L'Aveu

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Une ombre trapue se faufilait le long des édifices de la rue Hippolyte de Tocqueville, de véritables flèches qui transperçaient le ciel ocre strié de fines bandes zinzolin, tandis que la ville s’éveillait progressivement en cette douce mais froide aurore printanière.

Elle marchait vite. Bientôt l’heure de son rendez-vous, elle devait se dépêcher.

Arrivée à quelques mètres de la porte de l’appartement, l’ombre fronça les sourcils. Son rendez-vous n’était pas encore là, elle avait encore du temps pour se préparer, ouf !

Une fois entrée, la porte bien fermée, elle s’y adossa, légèrement essoufflée. Comme quoi, rien ne servait de courir ! Elle sourit à cette allusion à Jean de La Fontaine.

L’ombre ouvrit une deuxième porte – celle du cabinet – , puis une autre – celle d’un autre cabinet. Elle s’y lava les mains, posa ses affaires sur un solide bureau en acajou, sifflota, puis se figea au moment de sortir un dossier de son sac à main.

Mon Dieu ! J’ai oublié la musique !

La petite silhouette retourna aussitôt dans le corridor, y jeta un bref regard, et repéra en un clin d’œil le boîtier qu’elle recherchait. Comme d’habitude, il fallut qu’elle se mît sur la pointe de ses escarpins pour atteindre le petit interrupteur. Une fois allumé, elle poussa un petit soupir de soulagement, revint dans le bureau, dégaina son téléphone et appuya sur une touche. Le Matin de Grieg déversa alors sa délicieuse mélodie dans le couloir.

Une bonne chose de faite !

L’ombre contourna ensuite le bureau, compulsa plusieurs documents, trouva son bonheur, puis se dirigea d’un pas nonchalant vers un confortable fauteuil en cuir. Une fois assise, elle caressa le cuir noir gaufré crocodile du grand cahier qui reposait sur ses petits genoux, et d’où se détachait son nom en lettres d’or. Elle ouvrit délicatement la première page, et se retrouva nez à nez avec un long document de plusieurs pages.

Et elle se remémora…

Mais avant de se laisser emporter par ces souvenirs, elle se rendit à la page du jour, inscrivit quelques notes, regarda furtivement sa montre.

Son rendez-vous ne tarderait pas à arriver.

Sans doute d’ici un quart d’heure.

Pile le temps de se replonger dans sa lecture.

Alors, parée, elle se lança.

***

« Je ne l’ai pas tuée.

Évidemment, vous ne voyez pas de qui je parle, ne vous en faites pas, je vais y venir.

Je tiens d’abord à dire que je me sens triste. Pourtant le temps est au beau fixe, mais il ne m’a pas arrangé les choses par la suite.

Je me sens tellement seul en mon for intérieur et m’en veux beaucoup.

Mais je m’égare. Excusez-moi.

Reprenons.

Tout a commencé le mercredi 7 mai, avec cette professeure : Mélodie Nuptial. Oui, Nuptial, c’est bien son nom. J’en ai moi-même été le premier surpris. J’ai été frappé par le bleu céruléen de ses yeux, son joli ovale traversé de délicieuses lèvres écarlate. Alléchantes. Et que dire de son petit nez digne de Cléopâtre ou de sa crinière de jais qui dévalait en cascade sur ses épaules !

Un véritable appétit pour le regard !

Depuis que nous nous sommes rencontrés par hasard, et brièvement, en salle des profs, je ne parviens plus à m’enlever cette Mélodie de la tête : appelez ce phénomène de la tachypsychie, de l’obsession, comme vous voudrez, mais je n’en peux plus. Il faut que je la revoie. J’ai une excitation sexuelle que j’ai du mal à évacuer : c’est une collègue avec laquelle je partage en plus une classe, qui me plaît et surtout sur laquelle je fantasme une majeure partie de la nuit, quand ce n’est pas la jolie surveillante…

Pardon, je m’égare à nouveau.

Ces moments d’égarements m’arrivent souvent d’ailleurs, je ne sais pas pourquoi.

Et dans ces moments, je ne comprends pas ce qui m’arrive. J’ai souvent besoin de m’allonger pour me reposer durant la journée, car j’ai du mal à m’enlever de la tête mon fantasme, cette jeune trentenaire brune aux véritables saphirs, avec sa poitrine généreuse qui moule son haut comme deux jolis melons bien fermes, et son postérieur aux rondeurs à croquer, une véritable pêche bien tendre. J’ai envie de me la faire dans mon imagination, cette fois-ci en ne pressant pas les choses, en prenant tout le temps qu’il faut pour y parvenir, sans pourtant avoir la garantie, la certitude que notre relation se poursuivra après ce déjeuner de vendredi midi.

Ah oui, j’ai oublié de vous le dire : j’ai fini par déjeuner avec elle.

Et pourtant, je le répète : je ne l’ai pas tuée.

Et c’était sans compter sur ma copine Blanche.

En effet, Blanche n’a pas non plus arrangé les choses, en particulier jeudi soir, où nous avons passé une grande partie de la journée dans ma chambre, allongés sur mon lit. Nous étions des Tristan et Yseult modernes le soir des soixante-dix ans de l’Armistice. Et pourtant, je ne pouvais m’empêcher de penser à cette douce Mélodie quand j'embrassais Blanche, les yeux fermés. J’ai même été brusquement submergé d’une vague de stress, véritable frustration sexuelle : je respirais fort, par saccade, j’avais envie du corps de Mélodie contre moi, de la pénétrer, de l’embrasser, de la toucher, j’avais envie que ça soit elle qui m’embrasse sur le corps, dans le cou, qui me caresse les cheveux.

Pas Blanche.

Mais la réalité demeure ce qu’elle est.

Alors je fermais toujours les yeux et me laissais faire, emporté par mon imagination. Et ce n’est que lorsque j'embrassais Blanche que j’ai pu redevenir calme, détendu, soulagé par l’apport d’ocytocine, bercé par ses mains qui m’enlaçaient la tête, ses petits gémissements ou encore ses baisers dans les cheveux.

Néanmoins, l’image de Mélodie flottait toujours dans un coin de mon esprit, et ma frustration sexuelle refoulée subsistait toujours, tapie au plus profond de mon être.

Et nous voilà arrivés au moment fatidique.

...A Suivre...

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