Me la fait pas à l'envers

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Derrière le hangar qui borde le jardin, Étienne m'emmène sur un sentier en contrebas.

— On n'était pas censé ramasser des fleurs, tu vas où comme ça ?

— Voir le loup dans la forêt, allez fais pas ton prude et suis moi. Il y a une rivière juste en bas, tu vas voir, c'est top.

Je me maudis une fois de plus de ne rien trouver à dire pour refuser et son petit cul musclé qui se trémousse devant moi ne m'aide absolument pas.

Nous dévalons une petite pente et arrivons directement sur un petit ruisseau.

— C'est ça, ta rivière, tu plaisantes ?

— Ok, j'avoue qu'à cette période de l'année, l'eau est plutôt basse, voire très basse. Il y a encore trente ans, on pouvait se baigner m'a assuré Pierrette. Tout le monde venait profiter de la fraîcheur des lieux. La rivière traverse une partie de la forêt, les quelques terres cultivables et alimente l'étang du village. Mais le gaspillage en eau, les pratiques néfastes pour l'agriculture et le réchauffement climatique ont considérablement changé la donne. Sans compter que l'être humain n'a rien fait pour changer ses mauvaises habitudes.Tout le monde a préféré fermer les yeux pendant des décennies et s'étonne à présent du résultat, on croit rêver. Mais bon, je ne vais pas commencer à te saouler.

— Non, je trouve ça bien d'avoir des convictions et de les défendre. C'est la première fois que je rencontre Pierrette, et j'ai comme l'impression que vous vous êtes bien trouvés tous les deux.

— À qui le dis-tu ! Elle, au moins, a des choses à dire et elle ne risque pas de s'encroûter. Si tu savais combien de fois elle m'a parlé de son petit Zach ! Un petit-fils proche de sa grand-mère, c’est bon signe. Faudra que je pense à remercier mon ex de m’avoir permis de le rencontrer. Et toi aussi, bien sûr, dit-il de manière appuyée.

Je fuis son regard et porte le mien sur le ruisseau. L’eau a toujours cet effet apaisant sur moi. Sa mélodie régulière a le don de me tranquilliser. Aussitôt les images de cascades au cœur des montagnes du massif central affluent dans mon esprit. Les heures passées à jouer au bord de la rivière restent pour moi un des plus beaux souvenirs de mon enfance. L'idée d'y retourner avec Zach un jour me plairait beaucoup.

Nous restons là quelques instants, à profiter des lieux. Etienne s'approche doucement de moi.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Bouge pas, t'as une petite bête sur la tête.

Je reste immobile. Il semble jouer de la situation, en effleurant mes cheveux.

— Voilà, c'est bon, je l'ai enlevée. Dis-moi, ça fait longtemps que tu le connais Zach ?

— Trois ans, pourquoi ?

— Et ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ?

Décontenancé par sa question, je recule d'un pas.

— On n'est pas du tout ensemble !

— Tu plaisantes. Tu sais que t'es en train de rougir ?

Il s'avance vers moi.

— Je peux t'embrasser alors ?

— Bien sûr que non !

Il me regarde, interdit.

— Pourtant, j'ai cru que…

— Ecoute, Étienne, je ne sais pas ce que tu as cru…

— Tu me fais marcher, hein ? Je te signale que tu m'a suivi et le prétexte d'aller chercher des fleurs n’était visiblement pas assez clair. J’aurais dû te proposer d’aller ramasser des champignons.

— C'est pas parce que je suis plus jeune que toi et tout juste majeur que je n'ai pas de cerveau.

— Ouais, bien sûr… Je pense surtout que t'es qu'un simple petit allumeur.

— Qu'est ce que tu racontes ?

— Oh, ça va, ne me la fait pas à l'envers.

— Non, mais t'es grave comme mec. T'as un sérieux problème !

— Arrête, c'est bon, pas la peine de crier, j'ai compris.

Étienne baisse la tête. J'hallucine, il est en train de pleurnicher ou quoi ? Je me sens couillon. J’ose poser mes deux mains sur chacune de ses épaules.

— Regarde moi. Je suis désolé si je t'ai donné l'impression que tu me plaisais…

— C'est toi qui a raison. À peine je t'ai vu que je te fais du rentre dedans, comme si j'avais pas baisé depuis six mois. T'as rien demandé. Je comprends pourquoi Oscar est jaloux. Il a raison, je suis un grand immature… Il croit que je couche à droite et à gauche, pourtant je te jure, je ne l'ai jamais trompé. Je me sens vraiment minable. On ne se connaît même pas et je fous déjà la merde.

Sa sincérité me touche profondément. Je me sens coupable.

— Même si on vient juste de se rencontrer, je me rends compte que toi et moi, on a déjà un point commun.

— Ah oui, lequel ?

— On est des hypers tous les deux ?

— Traduction, please.

— On surréagit facilement tous les deux, non ? Et on a du mal à maîtriser nos émotions quand elles nous dépassent.

— Ça, c'est clair… C'est plus fort que moi, répond-t-il en retrouvant son sourire.

— Tu sais que ça se travaille ? Parole de psy.

— Ne m’emmène pas sur ce terrain, le dernier à qui j’ai eu à faire, j’ai voulu le violer.

— Arrête de me faire marcher, s’il te plaît. C’est déjà assez difficile pour moi de dire ce que j’ai à te dire.

— Promis, j’arrête de faire le con .Vas-y, je t’écoute.

— Je serais malhonnête si je te disais que ça ne m'a pas fait plaisir que tu me rentres dedans comme tu l'as fait. Et, tu n'as eu aucun mal à voir que ton physique ne m'était pas indifférent.

— Il y a des signes qui ne trompent pas. Tiens, par exemple, là, tu rougis à nouveau.

— Tu marques un point. Mais…

— Mais, je viens de vraiment comprendre que tu en pinces grave et uniquement pour Zach.

Cette fois-ci, je lui souris franchement.

— Un nouveau point pour toi.

— Sauf que Zach a les yeux bouchés de merde et mon petit doigt me dit que tu ne lui a pas encore dit.

— Three points ! De toute façon, même si je lui avouais mes sentiments, je n'ai absolument aucune chance.

— Alors là, je ne serais pas aussi catégorique que toi.

— Vraiment, tu crois ?

— Vous êtes proches tous les deux.

— Oui, assez.

— Assez pour venir ici tous les deux en vacances.

— Je ne vois pas le rapport.

— Il a confiance en toi en te présentant sa grand-mère qu’il adore et ça, sans en avoir honte. Qui présente sa grand-mère à ses potes, franchement ?

— Je sais pas.

— Réponse : personne. Il a une meuf en ce moment ?

— Il vient de rompre.

— Ok, je vois le tableau. Soutenir son meilleur pote hétéro, alors qu'on ne rêve que d'une chose, c'est de le mettre dans son pieu, il y a meilleur comme configuration.

— J'aurais pas dit les choses de cette façon, mais en gros, c'est ça. Sinon, il m’a embrassé à sa fête de ses dix-huit ans, mais il était bourré, ça compte ?

— Bien sûr que oui, idiot. 100 % hétéro, mais bien sûr ! Et surtout, tu oublies un truc.

— Quoi ?

— Vu le regard assassin qu'il m'a jeté quand nous sommes sortis prendre l'air, je comprends mieux pourquoi il m’a dans le pif. Son message était clair : Manu, c’est chasse gardée ! A présent, c’est mort pour que je m’en fasse un pote. C’est dommage, il a l’air très sympa pourtant, mais je comprends qu’il m’en veuille.

— Dis pas ça, Zach n’est pas comme ça.

— Si tu le dis, on verra bien. En tous cas, je suis persuadé qu'il ne te considère pas uniquement comme son meilleur ami. Il faut juste lui ouvrir les yeux.

— Comment ça ?

— Ta ta ta, ne dis plus rien, et laisse moi faire.

À ces mots, Étienne remonte la pente, tout guilleret.

— Attends deux secondes. Il est hors de question que tu fasses quoi que ce soit, ce n'est vraiment pas le moment.

Étienne lève la main, comme pour me faire taire.

— Stooop, écoute-moi deux secondes.

Étienne se retourne à contre-cœur.

— Je peux te faire confiance ?

Surpris, il écarquille les yeux, flatté.

— Tu peux, Manu. Et vu comment t'es beau gosse, je ne vois pas comment je pourrais te refuser quoi que ce soit.

— Sérieux…

— Susceptible, va ! dit-il en rigolant.

Je lui tire la langue.

— On n'est pas venu ici pour les vacances et encore moins pour se la couler douce.

— Vas-y, accouche, dis-moi tout.

— Alors, voilà…

Je termine mon récit. Je n’en reviens pas d’avoir lâché tout ce que je sais aussi facilement. Étienne m'a écouté attentivement. Je le vois qui prend son temps de réfléchir avant de me répondre.

— T'inquiète, on va trouver une solution. À compter d'aujourd'hui, dis-toi que vous n'êtes plus tout seuls dans cette galère. Je te propose qu’on échange nos numéros de portable, qu’en dis-tu ?

J’accepte sur le champ.

— En attendant, on ferait mieux d'y aller, sinon ils vont croire que tu m'as supplié de retirer mon t-shirt pour admirer mon beau tatouage…

Ce garçon est incroyable, il est incapable de rester sérieux plus de deux minutes. Autant entrer dans son jeu.

— Je sais que tu meurs d'envie de t’exhiber, mais tu es trop vieux pour moi !

— Alors là, c'est un coup bas. Puceau va !

Je ne peux qu’exploser de rire à sa dernière remarque en lui répondant par un doigt d’honneur. Il réplique en suçant le sien de manière suggestive. J’arrête là la surenchère, il est trop fort pour moi.

Nous remontons à toute vitesse pour rejoindre la maison. Je me sens plus léger de m’être confié, surtout à quelqu’un que je ne connais pas. C’est paradoxalement plus facile. C’est rare chez moi et peut-être complètement fou, mais j’ai vraiment décidé de lui faire confiance. Mon psy serait fier de moi, mon intuition a parlé. Sans déconner, je sais que j’ai bien fait.

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