Saperlipopette

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J'observe Manu s'éloigner dans le jardin, il surfe entre les herbes folles et les orties. C'est drôle de le voir se dandiner, s'il insiste ses mollets ne vont pas apprécier. Je l'aperçois déjà se gratter, il va finir par repartir en courant. Mamie dit que ça fait circuler le sang. Moi, elle m'a appris à les préparer en soupe. Je me revois ramasser cette plante urticante avec maman, son sourire tendre, tout en me montrant comment les récolter sans se piquer. Nous étions tellement heureux en ce temps-là, j'étais insouciant, un peu râleur mais ici avec mes parents et mes grands-parents, je vivais une enfance incroyable. Tout a basculé à la mort de ma mère, plus rien n'a été pareil. Papa m'a pris sous son aile pour me protéger et sans le vouloir, il m'a étouffé. Je ne lui en veux pas, j'ai eu le même mode de fonctionnement. Aujourd'hui, nous avons trouvé un équilibre, cette stabilité nous permet de franchir les étapes les unes après les autres.

Je ne pensais pas que mon passage dans la maison de Grandma, réveillerait la douleur vive qui me transperce depuis trois ans. La désagréable impression de perdre mes repères au fur et à mesure, comme après une longue nuit. Mes yeux clignotent, ils cherchent à s'adapter au rayon de lumière. Mes battements de cœur deviennent incontrôlables, ils sautent un tour avant d'accélérer sans que je puisse les ralentir. Je franchis le seuil, mes mains tremblent, ma bouche s' assèche et je n'ai plus goût à rien. Mon mal être s'accentue dès que je déambule dans la maison. Je n'espère qu'une seule chose croiser le fantôme de ma mère, juste pour avoir le bonheur de la serrer dans mes bras et lui dire combien elle me manque. Trois ans se sont écoulés depuis cette soirée cauchemardesque, trois années où les jours de peines se mêlent aux nuits d'angoisse. Combien de fois mon sommeil m'a-t-il boudé ? Combien de fois ai-je eu envie de hurler au monde entier que la vie ne pouvait pas me faire ça ? Quelle était cruelle.

Manu a frôlé ma main et j'ai franchi pour la première fois l'entrée sans avoir envie de vomir tout de suite après. Est-ce sa présence à mes côtés qui me rassure ? Depuis qu'il est rentré dans mon univers, il a un effet apaisant, il me maintient à flot, un sacré exploit. Je ne saurais expliquer comment il m'a volé mon premier sourire en septembre de cette année, il est le seul à réussir cette prouesse sans me forcer.

Tous les jeudis, nous avions une pause de deux heures dans notre emploi du temps. Je ne supportais pas ce manque d'organisation de l'administration. Aussi, j'errais dans les allées du lycée pour tenter de me vider la tête. Les matinées se ressemblaient, la lassitude s'instaurait et la première heure était très compliquée. Rien de surprenant, je n'arrivais pas à fermer les yeux plus d'une heure ou deux, la nuit précédente. Les mercredis soirs sont devenus ma bête noire. Dès le matin, j'avais besoin d'une taffe, encore une, juste une pour me sentir bien.

Après un mois, j'ai compris que ce break m'était indispensable. Pour ne pas me faire prendre par les surveillants, j'avais choisi un coin isolé, à l'abri des regards. Par chance, notre cour était bien foutue : elle avait été aménagée pour les activités de chacun: terrains de sports, aires de repas et de grands espaces verts. J'avais repéré un banc. Plus je m'approchais, plus je réalisais que pour la solitude, il me faudrait trouver une autre solution. En constatant que la silhouette assise ne m'était pas inconnue, j'avais changé d'avis. Je m'en souviens très bien, Manu était installé sous le tilleul, nous avions eu la même idée. Je lui ai demandé si je pouvais rester et il m'a dit oui sans hésiter.

Pendant que je goûtais aux effluves du doux parfum de ma cigarette roulée, assis à ses pieds pour me faire discret, lui reprenait la lecture de son bouquin. Très rapidement, c'est devenu notre lieu de rendez-vous, étrange de l'appeler ainsi en y repensant. Je fumais et lui tournait les pages. Le silence nous enveloppait, nous avions trouvé une bulle dans laquelle nous aimions nous réfugier. La cigarette a remplacé le joint, pour ne pas l'incommoder et l'intoxiquer avec ma merde. Avec Cédric et mes potes, ça m'était égal de fumer d' la beuh, ils faisaient la même chose. Pour Manu, c'était non et je respectais son choix. J'ai mis le pied dans un engrenage sans fin, je ne voulais pas l'entraîner dans ma dépendance. Manu ne m'a jamais demandé de tirer une taffe et par chance, je ne lui en ai jamais proposé.

Au départ, la mort de ma mère m'avait servi d'excuse pour me procurer un peu de weed. Rapidement, c'est devenu une nécessité, jusqu'à ce que Grandma me fasse comprendre qu'à part des emmerdes, cela ne résoudrait rien. Un soir, elle m'a choppé au fond du jardin, je m'étais planqué derrière les WC pour fumer. Elle s'est assise à côté de moi et m'a demandé de lui en rouler un. J'ai tout d'abord pensé qu'elle me disait ça pour me donner une leçon, qu'elle plaisantait. Ce fut tout le contraire, elle me prit celui que j'avais dans les mains, tira du bout des lèvres une taffe et doucement laissa échapper un rond qu' elle fit valser du bout du doigt. J'étais si mal à l'aise, je ne savais plus quoi faire, m'excuser ou me taire. Quelle grand-mère aurait fait ça ? À part elle. Certaines auraient hurlé, d'autres pleuré, ou foutu leur petit-fils à la porte. Nous, nous avons regardé les étoiles en partageant un moment très particulier. Après cette nuit-là, venir chez Pierrette signifié rester clean tout le temps que je passais à Mezange.

— Zach, tout va bien mon grand ? me demande Grandma.

— Non, c'est la merde.

— Qu'est-ce que tu entends par là ?

— J'ai fait une grosse connerie.

— À ce point !

Avant de me répondre, elle s'installe à côté de moi sur la balancelle et me prend la main pour la caresser. Elle a toujours eu ce geste tendre pour m'apaiser depuis que je suis enfant.

— On a tous le droit de faire des erreurs pour affirmer ses convictions. Regarde-moi avec mon fusil, tu penses que je suis plus raisonnable ?

— Grandma, tu sais on ne va pas rester longtemps.

— Mais, tu viens tout juste d'arriver.

— Ouais, mais je pense que les mecs que j'ai entourloupés sont à mes trousses.

— Alors t'inquiète, je leur réserverai un accueil digne de ce nom.

— Dis pas des bêtises, j'ai déjà perdu maman, hors de question de vous perdre.

— Qui vous ?

— Papa, toi, Manu.

— D'ailleurs en parlant de lui, il est charmant ce jeune homme, il me plaît bien. Bon, il vit dans un autre monde mais rien de surprenant.

— C'est vrai, c'est un mec génial et je viens de l'embarquer avec moi dans un beau bourbier.

— S'il n'avait pas eu l'intention de te suivre, il ne serait pas là à essayer de trouver la lumière dans les toilettes.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Parce que je pense que j'ai oublié de le prévenir que l'ampoule vient juste de griller.

— Grandmaaaa.

— Oh c'était pas méchant, je voulais le tester à ma façon.

— Nooon, il en a déjà bien bavé en vingt-quatre heures.

Je me précipite avec la lampe torche que j’ai chopée sur la table en priant pour que Manu soit juste allé pisser. J'arrive à la hauteur de la porte et gratte contre le panneau en bois.

— Manu, tout va bien ?

— Ouais, je crois que ça va le faire, je gère la lumière en panne mais le papier toilette tu penses que ça aussi c'est en mode survivaliste ?

Je manque de m'étouffer et me retiens d'éclater de rire en imaginant sans mal sa tête.

— Te fous pas de moi Zach, c'est déjà bien assez inconfortable de ne pas voir ce qui m'entourent et bien pire de penser qu'il s'agit de longues pattes velues qui se déplacent autour de mes chevilles.

— Bouge pas.

— Tu penses que je fais quoi, je vais pas non plus sortir à poil.

— Ok, je fonce. Mais t'inquiètes, t'as qu'à l'appeler par son petit nom, elle te fera rien.

— Mais de qui tu parles …

Je fonce en direction du petit cabanon de l'autre côté du jardin, récupère le nécessaire pour lui sauver la mise. J'entrouvre la porte et lui tends un rouleau et la torche.

— Désolé Manu, j'aurai dû te prévenir.

— Laisse tomber rien de grave, je trouve ça plutôt drôle. Et au fait, elle s'appelle comment la petite bête.

— Celle qui monte, qui monte.

Je l'entends rire et ça me soulage de savoir qu'il n'est pas en colère.

— Maman la nommait saperlipopette. Tu trouves ça sûrement idiot.

— Non, pourquoi ?

— Pour rien, laisse tomber. T'inquiète.

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