La mort aux trousses

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Debout, au fond du bus, je peste des nombreux arrêts. Le trajet pourtant court me paraît interminable. J'aperçois enfin mon quartier, je suis déjà devant les portes, prêt à descendre.

À ma montre, il est 23h46. La tempête a laissé place à une pluie fine sous laquelle je marche, fasciné comme souvent par les rues luisantes, l'odeur de l'asphalte mouillé et la solitude absolue de la ville à cette heure. Seuls les bruits lointains de l’effervescence nocturne du centre-ville me parviennent. Cette atmosphère si particulière a toujours été apaisante et fertile pour mon imagination. Je me crois dans un vieux polar noir et blanc des années cinqauntes (merci maman de m'avoir converti au film noir américain, même si je n’oserai jamais le clamer haut et fort de peur de passer pour un intello). Je suis l’anti-héros d’une sombre affaire qui n'a d'autre choix que de partir en cavale pour échapper aux gangsters à ma poursuite. Pour l'heure, je suis dans la totale ignorance de ce que Zach vient de vivre. Alors pourquoi suis-je prêt à tout pour l'aider ? Est-ce parce que je suis raide dingue de lui ou complètement idiot ?

Les rouages de mon cerveau fonctionnent à plein régime. Ce que je m'apprête à faire est tout simplement une vraie dinguerie. La voiture de ma mère étant au garage pour le week-end (de toute façon, il était hors de question de la faire chier, elle), j’ai décidé d’emprunter la voiture de mon père. Je signe là mon arrêt de mort. Jamais il ne me le pardonnera. Comment vais-je m'y prendre ?

Ce soir, c'est la fête des voisins. Cette année, ce sont les Pinard qui reçoivent. Heureusement, ils habitent tout au bout de la rue. Ils ne risquent pas d’entendre la voiture de mon père quand je la sortirai du garage. Je prie seulement pour qu’ils ne soient pas encore rentrés.

Je franchis le portillon. Le salon est allumé, merde ! Je m'étonne que mes vieux aient laissé les volets ouverts. J'ai une vue directe sur le canapé sur lequel j’aperçois ma mère allongée. Mais qu'est-ce qu'elle fait là ? Elle semble dormir profondément. La télévision diffuse un film que je reconnais tout de suite. La scène d'anthologie de La mort aux trousses d'Hitchcock où Cary Grant se fait poursuivre par un avion qui tente de l'écraser. J'aurais presque envie d'aller m'asseoir à ses côtés pour mater la suite. La lumière de l'écran plasma éclaire la table basse sur laquelle repose une boîte de médocs. Je les reconnais. Mon cœur se sert, je n’aime pas quand elle prend ses somnifères, ils l’a shootent à chaque fois. Mélangé à son antidépresseur, elle sait pourtant que ça ne lui réussit pas. Je ne sais pas pourquoi elle n’est pas restée avec mon père. Se sont-ils encore engueulés tous les deux ? A vrai dire, je n’ai même plus envie de comprendre, cela fait des années que ça dure. Ils auraient mieux fait de divorcer, quand j'avais douze ans. Ils ont prétendu rester pour moi. Parce qu'on ne fait pas ça à un enfant. Un papa, une maman, c'était soi-disant mieux pour mon équilibre. La grosse blague.

Je rentre sans faire de bruit. Je regarde ma mère dormir. Elle me fait de la peine. Elle aurait mérité une autre vie, loin de la carrière politique qui accapare tout le temps libre de mon père. C’est ce que je lui ai dit un jour. Elle m’a regardé tristement en me disant de ne pas m’inquiéter pour elle, qu’elle avait fait ses choix. Elle m’a juste fait promettre de m’écouter moi, avant tout. C’est pour cette raison que l'année prochaine, je ne les aurais plus dans les pattes, ils pourront s'étriper autant qu'ils le veulent). J'aurais ma propre vie, loin d’eux. A force d’insister (on bataillait sévère depuis janvier), ma mère a réussi à convaincre son mari de me laisser tenter d’expérience de découvrir le monde, comme elle dit. Je vais passer une année en Irlande. On y est allé en vacances, il y a trois ans, j’avais adoré. Là-bas, les gens prennent plus leur temps qu’ici où c’est la frénésie quotidienne assurée. Attention, je n’y vais pas pour me la couler douce mais pour travailler avec mon oncle qui tient un pub à Galway. C’est le frère de ma mère. Je ne l’ai pas souvent vu dans ma vie, mais je sais qu’il m’aime bien et c’est réciproque. C’est un bon vivant qui a toujours le sourire. Malgré la distance, il a toujours été proche de sa sœur. Il n’a jamais supporté son beau-frère. Je sais qu’au-delà du plaisir de m’avoir à ses côtés, c’est une des raisons pour lesquelles il a accepté de m'héberger chez lui pendant un an. Mon père a bien eu du mal à avaler la pilule mais a fini par céder. Il a posé une condition, que je revienne l’année d’après pour reprendre sérieusement mes études. Je n’ai pas eu le choix que de dire oui. En empruntant sa voiture, je suis à deux doigts de tout foutre en l’air, mais ce soir, je m'en fous. J'ai bien l'intention de suivre Zach, même si cela ne dure qu'un week-end.

Pour l’heure, je ne peux rien faire pour ma mère, si ce n'est la recouvrir d'un plaid pour qu'elle n'ait pas froid. Vu comment elle dort profondément, aucun risque qu’elle entende le moteur de la BMW. Je récupère la clef de la voiture sur le buffet de l'entrée. J'ai de la chance, mon père l'a laissé dans la cour et non dans le garage comme d’habitude, je pourrais sortir d’ici plus rapidement.

*

Je suis soulagé de n'avoir croisé personne sur la route et surtout pas les flics. J'arrête la voiture un peu plus loin de chez Olivier. Il va falloir lui expliquer pourquoi je n'ai pas répondu à ses textos et pourquoi je souhaite récupérer mon sac de voyage. Je vais aussi devoir inventer un gros bobard, mais je ne vois pas d'autre option. Arrivé devant chez lui, j'entends la musique à fond, inutile de sonner, personne n'entendra. Je monte directement l'escalier qui mène à un couloir distribuant les chambres de la maison. Devant celle d'Olivier, j'entends des gémissements étouffés. Je souris, j'avais raison, lui et Laetitia ont dû se réconcilier. Dans une autre occasion, je me serais permis de frapper pour les charrier, en leur disant de faire moins de bruit. Je ne perds pas de temps et finis par entrer dans la chambre d'amis où je suis censé dormir pour le week-end. Il y a tous les manteaux des invités sur le lit. J'aperçois mon sac au fond de la pièce que j'attrape sans plus tarder. Je reviens dans le couloir. Alors que je m'apprête à m'éclipser, la porte de la chambre d'Olivier s'ouvre. C'est Matthieu, le visage rougis qui boucle sa ceinture. Derrière lui, j'ai le temps de reconnaître le visage de Laetitia, horrifiée que je les ai captés. Nous voilà gênés. Il referme la porte. Je n'ai pas de temps à perdre, aussi je coupe court à toutes explications de sa part.

— J'ai rien vu, et toi non plus. Je ne suis pas censé être là. On est d'accord ?

— Carrément, mec, dit-il à la fois stupéfait et hyper soulagé.

Je ne préfère pas penser aux conséquences de ce que je viens de voir. J'ai autre chose de plus urgent à faire, rejoindre Zach.

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