C'est pas l'homme qui prend la mer...

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Voilà une semaine que nous étions arrivés à Houlgate. Martine avait tenu à louer une de ces belles maisons anciennes qui bordent la plage. Colombage bleu sur fond blanc. Elle avait dit oui tout de suite, peu important que cette maison soit complètement surdimensionnée par rapport au petit quatuor que nous formions cet été là, avec Nathalie et Jean.

Martine avait également insisté, sans grand égard pour les désirs de Jean ou de Nathalie, pour occuper la chambre qui se situait au second étage de la maison, sous les toits, afin d’avoir la plus belle vue sur la mer. Sûr que je ne boudais pas non plus mon plaisir de me réveiller chaque matin, et d’être le premier à pouvoir informer les autres : c’est fou comme elle est basse ce matin! Nous partions ensuite sur une comparaison quotidienne des marées. Jean tentait toujours de me court-circuiter en brandissant l’application « Vents et marées » qu’il avait téléchargée spécialement pour les vacances.

Une semaine pas folichonne en somme, mais tout de même agréable, ma nuque raidie par le travail commençait tout doucement à s’apaiser, mes tâches de rousseur venaient masquer mon teint blafard. Seules les nuits étaient difficiles. A quoi pouvait on s’attendre d’autre, en même temps. Chambre mansardée sous les toits, vieille maison normande. Chaque nuit, les loirs s’en donnaient à coeur joie et organisaient de folles courses poursuites sur le plancher du grenier. En plus de ça, Martine passait son temps à me demander si j’étais bien sûr que c’était des loirs. « Non », lui répondais-je en prenant une voix tremblotante, « Ce sont Joseph et Anne, les jeunes enfants des anciens propriétaires. On m'a raconté qu’ils avaient disparu en 1955, emportés par la mer. Les habitants de la ville en avaient été profondément marqués. Peut être qu’ils ont réussi à retrouver le chemin de leur ancienne maison et organisent, eux aussi, de folles courses poursuites la nuit venue. » Martine me donnait alors une petite tape sur le torse en riant. Mais en réalité, elle ne rigolait pas avec les esprits.

Le lundi de la deuxième semaine, je m’étais réveillé, les yeux lourds d’une nuit passée en compagnie des petits mammifères manifestement très endurants. « Tiens », avais-je dit à Martine, « La mer est super haute ce matin ».

Je m’empressais d’aller retrouver Jean et Nathalie au petit-déjeuner pour les en informer, bien qu’ils avaient déjà très bien pu le constater par les vitres du salon. Mais bon, on dit bien qu’il fait beau quand il fait beau, alors pourquoi pas dire « elle est haute » quand la mer est haute.

Mais bizarrement, la mer resta haute toute la journée.

Le sujet occupa toutes les serviettes de la plage d’Houlgate ce lundi-là. Chacun en allait de sa supposition. Certains autochtones évoquaient un précédent, il y a très longtemps. Une marée de plusieurs jours qui avait tout emporté. Les mémoires en avaient été marquées, et tous se faisaient un plaisir à narrer leurs récits glaçants de cette année-là, devant des touristes fascinés. Mais ils étaies formels: la mer redescendrait demain.

Jean, pourtant, qui avait consulté frénétiquement son appli toute la journée, assurait à tout le monde que non, la marée serait toujours haute demain. Il nous avait fait passer pour des foutus parisiens.

Le mardi matin, non seulement la marée était toujours haute, mais elle était encore plus haute que la veille. Les vacanciers étaient contraints de mettre leur serviette dans le sens de la longueur, parallèlement à la mer, pour que ça tienne. Les mères avaient défendu à leurs enfants de se baigner. Le drapeau rouge était hissé. Et les gens du coin avaient le sourcil froncé.

Au bout de trois jours de haute marée, les journalistes avaient commencé à déferler pour parler du phénomène Houlgate. Apparemment, le problème était extrêmement localisé. La journaliste de BFM-TV, qui avait revêtu ses plus belles bottes AIGLE, commentait en direct, dos à la mer, la montée lente mais continue des flots.

Notre maison étant en bord de mer, nous étions parmi les plus inquiets. Nous envisagions de quitter la maison, mais l’application de Jean indiquait que la marée redescendrait le lendemain matin. A priori, les experts s’étaient prononcés officiellement en ce sens, et le mairie d’Houlgate avait ainsi tenté de rassurer la population.

Nous avions donc décidé d’attendre le lendemain matin pour partir. Si ça ne s’arrangeait pas, nous ferions nos valises.

Nous fûmes réveillés au milieu de la nuit par les cris de Jean et Nathalie, dont la chambre était complètement inondée. « Montez, montez! » leur avais-je crié. Jean et Nathalie étaient parvenus à nous rejoindre dans la chambre du haut et nous nous étions réfugiés tous ensemble au grenier.

Le point positif, c’est que Martine avait pu se rendre compte que Joseph et Léa n’existaient pas, contrairement à la dizaine de loirs qui nous tenaient compagnie particulièrement énervés cette nuit là. L'eau avait maintenant dépassé le palier du premier étage et progressait rapidement dans l'escalier menant au grenier.

Jean consultait frénétiquement « Vents et marée », rafraîchissant la page toutes les deux secondes, le doigt baveux de sueur, accroché à son téléphone comme à une bouée de sauvetage. « Ca dit que ca va redescendre dans 5 minutes précisément !», hurlait-il, « Il faut tenir bon! ».

Je crois que Martine aurait pu lui arracher la tête si elle en avait eu la force. En pyjama, à bout de nerf, elle s'était mise à son tour à crier, en pleurs : « AAAAAHHH , Mais tu nous fais chier, Jean, avec ton appli de meeeerde! Si ont t'avait pas écouté, on serait tranquillement à Paris, là ! ».

Le jeudi matin, pourtant, avait donné raison à l’application.

La mer était redescendue.

Les pompiers, les services municipaux, étaient à l’oeuvre pour réparer les dégâts, dégager la promenade de bord de mer, secourir les sinistrés.

Les balançoires du club Mickey avaient été brisées par les flots. Les crêperies vue sur mer chiffraient leurs pertes au téléphone avec leurs assureurs. Les promeneurs venaient contempler les dégâts, sidérés. Les enfants, déjà, imploraient leurs mères pour se baigner à nouveau.

Le vendredi, les pompiers pénétrèrent au numéro 34, dans la grande maison aux colombages bleu, sur fond blanc. Ses locataires n’avaient pas donné signe de vie depuis la veille.

Les pompiers fouillèrent toute la maison. Les affaires étaient toutes là. Les lits défaits, trempés, ensablés.

Ils montèrent jusqu’au grenier. « Y a quelqu’un? »

Aucune trace des locataires.

Dans un coin du grenier, pourtant, un des secouristes remarqua deux petites silhouettes, tapies dans un coin, entourées d’une dizaine de loirs. Deux enfants étaient assis là, prostrés, les cheveux couverts de sable, accoutrés dans des habits d’un autre âge.

« Qu’est ce que vous faites là les enfants? »

« Ben, c’est chez nous ici » répliqua le jeune homme.

L’un des pompiers remarqua le visage illuminé des deux enfants.

Intrigué, il s’approcha doucement, et découvrit un iPhone 6 dans les mains de la petite fille.

Le pompier pris le téléphone de leurs petits mains fripées d’humidité.

L’écran était ouvert sur l’application « Vents et marées », et affichait :

« Aujourd’hui, 26 juillet 2023. « Température de l’eau : 21°, température de l’air: 26°, Nuageux. Marée: basse».

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