Nancy 1 - Pissenlits 0

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Prénom féminin pour les anglo-saxons, Nancy est également un très joli nom pour une ville. D’un point de vue graphique, c’est un mot élégant, équilibré, avec ce ‘N’ très fier et ce ‘y’ souple et gracieux en guise de contrepoint. L’aspect graphique du nom est bien exploité par les services de communication de la municipalité, qui mettent en avant, sur leurs prospectus, le patrimoine architectural de la ville, la fameuse école de Nancy, dont les bâtiments, inspirés de formes végétales, apportent une bouffée de grâce et de poésie dont nous avons cruellement besoin ici. Car, une fois sorti des quelques îlots préservés de son patrimoine architectural, il faut bien admettre que Nancy n’est qu’un énorme bloc de béton dans lequel on aurait taillé une infinité d’immeubles, ainsi que de larges saignées afin de laisser s’écouler le flux de voitures qui se déverse en permanence sur la ville.

C’est dans cet enfer minéral que je vis avec ma fille. Cet été, alors que nous faisions des courses à pieds, elle m’a demandé si nous pouvions rester un moment sur la bande végétalisée séparant les deux côtés de l’avenue que nous traversions. Un peu d’herbe et de hauts massifs de fleurs joliment disposées, il n’en fallait pas plus pour réveiller le besoin de nature et d’émerveillement de ma petite chérie. Son imagination est si vive qu’un confetti de verdure suffit à son esprit pour générer des histoires extraordinaires se déroulant dans un univers plein de couleurs et de magie. Il est vrai qu’on aurait presque pu se cacher entre les roseaux et les grandes fleurs plantées là par le service des espaces verts de la municipalité. Et pourtant, quel que soit l’endroit où l’on se trouve sur cette île microscopique cernée par les bandes d’asphalte, on n’est jamais à plus de deux mètres des pots d’échappement.

Ayant vécu mon enfance à la campagne, l’émerveillement de Zoé devant cet échantillon de grâce et de fraîcheur, marqueur de notre arrachement à la nature, m’a donné comme un pincement au coeur. De jolis massifs de fleurs émergeant ça et là du désert de béton, comme un quota minimum de chlorophylle accordé aux citadins, c’est un peu léger, mais il semblerait que ce soit déjà trop pour l’agglo.

En effet, lors du tout premier confinement, en mai 2020, nous avions fait une ballade incroyablement paisible dans mon quartier. Pour une fois, pas de bagnoles, pas de gaz d’échappement plein le nez, et des chants d’oiseaux en lieu et place des habituels moteurs pétaradant. En un mot, la paix! C’est alors qu’ont débarqué les monstrueuses tondeuses à quatre roues des services municipaux, précédées de leur vacarme infernal. Elles se sont ruées sur les quelques mètres carrés recouverts d’herbe, où avaient poussé, sans autorisation préalable (!) les fleurs de saison, pâquerettes, pissenlits, et même quelques vaillants coquelicots. Ce serait à rire (à l’image de ce sketch des Monty Pythons où des chasseurs tuent des moustiques à bord de chars d’assaut https://www.youtube.com/watch?v=BHBbJAIcnBI) si ça n’était pas à pleurer.

Quoique, quand on y pense, c’est plutôt cocasse. Car dans un bureau, un fonctionnaire a décidé qu’il pouvait arracher quelques employés à ce confinement si strict censé sauver nos vies... pour faire la guerre à de minuscules fleurs qui ne gênaient personne! Mais sans doute était-ce une situation d’urgence. Après tout, on n’est jamais à l’abri d’une attaque de coquelicots ou d’un attentat kamikaze perpétré par un groupuscule de pissenlits radicalisés. Notez, tout se tient car radicalisé signifie, au sens propre ‘qui a trait à la racine’. Donc, partant de là, toutes les fleurs et même toutes les plantes, sont des terroristes en puissance, qu’il faut éradiquer, c’est à dire arracher à la racine. Quant aux pétales, hein ?! Que cachent tous ces pétales bien commodes? Des kalachnikov miniaturisées ? du C4 ? De l’anthrax ? On a bien vu, dans certains pays en proie au djihadisme, des ceintures d’explosifs cachées sous des vêtements amples.

C’est en fait bien pire que cela, les amis! Les pétales des fleurs cachent pistils et étamines, tout un attirail érotique répugnant qui permet à ces mauvaises graines de se vautrer dans la luxure et de se reproduire en prime! Alors un bon conseil, appelez les Ghostbusters des espaces verts qui vous délivreront à la fois du silence insupportable et de ces fleurs terrifiantes! Et dites vous que, si par miracle, un insecte ou une fleur survivait à ce traitement, l’industrie du BTP viendra tôt ou tard vous sauver en construisant une belle merde grise avec l'argent de vos impôts, sur les rares parcelles de votre ville échappant encore au béton! Et si cela n'est pas suffisant pour vous redonner le moral, vous retrouverez le sourire en apprenant que 70% de la nature sera probablement détruite en 2032... si ces fous furieux d'écolos n'entravent pas notre effort de guerre!

https://www.courrierinternational.com/article/2002/06/20/70-de-la-nature-detruite-en-2032

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