Le Poison de la peur

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Avec des amis, nous avions fait des textes en réponse à l’appel à texte d’une revue. Contrainte : que la première phrase soit “Une fumée épaisse recouvrait le village”. Et en 3500 mots maximum. J’ai eu beaucoup de mal à descendre sous cette limite ! Bon, ensuite la revue commanditaire a été nulle, ceux d'entre nous qui sont passés à son "deuxième tour" se sont vus demandés combien ils payeraient d'exemplaires de la revue s'ils étaient publiés, et quand on a refusé, plus jamais de nouvelles... Mais il me reste au moins ce texte ! J'espère qu'il vous plaira.
Version 1.7 du texte.

Le Poison de la peur

Une épaisse fumée recouvrait le village. Au pied de chaque porte, sous chaque volet soigneusement clos, un brûloir rougeoyait de flammes sombres. Leurs volutes obscurcissaient l’air. Leur puanteur âcre était leur raison d’être : elle repoussait les serpents.

La jeune Alice était claquemurée dans l’une des cahutes, enfermée avec trois adultes depuis deux jours. Grand-mère et Maman se disputaient constamment, Papa restait assis le regard vide à côté de la fenêtre, son glaive prenant la poussière contre le mur.

Tous tendaient l’oreille. Tous frissonnaient plus fort à chaque fois que les crissements s’amplifiaient.

— Il doit faire au moins quatre mètres, chuchota une fois Grand-mère.

Maman fronça les sourcils. Il fallait éviter tout bruit. Grand-mère avait pourtant l’habitude, elle avait vécu bien des saisons à serpent. Une tous les six ans. Le danger était connu, le charbon et la poudre d’Arkim brûlaient comme chaque année pour les sauver. Mais jusque là, les serpents étaient normaux.

Quand Papa se leva pour aller sur le pot, Alice prit sa place devant le volet. Deux planches légèrement disjointes laissaient entrevoir le monde au-dehors.

Rien n’avait bougé. La pinte de bière posée sur le banc, la charrette de paille au milieu du chemin. Et, rampant tous dans la même direction, les innombrables petits reptiles sur le sol.

Un crissement de plus en plus marqué se faisait entendre. Alice n’osa plus bouger.

Naga émergea de la fumée.

C’était un serpent grand comme un homme, à la peau difforme, aux écailles vertes et rouges. Sa gueule montrait trois rangées de crocs luisants de poison. Le monstre n’était pas qu’une bête : à son arrivée lors de la dernière saison, il avait emporté les plus beaux bijoux de la famille Désom. Non sans les avoir mordus et laissés en pâture à ses congénères.

Alice fut arrachée de son poste d’observation. Elle lâcha un cri. Une main se plaqua sur sa bouche, des bras l’immobilisèrent.

— Chh ! lui intima son père.

Le grand Naga passa, lentement. Alice fut ensuite relâchée, mais la frayeur avait déchainé sa rage.

— Pourquoi on le combat pas ? Les bandits quand ils viennent on les laisse pas faire !

Ses parents la foudroyèrent du regard en silence. Enfermée, ignorée, muselée, la colère d’Alice redoubla.

Dès que sa famille eut le dos tourné, elle prit le glaive, se faufila jusqu’à la porte d’entrée et la déverrouilla. Le cri étouffé de sa mère ne la ralentit même pas : déjà elle avait décroché un brûloir et sortait de la maison. Parmi les serpents. Seulement alors, l'intensité de sa colère se convertit en terreur.

Pétrifiée à deux mètres du palier, seule dans le parterre grouillant que son brûloir ne repoussait que lentement. Quand elle releva les yeux, elle vit ses parents à la fenêtre, sous le choc. Et Naga. Le serpent monstrueux ondulait vers elle, sans se hâter. Elle ne réfléchit pas ; elle lança l’arme tranchante dans sa main, avec une fureur retrouvée. Le glaive fusa… avant de retomber contre le grand Naga, poignée la première. Mollement.

Le pommeau s’enfonça dans la peau écailée. Un cri tout à fait humain s’éleva.
Alice resta interdite. Des brûloirs et plusieurs paires de grosses bottes se devinaient désormais à la base du serpent, ou plutôt à la base du costume de serpent. Et des mains. Affairées à remettre dans un sac, dont il venait de tomber, tout un butin de bijoux précieux.

Alice chercha la réaction de ses parents. Mais ils n’avaient d’yeux que pour la cheville de leur fille. Et, comme elle le découvrit, pour le tout petit serpent vert qui venait d’y planter ses crocs.

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