Gueule de bois

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Ozark Mountains, Arkansas

Samedi 4 octobre 1980, 8h30

C’est la lumière du jour qui me réveille. Il me faut un moment pour me rappeler où je suis. J’ai terriblement mal à la tête. Je me redresse péniblement pour m’asseoir au bord du lit. Je porte un t-shirt trop grand et rien d’autre. Mes vêtements sont sur le sol, éparpillés dans le mobil-home. Je ne vois pas mon sac de voyage, j’ai dû le laisser dans la voiture. Je finis par trouver ce qui tient lieu de salle de bain. Je me glisse dans la petite cabine et fais couler l’eau en grand. Il ne faut pas longtemps pour qu’elle devienne tiède, puis froide. Je comprends que j’ai vidé la réserve. Je me sèche et enfile mon jean, ainsi que le t-shirt de Chad.

Je pousse la porte et je vois mon hôte, torse nu, en train de boire un café. Je ressens une bouffée de désir coupable en allant le rejoindre. Il me regarde comme s’il ne s’était rien passé entre nous et me propose du café. Il y a un récipient isotherme sur la table et quelques mugs. Je me sers. J’ai connu meilleur, mais je m’en contenterai pour ce matin.

« J’ai une sacrée gueule de bois, dis-je, tu aurais de l’Advil ou un truc comme ça ?

— C’est vrai que tu as fait honneur à la gnole du vieux Bob ! Je vais te chercher ça. »

Il revient quelques instants plus tard. J’avale deux comprimés avec une gorgée de café et je me laisse tomber sur le canapé.

« Tu as vu Becky, demandé-je ?

— Non, pas encore, elle doit être avec Mike, me répond Chad en désignant le second mobile-home. Je crains qu’elle soit encore plus mal en point que toi.

— Heureusement que je n’ai pas goûté votre herbe.

— Tiens, j’ai quelque chose pour toi, avant que j’oublie. »

Il me tend une petite boite, qui semble assez lourde. Des cartouches !

« Becky a dit à Mike que tu te promenais avec un revolver. Je suppose que tu l’as dans ton sac, tu as raison. Une femme qui se promène seule risque d’être importunée. J’en ai toujours un sous le siège de ma voiture. Elle a aussi dit que tu n’avais pas de cartouches de réserve.

— Comment le sait-elle ?

— En fait, elle ne l’a pas dit comme ça, c’est moi qui l’ai déduit, parce qu’on ne garde pas une arme avec deux chambres vides si on a des munitions pour recharger. Tu sais comment faire ?

— Bien sûr, mon père était militaire, il m’a appris à me servir d’un flingue. »

Je pose la boite sur la table. Je sors le Smith & Wesson du fond de mon sac et bascule le barillet. Je l’incline pour aider les étuis vides à sortir et les remplace par deux cartouches neuves.

« Belle engin, c’est ton père qui te l’a donné ? C’est un modèle MP, non ? »

J’hésite un moment, puis je lui raconte. La tentative de viol dans le bar de Billy, l’intervention de Frankie, les deux chasseurs dans la forêt.

« Donc, tu as pris l’arme de ce flic, et tu dis qu’on ne te recherche pas en Louisiane ?

— Le Shérif du coin ne veux pas se faire ridiculiser, m’a dit Billy !

— Et au Mississipi ?

— Je ne sais pas !

— Et la deuxième balle, c’était où ?

— Becky, à Memphis. Elle avait pris le revolver dans mon sac pour sortir le soir.

— Sage précaution !

— Elle a tiré sur un type qui voulait qu’elle se prostitue pour lui.

— Légitime défense, prononce Chad en guise d’absolution. À votre place, je n’aurais pas hésité non plus. »

Je remets le flingue dans mon sac.

« Il faudrait penser à le nettoyer, ajoute mon nouvel ami. Je peux le faire si tu veux. J’ai ce qu’il faut. »

Je ressors l’arme et lui tends.

« Je n’en ai pas pour longtemps, reprends du café si tu veux.

— Au fait, je crois que j’ai utilisé toute l’eau chaude !

— Ça n’a pas d’importance, je me suis baigné dans le lac ce matin !

— Elle doit être glacée !

— Oui, mais j’ai l’habitude, je le fais tous les jours. »

Je regarde cet homme des bois, je n’avais pas remarqué comme il est large d’épaules. Je suis sûre que si je lui demandais, il accepterait de nous héberger plus longtemps, mais je ne veux pas prendre le risque de m’attacher à quelqu’un et puis passé les premiers jours, qu’est-ce que je ferais de mes journées dans ce bled, en hiver.

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