La dame blanche

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Pour créer l’ambiance de mon histoire, je prends la lampe torche dans le panier, la place sous mon menton et ouvre grand les yeux.

— Wouah, tu fais peur comme ça.

— J’espère bien ! Allez, c’est parti. C’est une histoire vraie qu’on m’a racontée. Elle se passe dans les années quatre-vingt, le 16 mai 1982, plus exactement. Le mec s'appelle Maurice. C’est un vieux garçon, début de la cinquantaine. Il a des grosses lunettes marron, des poils qui dépassent du nez et les cheveux dégarnis. Il est habillé comme un plouc, avec un vieux gilet gris et un pantalon en velours. Ouais, je sais, je te vends pas du rêve. On est en mai, mais il fait un temps pourri, ça fait quinze jours qu’il pleut et qu’il vente, on se gèle méchamment. Maurice est dans sa voiture et roule sur une nationale en pleine montagne, la RN 90 entre Grenoble et Chambéry. Il la connaît bien, c’est celle qui prend tous les dimanches pour aller rendre visite à sa mère malade. Ce soir-là, il en revient, justement. Faut dire aussi que sa mère est une vieille bique. Elle est devenue acariâtre et a été particulièrement peau de vache avec lui, tu vois le genre. Maurice, il s’en prend plein la gueule, mais il encaisse comme à chaque fois. Il prend soin d’elle et attend qu’elle s’endorme. Il est aux alentours de minuit quand il la quitte, bien vénère. Il a besoin de changer d’air, mais on est dimanche soir, et il sait que chez lui, personne ne l'attend. Il va donc se faire chier comme un rat mort.

— La vie de merde, le gars.

— Ouais, comme tu dis. Bref, il est donc dans sa voiture et il pleut des cordes. Alors Maurice, même s’il connaît bien la route, il fait gaffe car il veut pas se planter. Lorsque tout à coup, la lumière de ses phares accroche une silhouette féminine au bord de la route. C’est une meuf habillée tout en blanc.

— Oh, non, pitié, Manu, pas l’histoire de la Dame blanche, on la connaît par cœur !

— Oh, allez, je suis sûr que tu ne connais pas cette version. Elle est véridique celle-là, je te jure.

— Ouais, bien-sûr ! Tu vas pas me dire que tu crois à ces conneries. Ne me fais pas les gros yeux, je t’écoute.

— Donc, où j’en étais moi ? Ah oui. Notre Maurice voit une meuf sur le bord de la route. Elle porte une robe blanche légère qui va jusqu’à ses pieds, avec des longues mèches brunes détrempées qui lui tombent sur ses épaules nues et squelettiques. Elle penche la tête sur le côté, façon zombie. Alors évidemment, Maurice, comme c’est un bon gars et qu’il a pas pécho depuis la seconde guerre mondiale, il s’arrête. L’auto-stoppeuse monte à bord. De plus près, il s’aperçoit qu’en fait, elle est plutôt jolie. Après la journée de merde qu’il vient de passer avec sa daronne, il est bien content de parler à quelqu’un d’autre. Elle le remercie et lui explique qu'elle rentre chez elle à trois kilomètres plus loin à Bellegarde. Maurice connaît bien le petit village et se fait un plaisir de lui rendre service. Tous les deux commencent à discuter, lorsque soudain, la jeune fille lui dit…

— J’ai envie de toi, Maurice !

— Mais non, t’es con.

— Je reprends. La jeune femme l'avertit. “Attention, nous arrivons au virage du mont du Forez, c’est un endroit dangereux ! “. Maurice qui prend cette route régulièrement tente de rassurer la passagère. Mais la fille, elle insiste, sa voix se brise, elle est terrifiée : “ Il y a sept ans, une jeune fille a raté ce virage à moto et elle est morte ! ” Ah, ah, ah, t’as sursauté, Zach !

— Jamais de la vie.

— Tu verrais ta tronche ! Bon allez, je continue. Ne voulant pas effrayer la jeune femme, Maurice ralentit et tourne la tête pour rassurer sa passagère d’un sourire. Mais à sa grande stupeur, le siège est vide !

— Sans déconner…

— Aussitôt, il s’arrête pour fouiller dans toute la voiture, le coffre compris, pas de meuf. Il décide de faire demi-tour pour inspecter la route, rien.

— C’est tout ?

— Non, attends. Maurice remonte dans sa voiture et décide d’aller au poste de police le plus proche pour raconter son histoire. Arrivé sur place, les gendarmes le prennent pour un con et se disent qu’il est bourré. Sauf un. Un vieux policier qui le prend à part et qui prend le temps d’écouter ce qu’il a à dire. Maurice qui est à ce moment-là très fatigué commence à réaliser qu’après tout, il a peut-être rêvé et s’excuse platement auprès de l’officier. Sauf que. Maurice n’est pas le premier à qui une telle aventure est arrivée. Le vieux policier lui raconte que sept ans plus tôt, en 1975, le 31 octobre pour être précis, une jeune fille s'est tuée sur le pont du Forez. Ça a fait la une de la presse de l’époque et il va même dans les archives pour lui montrer les articles de journaux. Depuis ce jour, nombreux sont ceux qui laissent monter à bord de leur véhicule celle que l’on appelle dans la région la Dame Blanche de la RN 90. Il y en a même qui ont pris des photos d’elle pour prouver leur récit.

— Ouais, je me doute bien qu’il doit y avoir un tas de photos truquées qui circulent aujourd’hui sur le net.

— Sauf que tu oublies qu’on est en 1975. Pour avoir lu un bouquin sur cette légende urbaine, quand tu vois les photos de l’époque, ça te fout bien les j’tons. Je finis. Avant de quitter le commissariat, le vieux policier raconte à Maurice une autre histoire. Celle d’un jeune médecin. Son témoignage est encore plus incroyable.

— Allons, bon.

— Deux ans plus tard, cette fameuse nuit-là, il pleut encore. Le médecin prend lui aussi en auto-stop une jeune fille sur cette route. Cette fois, sa passagère ne s’évapore pas et il la ramène jusqu’à son domicile. Il lui prête son parapluie puis attend bien sagement qu’elle le lui rapporte. Comme elle ne revient pas, il se décide à sonner à la porte de la maison où il l’a déposée. Et devines quoi ?

— Bah, j’en sais rien, moi !

— Je croyais que tu connaissais l’histoire ?

— Ne te fais pas prier, je t’en prie.

— Très bien, je continue. Une vieille femme lui ouvre. Alors, le médecin, il comprend pas et demande à parler à la jeune femme. La vioc, elle lui assure que sa fille unique est morte deux ans plus tôt, dans un accident de la route. L’homme commence à se dire que la vioc est sénile, car il est sûr d’avoir vu entrer la meuf chez elle. Alors, il insiste et lui décrit la jeune fille. La vieille dame lui montre alors une photo : c’est bien la jeune fille qu’il vient de quitter.

— Oh putain, ça calme ! Tu racontes bien les histoires.

— Encore un de mes talents cachés. Tu vas réussir à dormir ?

— Pas sûr. Et après ça, tu veux que nous fassions du co-voiturage ?

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