Deux cafés

6 minutes de lecture

Ce petit coin est toujours aussi sympa. Quand nous prenions la route pour aller voir mamie, maman voulait toujours faire une halte ici. Nous partions tôt, trop tôt à mon goût. Papa savait combien son épouse appréciait le lever du soleil et pour voir briller les yeux de sa femme, il était prêt à tout. Ce matin, mes sentiments sont chamboulés. D'un côté je suis heureux de fouler les allées de ce marché au côté de Manu, cette ambiance fait remonter un flot de souvenirs plaisant. Et d'un autre, inquiet pour la suite. Les jours à venir ne seront pas de tout repos. La bande de Karl voudra sûrement récupérer ce que je leur ai chipé. Je ne suis pas sûr de ne pas faire la plus grosse connerie de ma vie.

Encore une fois, je n'ai pas réfléchi aux conséquences pour les autres. À cette heure mon père a dû voir mon message, j'espère que Karl dans un coup de sang n'aura pas saccagé l'appartement. Géraldine aura peut-être réussi à le tempérer. Ce dont je suis certain c'est qu'ils n'auront pas attendu mon père. Il faut que je trouve un moyen de le joindre. Je verrai avec Grandma en arrivant à Mezange.

Je ne peux m'empêcher de regarder autour de moi, vérifier qu'ils ne nous ont pas retrouvés. Sur la plage, on aurait pu voir le danger arrivé. Ici, avec le monde qui s'étale dans les allées, je n'ai pas assez de vision.

— Zach, regarde le stand du boulanger est juste là. Mais on dirait…

— Le mec qui nous a réveillés. Son visage ne m’est pas inconnu. C'est cool, il a aménagé une petite terrasse éphémère. Allez Manu, bouge. Par la même occasion dis à ton pote Olivier qu'il passe à autre chose. Par contre, ne lui dis surtout pas où nous trouvons.

— Comment tu sais que …

— La sonnerie, tu les as toutes personnalisées. Aussi c'est facile de reconnaître qui t'appelle. Mets le sur vibreur comme ça …

— Ah ouais et du coup la tienne c'est quoi monsieur le malin ?

— Bah comment veux-tu que je le sache ? En principe, je suis à l'autre bout et pas à côté de toi. Bêta.

Je le vois rougir à ma dernière remarque, j'espère que je ne l'ai pas vexé. C'est ça d'être branché musique. Du coup son meilleur ami a un petit air de Pink Floyd, pour sa mère Mylène Farmer avec Désenchanté et pour son père un Dark Vador, devrais-je être étonné d'un tel choix ? Je me demande quand même ce qu'il a choisi pour moi. Je pourrais tester si j'avais encore un téléphone. Juste pour le plaisir de voir ce que je représente pour lui.

— Alors les gars, vous avez trouvé une place pour stationner.

— Oui, merci de nous avoir prévenus.

— De rien, vous ne pouviez pas le savoir. Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ?

— Moi, je meure de faim, tu veux manger quoi Manu ? Manu, mais où est-il passé ?

— Je l'ai vu s'éloigner vers la cabine téléphonique. J'espère qu'il ne souhaite pas passer un coup de fil.

— Pourquoi ?

— Parce qu'elle a été transformée en boîte à livres.

— Bon, je vais commander pour lui.

— Si ça te dit, j'ai des formules petit déjeuner avec une boisson au choix.

— Parfait, alors je prendrais deux croissants, deux petites brioches aux chocolats avec deux cafés longs. Pour finir, j'ai envie de craquer pour ce chausson aux framboises.

— Très bon choix, me dit une voix féminine derrière moi.

— Bonjour Mme Paquette, la même chose que le jeune homme et j'ajoute une tasse de thé à la bergamote, propose le boulanger.

Je me retourne et découvre Malbrouck avec sa maîtresse. Elle m'adresse un sourire lumineux.

— Ça ne vous ennuie pas de partager ce petit déjeuner avec moi, me demande-t-elle. Votre ami semble vous avoir abandonné.

— Oh, il avait un coup de téléphone à passer et voulait un peu d'espace.

— Peine de cœur ? ajoute-t-elle.

Pourquoi une telle question ? Le boulanger sourit à son tour, ah ça y est je pense avoir compris, ils ont dû penser que nous étions ensemble.

— Non, pas du tout.

— Ah tant mieux vous êtes si mignons tous les deux.

— Mais, non nous … tenté-je de répondre avant de laisser le doute s'immiscer.

— Désolée, j’ai toujours été un peu trop franche, ça m'a souvent joué des tours.

C'est à ce moment-là que Bruno, parce que c'est ainsi que Mme Paquette vient de l'appeler, arrive avec un plateau appétissant.

— Je vous apporte une gamelle d'eau pour les chiens et je dois bien avoir un quignon de pain de la veille.

Je le remercie de l'attention et m'assois à côté de la charmante et tout autant curieuse vieille dame. Je commence à m'inquiéter, Manu a disparu depuis trop longtemps. J'espère surtout qu'il n'aura pas donné d'indice.

— Zach, c'est bien ça.

— Oui, tout à fait.

— Ne vous en faites pas, il va revenir. Vu la façon dont il vous regarde, il ne peut en être autrement.

Je manque de m'étouffer avec le morceau de croissant dans lequel je viens de croquer à pleine dent, je me retiens de tout recracher sur ma voisine. Je saisis mon verre d'eau, je l'échappe et le renverse sur mon jean.

— Tout va bien jeune homme ? Je ne voulais pas…

— Non, ne vous inquiétez pas, c'est moi qui suis maladroit.

— Puis-je être indiscrète ?

Mince, que va-t-elle me demander ? Je me sens mal à l'aise, j'espère que si je lui réponds non elle ne m'en voudra pas.

— Oui, réponds-je.

Mais je le fais exprès ou je ne réfléchis pas. Enfin trop tard c'est fait. Attendons de voir.

— Est-ce que tu as encore une mamie ?

Ouf, je ne m'attendais pas du tout à ça. Je me voyais déjà en train de lui expliquer que nous n'étions pas du tout en couple avec Manu et voir la déception dans son regard.

— Oui, d'ailleurs nous nous rendons chez elle.

— Oh, elle en a de la chance. Comme j'aimerais que mon unique petit-fils Jason viennent me rendre visite de temps à autre. Il te ressemble avec de grands yeux bleus couleurs océan.

— Ça fait combien de temps que vous ne l'avez pas vu ?

— 3 ans, il vient de finir ses études avec brio.

— C'est top. Où vit-il ?

— Avec ma fille aux Etats Unis. Son père est ambassadeur, et c'est sa dernière mutation. Ils ont décidé de rester là-bas.

Je peux sentir toute sa détresse dans cette dernière réponse. Malbrouck vient poser sa tête sur ses genoux, elle le caresse tout en remuant sa tasse de thé inlassablement comme si elle espérait voir son vœu se réaliser.

— Mon meilleur ami Jérémie est parti au Canada, je vous comprends.

— Tu n'as plus de nouvelles ?

— Oh par mail de temps à autre mais je préférerais pouvoir lui dire combien il me manque.

— Il a ton âge ?

— Oui, d'après ma grand-mère, sa mère serait rentrée à La Rochelle en début d'année.

— Peut-être qu'il l'a accompagnée.

— Qui sait et vous, vous pourriez rendre visite à votre petit-fils ?

— Ce serait bien, mais mon médecin ne veut pas que je prenne l'avion.

— Alors proposez lui de venir.

— Je crois que cette année, il ne pourra pas. J'ai tellement peur de l'oublier. Je ne suis plus toute jeune.

— Ne dites pas des bêtises.

— Tu es un bon gars, Zach.

Le temps file en cette agréable compagnie mais Manu n'est toujours pas revenu. Je décide de retourner commander un second café pour que mon pote puisse le boire chaud, celui qui est dans la tasse est foutu.

— Bon alors ton pote s'est perdu ?

— Je sais pas trop.

Je repars scrutant l'horizon, les deux chiens sont couchés l'un contre l'autre aux pieds de la table. Mme Paquette me sourit à nouveau, c'est apaisant. Je sais très bien qu'il ne serait pas parti sans moi. Non, il ne ferait pas ça comme moi je ne l'abandonnerai jamais. J'ai une boule à l'estomac, tout à coup son absence me pèse. Je m'installe à côté de la charmante dame et nous continuons à discuter tout simplement.

Annotations

Vous aimez lire Tom Ripley ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0