Nouvelles perspectives

3 minutes de lecture

Memphis, Tennessee

Jeudi 25 septembre 1980, 11h00

Ce matin, je me prépare pour mon nouveau boulot. J’ai fait quelques heures d’intérim dans un bar ces deux derniers jours, ce qui m’a permis de rapporter quelques dollars, mais j’espère que là, ce sera plus sérieux. Je n’ai pas vraiment eu l’occasion d’échanger avec Becky les jours précédents. J’étais couchée quand elle rentrait, et elle dormait encore quand je partais. Hier matin, j’ai trouvé cinquante dollars sur la table et encore quarante ce matin. Elle m’a aussi acheté des vêtements neufs, un jean, une chemise bleue brodée et trois t-shirts. Je n’ose pas imaginer ce qu’elle fait pour gagner autant d’argent. J’étrenne ma nouvelle tenue, elle a l’œil, elle me va parfaitement.

Ma nouvelle patronne est plutôt cool. Elle se fait appeler Wendy par ses employés et certains de ses clients. Elle m’explique que le midi, ce sont surtout des habitués qui fréquentent l’établissement. Des employés des commerces du quartier pour la plupart. Ils ont leurs petites manies et habitudes. Je la rassure, je sais gérer ce genre de pratiques. De fait, le service se déroule sans problème. À trois heures, c’est la pause, je décide de repasser à l’hôtel pour voir si Becky est là. Je la trouve au comptoir, en pleine conversation avec le réceptionniste. C’est toujours le même homme, le matin, le midi comme le soir. Peut-être qu’il dort sur place. Quand ils me voient entrer, ils s’interrompent. Que sont-ils en train de comploter dans mon dos ? J’indique à la jeune femme que je monte dans la chambre et que j’ai un pack de six avec moi. Elle me rejoint quelques minutes plus tard.

« On ne s’est pas beaucoup vues ces derniers jours, dis-je en lui tendant une bouteille.

— C’est vrai, tu travailles le jour, et moi la nuit.

— Merci pour les vêtements, c’est juste ma taille ! Et pour l’argent aussi.

— On pourrait peut-être en profiter pour chercher quelque chose d’un peu plus grand. Moïse, me dit qu’il y a deux chambres communicantes au deuxième, avec un salle de bain partagée.

— Moïse, c’est le réceptionniste ?

— En fait, l’hôtel lui appartient. Il me donne des conseils pour bosser le soir. »

Allons bon, je croyais que nous étions dans un établissement honnête.

« Rassure-toi, il n’y a pas de filles qui travaillent ici, complète Becky en voyant mon air maussade. Moïse a pas mal d’amis dans le quartier, mais ce n’est pas un proxénète. Il m’a donné quelques adresses.

— Je n’aime pas ce que tu fais, Becky, tu le sais. Tu pourrais trouver un travail plus convenable.

— Je n’ai pas envie de trimer dix heures pas jour pour gagner trente dollars à la fin de la journée, quand je me faire quatre fois plus dans la soirée, et me faire payer à boire en prime.

— Il faudra combien de temps avant que tu te fasses mettre le grapin dessus par un nouveau mac ? C’est bien pour ça que tu as quitté Jackson sans rien emporter ? T'éloigner de ton copain qui avait un automatique !

— Je ne risque rien si je bouge tout le temps. Moïse m’a donné des tuyaux sérieux, des endroits safe.

— Il te faudra combien de temps pour en avoir fait le tour ? Et après il te faudra encore prendre la route !

— Et toi, qui te balade avec pour tout bagage un roman et un flingue, tu fuis qui ? »

Touché, qui suis-je pour lui apprendre la vie. J’ai agressé deux types et tiré sur un troisième, en moins de vingt-quatre heures. Je décide de lui raconter ce qui s’est passé le week-end dernier.

« Tu vois, on est dans la même galère ! On reste ici une semaine et puis on fout le camp, avant qu’on s’intéresse trop à nous. Si on ne dépense pas tout, je peux rapporter cinq cents dollars d’ici là. On pourra s’acheter une vieille caisse d’occasion. J’ai pas envie de continuer en bus.

— Tu voudrais aller où ?

— Je ne sais pas, je m’en fous, dans l’Arkansas ou le Missouri ! C’est pareil, de toute façon. On connait personne et personne ne nous connait. »

C’est idiot, mais je sens que je commence à m’attacher à cette gamine. À son âge, j’étais déjà mariée et j’avais une petite vie modeste, mais tranquille. Elle, elle n’a personne et si je ne veille pas un peu sur elle, elle finira tôt ou tard sur le trottoir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Eros Walker ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0