Plume - L'Imprévu
« Des hommes barbus, à la peau claire, montés sur des animaux étranges et portant des armes inconnues arriveront d’au-delà de la grande mer de l’Est et auront pour emblème la croix. Ils briseront le cercle sacré de la nation et de l’harmonie avec la Mère Terre, en introduisant un mode de vie déséquilibré, le Koyaanisqatsi. Une gourde de cendres tombera du ciel, faisant bouillir les mers et brûlant les terres. L’aigle marchera sur la lune. Nous devrons nous rendre à la Grande Maison de Mica située à l’Est, où seront rassemblés tous les chefs de la Terre, pour faire entendre notre message de Paix. Si nous n’y parvenons pas, nous brûlerons tous dans les cendres. » L’arrivée des conquistadors, les bombes atomiques lâchées sur Hiroshima et Nagasaki, la conquête spatiale à bord de la capsule Eagle I d’Apollo 11, l’O.N.U., mon peuple avait prédit tout cela, et bien plus encore. Nous, Hopis, nous prêtons attention aux signes, aux messages de nos ancêtres, nous savons que les vagues qui s’élèvent telles des murailles et emportent la vie, la terre qui tremble de plus en plus souvent, les volcans qui se réveillent en fureur, les forêts qui s’embrasent, sont seulement des signaux. Nous savons que les baleines qui s’échouent et les oiseaux qui s’écrasent sur nos vitres tentent de nous avertir. Mon peuple sait que trois mondes ont déjà été détruits. Le premier par des tremblements de terre, le second par le gel, le troisième par un déluge. La terre, la glace, l’eau... Le feu pourrait bien frapper ce monde-ci. Ma famille sait lire entre les lignes et par-delà les nuages. Elle fait parler l’infime, projette l’infini et perçoit l’invisible. Tout cela coule dans mon sang et ces messages que je reçois de toute part, ces cris silencieux qui inondent mon quotidien, me font parfois l’effet d’un intense brouhaha. Mais, attentive aux désastres à venir, plongée dans les signaux de terribles présages, soucieuse du grand destin humain, il est une chose que je n’ai pas vu venir, un événement qui aurait lui aussi, à l’échelle dérisoire de ma petite vie, la force d’un tremblement de terre. Mon prodigieux radar devait être brouillé par le murmure de ses mains sur ma peau. Ainsi s’exprimait Plume dans son carnet, peu après le Jour de cendres. Des larmes avaient fait baver l’encre et creusé de légers cratères dans le papier.
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