Deuxième porte, deuxième étage

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J'ai abandonné Manu dans la voiture. Il sera à l'abri. Si ça tourne mal, il pourra toujours se casser. J'avais pas prévu de le planter comme ça mais hors de question de l'emmener dans ce plan tordu. Cédric m'a balancé un premier sms : "voici la nouvelle adresse, il est ok pour le deal mais il veut te voir, toi". Manu m'a déjà accompagné plusieurs fois, mais là c'est différent. Je ne le sens pas, j'aurai même envie de dire que ça pue. Quand je pensais lui offrir un peu de liberté, d'évasion, je ne pensais pas l'envoyer en prison sans passer par la case départ. Enfin, on en n'est pas encore là. Commence pas, Zach, à partir en vrille.

La porte du hall claque dans mon dos faisant écho au dernier message de Cédric : "t'embarrasse pas du petit bourgeois coincé, il ne comprendrait pas l'histoire". Mais de quoi parle-t-il à la fin ? J'ai bien mieux à faire que de résoudre des énigmes. J'hallucine, Cédric joue double-jeu. Il veut me planter un couteau dans le dos. Jusqu'à présent, il me mangeait dans la main et là j'ai l'impression qu'il me tient par les couilles. Putain, je déteste ça.

J'ai le sentiment d'avoir perdu le contrôle de la situation, ça ne me correspond pas. Il me gonfle, je n'ai qu'une envie de lui rappeler que le premier qui me l'a fait à l'envers a passé un sale quart d'heure. Bon ok, j'avoue sans honte: c'était en primaire. Un petit roquet friquet nommé Gaspard passait toutes ses recréés à emmerder mon pote Jérémie . Il le bousculait, tirait son cartable et le traitait de gonzesse. Un matin, j'ai craqué, je l'ai regardé droit dans les yeux, attrapé par le col de sa chemise blanche et je lui ai mis un coup de boule. Résultat : nez cassé, il pissait le sang. Mais depuis, plus personne n'est venu nous chercher des noises. Pourquoi a-t-il fallu que le père de Jérémy gâche tout ? Il avait la main leste. Maintenant, je comprends mieux pourquoi sa femme a voulu fuir au loin, même si elle me privait de mon meilleur pote. Ils ont divorcé et Jérémie est parti. On a gardé le contact malgré la distance. Il est comme mon frère.

Depuis ce malencontreux incident, ma réputation était faite : petit caïd sorti de son quartier, ne pas approcher. J'ai eu peur qu'on emmerde mes parents, qu'on les accuse de ne pas savoir élever leur fils. La directrice, une vraie furie, avait appelé ma mère pour lui expliquer qu'elle avait intérêt à se pointer au plus vite. J'attendais, prostré au fond de la classe, la tête enfouie dans mes genoux. Je ne regrette toujours pas mon geste, il était hors de question pour moi qu'on emmerde mon meilleur ami.

À l'époque, j'avais honte et peur de décevoir ma mère. Je ne voulais pas qu'elle imagine un instant que son petit gars était une de ses racailles qu'elle voyait trop souvent arriver aux urgences après une soirée animée dans les cités. Je me souviendrais toujours de la scène. Ma mère est entrée dans la pièce, inquiète. Elle m'a aperçu, m'a sourit et prit dans ses bras. Je peux encore sentir ses battements de cœur. Ce jour restera à jamais gravé en moi. Elle fut exceptionnelle. Pourquoi je n'ai pas pu être aussi fort qu'elle, il y a trois ans ?

Cette nuit, j'emprunte les issues de secours, prend les escaliers et essaie d'être le plus discret possible. C'est bien la première fois que je doute. Mes mains sont moites, je rêve où j'ai la trouille de ce que je vais découvrir ? Je veux en avoir le cœur net, est-ce que Cédric m'a doublé ? Ça craint d'être le dindon de la farce. Je me suis fait fumer, quel con! Pourquoi je n'ai rien vu. Mon portable vibre avec une nouvelle notification. Encore une et une autre. Je m'arrête sur le premier palier, j'ai besoin de reprendre ma respiration. Ça sert à quoi de faire du sport, si je suis essoufflé après une vingtaine de marches. Ça craint, je suis à la ramasse. Finalement, je vais peut-être me mettre au volley. Manu m'a branché plusieurs fois pour que j'intègre l'équipe. J’aurais dû me laisser tenter.

Je saisis mon téléphone pour vérifier mes messages au cas où il y aurait un nouveau changement. Je ne suis plus à un près. Cédric 1 : " bouge toi". Géraldine 1 : "tu fais quoi, tu as dit que tu passerais avant que je parte" Cédric 2 : " vas-y, il s'impatiente" Mais qui ? J'aurais mieux fait d'aller direct à l'appartement avec Manu. Géraldine 2 : "bon écoute, si tu as mieux à faire moi aussi ça tombe bien". Qu'est ce qui lui arrive à elle aussi, elle attend quoi ? Cédric 3 : " tu t'es perdu ? Je t'ai vu descendre de la voiture. C'est pas compliqué deuxième étage, deuxième porte à droite. Putain magne-toi". Je suis en train de me demander si je ne devrais pas passer à autre chose. Cette merde de beuh m'occasionne que des emmerdes, sur le moment je me sens bien, je plane mais au réveil j'ai toujours aussi mal. Tu n'as pas mieux à faire que de te poser des questions existentielles à cette heure.

D'un coup, je sens deux mains me pousser dans le dos et me plaquer contre le mur. Une voix grave accompagne le geste :

— Le boss t'attend, tu sais te faire désirer.

J'essaie de me dégager de son emprise, c'était sans compter sur la pointe que je sens s’appuyer sur mon flanc. Une arme blanche.

— Fais pas le mariole, ça m'embêterait d'abîmer ta gueule. J'en connais une qui m'en voudrait.

Qu'est ce qu'il me raconte ? De qui il me parle ? Je suis en plein délire pourtant j'ai encore rien pris, il ne manquerait plus que je vois des éléphants roses.

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