pour le sentir encore plus près de moi.

On le sait. On voudrait tous échapper à ces conditions. On aimerait voir sa famille plus de deux fois par an. Mais nous n'avons pas le choix.

La mienne je l'ai vue il y a deux mois. C'était tellement merveilleux de retrouver ma mère, mon père et mon frère. Notre village se trouve à la campagne alors que la famille de Loïs habite un village de mer. J'ai adoré passer du temps avec les miens. J'ai cuisiné avec ma mère,  jardiné avec mon père. Mais ce que j'ai préféré c'est discuter avec eux. Mon père s'intéresse à plein de sujets et surtout à l'histoire. 

Petite, il me racontait de nombreux récits parlant du passé, sur la vie des hommes autrefois, ce qu'était la terre avant l'explosion. Il possède de très vieux livres que je passais mon temps, enfant, à feuilleter. Ces livres ne sont plus autorisés, c'est pourquoi je ne pouvais les consulter qu'en cachette. J'ai hérité de sa passion pour les temps anciens. Je pense que je lui ressemble beaucoup au niveau du caractère. J'ai aussi les mêmes cheveux que lui, châtain clair et ondulés. Par contre, j'ai les yeux de ma mère, verts très foncés. Mon frère Ilian était là aussi. Il est plus âgé que moi, vingt-six ans, et est revenu au village cette année pour y vivre avec sa petite amie Sirice qu'il a connue sur son site de travail. Petits, nous passions nos journées à grimper aux arbres, à pêcher dans les mares environnantes. On s'entendait à merveille et c'est toujours le cas maintenant.

Ce mois, au village, a été un pur bonheur et je donnerai n'importe quoi pour y retourner mais je n'ai pas encore vingt-six ans. Je dois finir mes cinq années de travail à Fossea. Parfois, je me dis que cette règle est terriblement injuste. Je sais que certains jeunes aimeraient se rebeller, changer le cours des choses. J'entends des choses quelquefois. Loïs, lui même, émet des doutes face à cette situation mais je me dis qu'après vingt-six ans, on a toute la vie devant soi et que dix ans c'est peut-être un sacrifice nécessaire pour la survie de notre peuple. En tout cas, c'est ce que le comité de pouvoir nous a toujours raconté.

Cette règle date de l'époque où furent découvertes de fortes quantités d'hydrate de méthane (2) au plus profond des océans, dans les fosses, à des centaines de mètres de profondeur. Les scientifiques ont travaillé plusieurs années afin de comprendre comment l'extraire car il s'avéra, comme je l'ai déjà mentionné, que c'était un gaz terriblement instable. Le moindre essai d'extraction ressemblait à un exploit et finissait souvent en catastrophe. Il devenait indispensable de  trouver un moyen de décompression (3) des hydrates pour récupérer le méthane et après maintes et maintes tentatives, ils réussirent ce miracle. La motivation était forte, il fallait à tout prix un remplaçant au pétrole.

A partir de là, les hommes commencèrent à plonger pour effectuer ce travail éreintant. Les scientifiques avaient mis au point un mélange gazeux ,dérivés de l'hydrox (4) dont se servaient les scaphandriers (5) au temps de nos ancêtres pour travailler en grande profondeur, fait d'oxygène et d'hydrogène. A l'époque, les premiers hommes à avoir tenté l'expérience furent victimes de nombreux accidents dû aux paliers de décompression (6) ou à l'ivresse des profondeurs (7). Ils souffraient aussi de syndromes nerveux et beaucoup mourraient d'oedème (8) du poumon, ce que l'on appelait l'hypéroxie. 

Les chercheurs réussirent tout de même à perfectionner le matériel utilisé au fil des années et les accidents se stabilisèrent enfin. Malgré cela ce travail demeurait risqué et difficile pour les organismes. Ceux qui plongeaient étaient vite épuisés et leur forme physique diminuait de jour en jour. Ce constat conduisit le comité de pouvoir à recourir à de la main d'oeuvre moins âgée et plus vigoureuse. Il préconisa d'employer de jeunes gens, à partir de 16 ans, de les former pendant un an, afin qu'à dix-sept ans ils puissent commencer à travailler dans les fosses. Devant les risques encourus, les parents se rebellèrent et refusèrent de laisser partir leurs enfants. Mais la révolte fut stoppée net par les forces militaires. A partir de ce moment furent créés des sites comme Fossea pour les jeunes gens de seize à vingt-six ans qui durent obligatoirement quitter famille et régions pour rejoindre leur groupement.

Ces sites commencèrent à  apparaître dans tous les endroits au bord des océans. Il fallut aménager des complexes pour loger les personnes, les nourrir et s'occuper de la logistique nécessaire. Ils s'agrandirent jusqu'à devenir de grands îlots, véritables villes flottantes et ainsi, depuis des décennies, nous devons partir de notre foyer à l'âge de seize ans pour n'y revenir qu'à vingt-six ans, dix ans d'un dur labeur.

Je suis tirée de mes pensées par une vague qui s'amuse avec mes pieds. La journée touche à sa fin. Tout le monde est rentré au village. Loïs m'accompagne comme d'habitude à ma porte. Nous nous enlaçons une dernière fois, collés l'un à l'autre, en sachant que les jours à venir seront très longs durant cette séparation.

(1) Panneaux solaires thermiques : panneaux qui utilisent la chaleur du soleil pour faire évaporer l'eau et la distiller.

(2) Hydrates de méthane : structures glacées qui renferment un gaz, le méthane.

(3) Décompression : action pour diminuer la pression d'un gaz.

(4) Hydrox : mélange gazeux utilisé pour la plongée en grande profondeur.

(5) Scaphandrier : plongeur sous-marin effectuant des explorations, des inspections et des travaux subaquatiques.

(6) Paliers de décompression : arrêts de quelques minutes à une profondeur précise avant de regagner la surface afin de réduire le taux d'azote et d'hélium restant dans les tissus humains.

(7) Oedème : gonflement de tissus dû à une augmentation de liquide.

(8) Ivresse des profondeurs : phénomène naturel dû à un excès d'azote qui agit sur le système nerveux.

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