The myst
Dès le matin, la brume envahit les rues de la ville, en même temps que le vacarme incessant des moteurs. En plein jour, elle est presque invisible, colportant des monstres tout aussi invisibles, aux noms compliqués. Monoxyde de carbone, dioxyde d'azote, benzène, formaldéhyde, éthylbenzène, benzo(a)pyrène, hydrocarbures aromatiques polycycliques.
Des noms cryptés aux consonances acides, aussi désagréables pour les oreilles que ces substances le sont pour l'odorat. Ces odeurs semblent pénétrer profondément votre nez comme un interminable tire-bouchon en spirale rouillé cherchant à oxyder et coloniser votre organisme en profondeur.
Entre dix sept et dix huit heures, la lumière décline en même temps que se forment les longues queues de voitures qui serpentent à travers la ville. L'hydre du trafic routier déploie ses tentacules interminables le long des artères de l'agglomération. C'est l'heure où les monstres se retrouvent, vomis par les pots d'échappement.
Le fond de l'air m'effraie.
Comme de mauvais génies libérés de leur lampe, les gaz crachés par les voitures s'entremêlent, épaississant la brume qui enveloppe les véhicules comme les passants. Celle-ci devient visible, sa blancheur épaisse révélée par le faisceau des phares et des lampadaires trouant la pénombre. Et l'on peut mesurer alors toute l'étendue du nuage de pollution qui s'infiltre dans les bronches des piétons. On réalise l'énormité du fléau dans lequel tout citadin baigne en permanence. A sa péripérie, la brume se disperse par terre, atteignant, plus translucide, les murs des bâtiments, les portes des commerces, et l'on se demande alors où s'arrête réellement le fléau, et quelles traces il laisse lorsqu'il a disparu.
Avec le temps, patiemment, de jour en jour, d'année en année, les invisibles crustacés s'insinuent dans votre cerveau ou vos poumons, plongeant leurs griffes adoratrices du Crabe au cœur de vos synapses ou dans les ramifications de vos voies respiratoires. Ils y déposent patiemment des résidus malfaisants, leurs offrandes au Dieu Incrusté. Lentement, un oeuf hideux, lymphome, cancer du poumon, ou autre monstre caché non dans les pages du Necronomicon, mais dans celles du Vidal, se formera à partir de cette matière empoisonnée, s'ajoutant aux autres polluants qui, partout autour de nous, tout au long de notre vie, constituent notre exposome*. Et le Maître Pertubateur, divinité des polluants, commencera alors à vous grignoter.
* https://fr.wikipedia.org/wiki/Exposome

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