La pudeur des sentiments

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En fait, que j’aie 15 ans ou plus de 25 ans comme maintenant, il y a un truc qui changera jamais : face à mes parents je ne suis pas moi-même. C’est pas que j’incarne un personnage ou quoi, c’est juste que … ils m’ont élevé d’une certaine façon, et moi depuis, j’ai évolué, et je ne suis pas vraiment sûr qu’ils aimeront le nouveau moi. C’est bête hein ? Du coup, malgré moi, je me retrouve à singer le moi d’avant, afin que mes parents ne perdent pas leurs repères et qu’ils soient toujours … fiers de moi.

Mon père, c’est le bonhomme classique : un garçon ça pleure pas. Les seules émotions valides sont la colère et la victoire. Sauf que moi, à un moment donné, j’ai vécu et ressenti des choses. Je vous arrête tout de suite, rien de fou. Mais j’ai pleuré par exemple. Ce qui était totalement impensable avant. Et parfois, j’ai pleuré pour des raisons tellement nulles. L’autre jour je vais voir un film seul au cinéma : le personnage principal est en galère, et quand on apprend qu’il perd son job, je sens les larmes qui montent. Ben, j’ai pleuré. Sur un personnage de fiction qui perd son boulot - alors que c’était pas du tout un point important du film.

J’ai pleuré. Seul. Comme une merde.

Enfin ça, c’est ce que dirait mon père. Mais punaise qu’est ce que ça fait du bien de pleurer sans savoir pourquoi. C’est une vraie thérapie, je le souhaite à tout le monde. Mais si demain mon père apprend ça, je garantis pas qu’il le prenne bien. Je crois qu’il préférerait apprendre que je suis en garde à vue pour avoir participé à une bagarre ou n’importe quel truc vraiment viril.

Ma mère c’est autre chose. Elle veut absolument tout savoir. C’est oppressant à quel point elle veut tout savoir. Du coup, je me retrouve à lui bloquer au maximum mes informations personnelles. Informations que je meurs d’envie de dire à mon père, qui lui n’en à strictement rien à faire. Le pire, c’est qu’elle croit également que je veux tout savoir sur elle. Elle m’a déjà raconté sans sourciller une anecdote d’elle et mon père au lit. J’étais scotché. J’aurais aimé réagir à chaud et lui exprimer mon dégoût pour qu’elle s’arrête. Mais elle était tellement inconsciente de mon malaise que je n’ai juste pas osé lui signifier. Pour ne pas la froisser j’imagine. Alors que j’étais moi-même bien au-delà du stade du simple froissage. Et c’est un exemple parmi tant d’autres.

Tout ça a fait qu’il m’a été impossible de m’exprimer ou de me connecter à moi-même, ni même de savoir que je pouvais le faire, pendant toute une partie de mon enfance et de mon adolescence. Quand je vois mes parents, j’ai l’impression de voir des robots conformes à la société. Imperméables à autrui. En phase ni avec les autres, ni avec eux-mêmes. Et pourtant je les aime, c’est mes parents, et je ne leur en veux même pas.

Dernièrement, j’ai réalisé que c’était à moi d’aller vers eux, d’exprimer qui je suis, afin qu’ils me connaissent vraiment. Ok mon père est un vieux macho de la veille. Ok ma mère est une pipelette insatiable. C’est pas grave. Si je laisse ma pudeur effacer qui je suis aux yeux de ma propre famille, n’est-ce pas l’équivalent de vivre en prison dans sa propre maison ?

Demain j’irais leur dire. Me mettre à nu. Certains diront que c’est trop tard. Ils ont sûrement raison. Mais ce n’est pas parce qu’ils ne peuvent plus m’entendre que je ne peux plus leur parler. Sous cette stèle grise et triste, ils sont là. Mais ils sont aussi dans chaque endroit. Dans chaque odeur. Dans chaque souvenir.

Et je pleurerais.

Seul.

Comme un fils.

Comme un homme.

Libre.

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