T'es froid

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Pourtant les explications de Jérémie sont claires, après l'avenue prendre la première à gauche. Il a ajouté, tu ne pourras pas louper le bar avec un clin d'œil. Il pense que j'ai un radar intégré pour repérer tous les coins sympas ou que je suis un alcolo qui connaît toutes les bonnes adresses dans les villes où je fais escale. Il m'imagine en capitaine, où une belle brune ou une jolie blonde ambrée m'attendent. La dernière fois que j'ai foulé les pavés du port de la Rochelle, j'avais cinq ans. Je faisais des aller retour sur ma draisienne à fond les manettes sous le regard bienveillant de mes parents. Maman voulait visiter cette ville. Elle avait fait les yeux doux à son époux. Il n'avait fallu qu'un jour pour que mon père craque et nous emmène passer un week-end au pays du père Fouras. Je suis persuadé qu'elle aurait voulu le rencontrer, ce vieux monsieur qui pour moi a l'âge du pin bicentenaire. Il est une sacrée force de la nature avec une belle longévité. Le petit écran a cet avantage, comme les jeux vidéos, les personnages ont une vie infinie à souhait. Chaque été, nous nous plantions devant la télévision, c'était le programme du samedi soir. Quand j'y repense, j'ai infligé à Manu d'en visionner l'été dernier. Ce bon vieux fort est toujours fidèle au poste, il se dresse au milieu de l'eau, il affronte tempête et canicule.

C'est drôle, une chose me revient très clairement, la maison où nous avions dormi, avec ses murs blancs, ses volets bleus et son grand jardin. Je serais capable de retrouver cette bâtisse sans problème. C'était une chambre d'hôte : la maison Joséphine.

Mon portable vibre, un message de Jérémie : "T'es froid". Je lui réponds automatiquement avec un smiley ptdr et prend la rue suivante. J'avance et reçoit une nouvelle notification. "Tu refroidis". Non mais, il se paye ma tête. Je continue, me faufile dans une ruelle, m'arrête et regarde mon téléphone "glacé". Bon et bien au moins si je me perds, mon traceur personnel me retrouvera. Heureusement qu'il est dans mon camp, je n'aurai pas fait long feu s'il avait été à la solde de Karl. Un autre SMS : "Allez, ramène ton petit cul par là". Il est malin, lui, il sait où je me trouve, moi je suis largué.

Je reviens sur mes pas, je devrais bien finir par le trouver ce bar. Je m'arrête devant une librairie, sa devanture m'a tapé dans l'œil. Non, pas possible, je rêve. Mille Sabords. Manu aurait été avec moi, il me pousserait à l'intérieur. Elle est incroyable cette boutique. J'ai une idée folle , j'ai trop envie de partager cette trouvaille avec lui. Je saisis mon portable et prends une photo de la vitrine. Une édition spéciale pour la ville de la Rochelle est posée au premier plan. J'entre, une jeune femme d'une vingtaine d'année m'accueille avec un sourire radieux.

— Que puis-je faire pour vous jeune homme ?

— Oh , j'ai un ami qui est fan de Tintin.

— Vous êtes pile poil au bon endroit.

— Oui, je n'ai pas pu résister.

— Vous voulez lui faire un cadeau.

— Pourquoi pas, ça pourrait être une bonne idée.

— Anniversaire ? Occasion spéciale ? Juste pour le plaisir ?

— Ça marche comme un cadeau de réconciliation.

— Oh, je vois une peine de cœur.

— Heu non …

— Pardon, je ne voulais pas être indiscrète. Un livre, c'est comme des fleurs, on les offre en toutes occasions et ça fait toujours plaisir.

— Je peux jeter un œil à celui qui est en vitrine, demandé-je pressé de le tenir dans mes mains.

— Très bon choix, vous saviez que les vraies villes que Hergé évoquent sont presque aussi rares que les conquêtes féminines de son héros. La Rochelle est l'une d'elle.

La libraire est passionnée et passionnante, si Manu était présent il pourrait débattre des heures avec elle. Je ne sais pas lequel des deux gagnerait au quizz Tintinophile. Il serait difficile de les départager. Pour ma part, elle m'a perdu mais par politesse je ne l'interrompt pas tout en feuilletant le tome Les septs boules de cristal.

Allez je me lance, même si Manu ne me répond pas à mon message, je suis trop content de partager ce lieu avec lui. Étienne m'a dit : "tape dans tes favoris tu trouveras son numéro". Je poste la photo auquel j'ajoute un petit mot "18 quai de la Palice page 59, cargo Valmy". "Désolé, j'ai vraiment merdé."

Pendant que Angie emballe le livre dans un papier marinier, je guette mon téléphone. J'attends une réponse mais ce n'est pas celle que j'espérais.

"Mon chou, si tu peux, récupére ma commande ce serait sympa".

— Non mais Jerem franchement…dis-je à voix haute.

— Vous me disiez, me demande Angie en quittant le paquet des yeux.

— Mon meilleur ami veut que je récupère sa commande.

— Comment s'appelle-t-il? Un nom ou un numéro de commande.

— Attends, je vois avec lui.

Je commence à textoter mais bien-sûr il me devance : " Dit à Angie que c'est le renard". Je lui montre mon écran et elle ouvre des yeux tout ronds.

— Je rêve, votre pote c'est Jérémie. C'est pour lui le Tintin ?

— Ah non cette BD, c'est pour Manu.

— Dis donc, tu collectionnes les mecs.

— Hein…

— Non, t'occupe je te taquine, me dit-lle tout en me tendant un bouquin.

— Voilà sa commande : House of brutes, le dernier manga de Gengoroth Tagame.

Le coquin ne devrait pas s’ennuyer, ça a l’air plutôt chaud. Sur la couverture, un homme barbu ligoté, un foulard entre les dents, tenu par une main inconnue.

— Et je lui laisse en cadeau, parce que c’est un fidèle client, le goodies de la licence Death note que l’on vient de recevoir cette semaine. Un magnifique porte-clés, Ryuk, cent pour cent démoniaque.

— Cool, je vois d'avance ses yeux briller.

— Une question : vous ne vous appelez pas Zach, par hasard ?

— Oui, pourquoi ? dis-je fort surpris.

— Parce qu'il me parle souvent de vous, me répond-elle spontanément.

— Ah bon, mais lui et toi ?

— Non pas du tout, on est juste des amis.

— Ok, super. Je peux te demander un service.

— Oui avec plaisir.

— Tu sais où se trouve le bar la Guignette ?

— Son repère.

— Oui, j'aurais dû m'en douter. C'est bien son style, de bouquiner dans un coin sympa.

— Si tu trouves Maël, tu trouveras Jérémie.

Nouveau message : " Bon allez bouge, on t'attend".

— Tu remontes la rue, la première à droite et tu seras à bon port, me dit Angie.

Elle me tend les deux sacs en papier kraft.

— Merci pour tout.

— Oh, si tu restes un peu, je pense qu'on aura l'occasion de se croiser.

— Ce sera avec plaisir, dis-je en la saluant de la main.

Je sors de la librairie en suivant les instructions qu’elle m’a notées sur un bout de papier. J'approche de mon but, je suis impatient de revoir Jérémie, j'ai tant de choses à lui raconter. Par contre, je n’ai toujours pas de nouvelles de Manu. Je flippe. Tout ne peut pas se finir ainsi.

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