Retrouvailles houleuses

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Mon cousin est arrivé depuis cinq minutes et monsieur se la joue avec ses grands airs de fils à papa. Je prends sur moi, entre ce cher Pierre petit bourgeois de pacotille et monsieur Étienne grand seigneur, je suis servi. Qui plus est, Grandma n'a rien trouvé de mieux que de me coller entre les deux en prétextant qu'il fallait que je fasse plus ample connaissance avec le boss de son collectif à ma gauche et à ma droite mon cousin que je n'ai pas vu depuis trois ans.

Pour elle, je veux bien faire tous les efforts du monde, mais plus la crêpe party avance, plus ils me courent sur le haricot. Anouchka s’agite à mes pieds, ressentant mon agacement. Je vais regretter d'avoir fui Bordeaux et sa bande de mecs friqués versus Olivier sapés en Lacoste et ses contrefaçons de caïds habillés en Prada. À Mezange, je me retrouve comme un con dans un fort où d'un côté le cowboy Etienne tire plus vite que son ombre et de l'autre le chasseur de prime Pierre est dans toutes les bonnes combines pour se faire un max de blé. Depuis qu'il bosse avec son père, il marche dans ses pas. Il est à bonne école. Les deux sont prêts à tout pour s'en mettre plein les poches. C'est fou comme les gens peuvent changer. Pierre était plutôt sympa quand nous étions gosses. Il criait à tue-tête qu'il serait vétérinaire quand il serait grand. Là, de ce que j'ai compris, il est costume cravate ordi portable dans une main et le téléphone dans l'autre. Il a fait son alternance dans l'une des agences parisiennes de son père et il voudrait ouvrir sa propre branche dans l'ouest de la France.

Maman l'avait percé à jour son grand frère. Quand j'y repense, elle aurait été parfaite en détective privé. Elle savait reconnaître le vrai du faux et la moindre embrouille. Dommage qu'elle n'ait pas suivi cette carrière, ça lui aurait permis d'affronter les agresseurs nocturnes. Au lieu de ça, elle a préféré devenir infirmière pour sauver des vies. Mais le jour où il a fallu sauver la sienne, ils étaient tous aux abonnés absents. Je suis ses traces d'enquêtrice et dois aimer me foutre dans les emmerdes un peu comme Grandma. Dans la famille nous avons du caractère et nous ne supportons pas l'injustice. Nous n'acceptons pas que le plus fort écrase le plus petit. Dire qu'avec Pierre nous admirions les fourmis, nous pouvions passer des heures à les voir suivre le même circuit, studieuses et courageuses. Aujourd'hui, il les piétine sans aucun scrupule, ça me fout les boules.

Franchement, on a l'air malin autour de cette table. Camille m'a convaincu de rebrousser chemin. Si j'avais su je n'aurais pas aussi facilement accepté. C'est du grand n'importe quoi. Je suis en train de vivre une pièce de théâtre où chacun récite son texte à la perfection. Étienne tient le rôle de jeune promu, un chevalier des temps modernes prêt à défendre la veuve et l'orphelin, Grandma serait idéale en veuve noire. Par contre, ça voudrait dire que je serais l'orphelin, hors de question. Je préférerais interpréter Esteban, l'enfant du soleil.

Petits garçons, avec mon cousin, nous avons construit une cabane dans les arbres près de la rivière. Grandpa nous avait aidés. Les travaux avaient pris deux semaines. Nous étions fiers d'avoir pu monter l'édifice de nos mains. Chaque étape avait été établie avec minutie. Une fois terminée, nous avons passé de superbes moments dans ce lieu qui n'appartenait qu'à nous. Camille, la troisième de la bande, nous avait rejoints et nous étions partis à la recherche des mystérieuses cité d'or. L'été de nos onze ans fut exceptionnel. Cet été-là, Jérémie était venu passer deux semaines avec nous : Le quatrième mousquetaire. Nous vivions pleinement nos aventures. Tout était simple. Nous nous étions promis de toujours rester soudés. La vie en a décidé autrement. Pour protéger son fils, la maman de Jérémie l'a emmené loin de son père. Notre séparation fut un déchirement. Il a emmené une partie de moi au Canada.

Puis ce fut au tour de Pierre de ne plus venir pour les grandes vacances, son père est monté à Paris pour bosser. Monsieur n'avait plus le temps pour venir saluer le peuple. Quand on fraie dans le grand monde, on oublie ses racines. Cet après-midi, c'est bien le digne fils de son père qui a débarqué sans qu'on s'y attende. Il maîtrise son rôle de L'Avare à la perfection, son costume est taillé sur mesure. Avec son père ils sont faits du même bois. Je me demande encore comment Grandma a pu avoir deux enfants aussi différents. Autant ma mère était un mixe de Grandpa et Grandma, autant son frère, je me demande de qui il tient. Il est aigri et opportuniste.

Notre dernier repas de famille , il y a trois ans, fut horrible. Mon oncle avait balancé tout un tas de vacheries à mon père. Ce fut l'unique et dernière fois que je vis ma mère élever la voix. Il avait réussi à la faire sortir de ses gonds. Elle lui avait dit ses quatre vérités et où il pouvait se le mettre son acte de propriété. Puis Stella ma maman s'était excusée auprès de sa mère pour son emportement. Le soir même, nous rentrions à Bordeaux. Le plus triste dans l'histoire, c'est le dernier souvenir de Pierrette pour sa fille. Mon oncle n'a même pas eu la décence de venir pour l'enterrement de sa sœur. Je ne sais pas ce qui me retient de foutre Pierre à la porte. Dans mon esprit, il arrive, étale son fric, envahit l'espace sans tenir compte de Grandma. Il a failli nous renverser avec une voiture qui pourrait payer une partie des travaux de la maison de Pierrette. À côté de ça, il monopolise les conversations, toujours à côté de la plaque et égoïstement se goinfre de crêpes. Sans crier gare, il porte le coup final et nous annonce :

-— J'ai eu un rendez-vous avec Monsieur le Maire. Il m'a confirmé qu'il était prêt à tout pour acquérir tes terres. Il m'a envoyé en émissaire. Mémé ton prix sera le sien dans la mesure du raisonnable. Il te propose en plus de te réserver une place dans la future maison seigneuriale qu'il fait bâtir de l'autre côté du village.

Il obtient le silence de tous à table, tous les yeux se portent sur Pierrette, ils sont déconcertés par son outrecuidance. À mon tour, je cherche le regard de Manu, le seul auquel je pourrais me raccrocher pour dire de ne pas partir en vrille. Je bous, je suis au bord de l'explosion. Je me redresse d'un coup prêt à fondre sur Pierre. Mes tempes me font mal tellement la pression sanguine est élevée. Je ne vais pas résister longtemps, c'en est trop. De quel droit peut-il faire ça à notre grand-mère ? À cette femme formidable ? Pourquoi ne se rend-il pas compte que c'est son combat ? Avec cette proposition, il va l'anéantir. Nous nous retrouvons tête à tête, je peux sentir son haleine, il me répugne. Je suis à deux doigts de lui mettre un coup de boule quand deux mains fermes me saisissent par les épaules pour me tirer en arrière.

— Allez Zach, viens avec moi on va aller prendre l'air, me dit Étienne tout en me maintenant contre lui.

— Lâche-moi, dis-je en essayant de me dégager. C'est lui qui doit foutre le camp. Il n'a rien à faire ici. Putain, Pierre comment tu peux balancer ça ?

— Calme toi couz, c'est pour son bien.

— Tu t'entends parler ? À quel moment tu penseras aux sentiments des gens et non au fric que ça peut te rapporter ?

— Tout doux Zach, tu devrais ouvrir les yeux, vous allez vous épuiser à ce petit jeu. Mémé n'est plus toute jeune.

— Non mais ça va pas, t'es vraiment qu'un connard.

L'ambiance devient de plus en plus électrique, quand un coup de fusil retentit. Je reconnais bien là ma Grandma, la Calamity Jane de Mezange vient de faire un trou dans le plafond mais elle a fait redescendre la tension. À côté d'elle, Mimie éclate de rire et lui dit :

— Tu veux qu'on aille attacher ton avorton de Pierre au fond du jardin ?

Camille retient tant bien que mal sa grand-mère pour éviter qu'elle joue aux lancer de couteau sur mon cousin.

— Mémé, dis à ta folle furieuse de voisine que si elle continue, c'est son terrain qui pourrait être le suivant bien qu'il soit moins intéressant.

— Écoute mon petit Pierrot.

— Arrête de m'appeler comme ça.

— Tu es chez moi donc je ferai comme bon me semble. Donc mon petit Pierrot, remonte dans ta fusée rouge et va voir sur la lune si j'y suis.

— Mémé, tu n'auras bientôt plus le choix.

— On a toujours le choix et si tu ne veux pas que je fasse le pire de ma vie, prends tes cliques et tes claques, va à la Mairie et dit à Monsieur Beauseigneur que la seule chose qu'il n'aura pas, c'est ce bois.

Pierre me bouscule en me filant un coup d'épaule et en me dit tout bas :

— Dégage toi aussi avant qu'il ne soit trop tard, sinon c'est au cimetière avec ta mère qu'elle va se retrouver et tu leur apporteras des crêpes, sombre idiot.

Je le saisis par le bras et lui file une droite. Il vole en arrière. Anouch grogne,nerveuse. J'aide mon cousin à se relever et lui annonce droit dans les yeux :

— Si toi ou cet abruti de Maire vous touchez à un seul de ses cheveux, je ne retiendrais pas mes coups. Et si tu veux cette terre, tu devras d'abord me passer sur le corps. Déguerpis, va rejoindre ton monde qui ne sera jamais le nôtre.

Je le pousse jusqu'à sa voiture et le balance à l'intérieur.

— Fais gaffe, ce serait dommage de tâcher l'habitacle avec ton sang.

Je claque la portière. En réponse, il m'offre un doigt d'honneur.

Je me retourne pour rejoindre la maison, face à moi toute la tablée est sur le seuil de l'entrée.

— Bon débarras, dit Minie le sourire aux oreilles. C'est un mec comme Zach qui te faut Camille, pas ta lavette de Tony.

— Mamie, ne recommence pas.

— Bon, on finit les crêpes, ajoute-t-elle, moi les émotions ça m'ouvre toujours l'appétit. Un petit remontant serait le bienvenu. Allez ma Pierrette, t'inquiète on sera toujours là, et c'est lui qui reviendra la queue entre les jambes.

Les deux femmes partent bras dessus bras dessous en plaisantant. Ma Grandma est vraiment une femme exceptionnelle, elle mérite mieux que tout ça. Je me demanderai toujours comment elle arrive à encaisser et avancer. C'est elle qui a raison, il faut se battre pour garder la beauté que nous offre ce monde. À son tour, Camille attrape Manu par la main et le reconduit à l'intérieur. Je la vois lui glisser un mot pour le convaincre de la suivre. Je ne me sens pas de rentrer, pour l'heure, j'ai à nouveau besoin de retrouver la quiétude du lieu. Étienne m'interpelle :

— Zach, tiens prend mon téléphone, Manu m'a dit que tu n'avais plus de portable et que tu voulais joindre ton père. C'est un reconditionné avec une carte prépayée, ça devrait faire l'affaire pour ne pas te faire repérer.

— Je te le rends après. Encore merci pour Pierrette.

— Je pense qu'elle va avoir besoin de toi. Manu m'a raconté un peu tes emmerdes.

— Ah…

— Je pense qu'il se fait du souci pour toi. Il avait envie de se confier. Allez, je te laisse. Je pense que t'a envie de te poser et réfléchir. Je vais voir si je peux te trouver un portable rapidement.

Je le regarde entrer à son tour dans la maison où des éclats de rire s'échappent de la porte fenêtre du salon. Je caresse Anouch qui s'est apaisée et file en direction de la rivière.

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