Le silence de la nuit

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Me voilà de nouveau au volant. Manu, Il va falloir que cela cesse, tu ne vas pas pouvoir conduire comme si t'avais ton permis, même la nuit. C'est la dernière fois. On va finir par se faire choper sinon, et là, adieu l'aventure.

Mon dos et ma nuque sont tendus. C’est la première fois que je conduis de nuit, alors je fais hyper gaffe. Et si par malheur, je rencontre la Dame blanche sur le bord de la route, il est hors de question que je la prenne en stop, elle ira se faire voir ! Les minutes passent lentement et je réalise qu’étrangement, c’est aussi très agréable de rouler en entendant uniquement le bruit du vent et du silence. Il se dégage une atmosphère unique.

Ça fait vingt minutes que nous roulons. Pendant que Zach dort, moi, je suis toujours concentré sur la route. Zach, Zach, Zach.

Trois ans que nous sommes amis. En seconde, nous étions de simples potes de classe. L’année suivante, ont commencé les soirées avec Cédric et Matthieu. Je me suis toujours senti en décalage avec ces deux bêtas, et pourtant un accord tacite entre nous était né. Zach était notre pote à tous les trois, il fallait composer. Je me souviens surtout de mes premières après-midi chez lui à écouter de la zic, à mater des vidéos débiles sur nos téléphones, et surtout nos soirées ciné. J’étais impatient lorsque le vendredi soir arrivait. Son père s’occupait de concocter ses délicieuses pizzas dont lui seul avait le secret, avant de partir travailler. Moi, j’apportais mon ordinateur portable avec une sélection de films téléchargés. Au départ, nous choisissions de gros blockbusters américains, puis nous avons vite dévié sur les classiques de films des années 80 dont Zach me faisait les louanges, notamment ceux de Brian de Palma. Si Carrie nous a fait rire, et Scarface impressionné, Blow Out nous a littéralement scotché. Un jour, j'ai osé lui avouer ma passion pour les films noirs des années 50. Sceptique et pas très enthousiaste au départ, il a fini par accrocher aux classiques d’Hitchcock et a compris pourquoi Gus Van Sant avait fait son remake de Psychose, plan par plan pour lui rendre hommage.

L’été qui a précédé la terminale, j'ai réalisé que le considérer comme un simple ami n'était plus possible. Mes sentiments pour lui n'avaient que trop grandis. Il m'était impossible pour autant de lui dire. J'avais trop peur de le perdre en tant qu'ami. Le premier jour de la rentrée, j’ai pris mon courage à deux mains en faisant mon coming-out au lycée. Je croyais que j'allais m'en prendre plein la gueule ou susciter l'admiration de certains élèves de ma classe, et bien finalement rien de tout cela n’est arrivé. Aucune moquerie ou insultes, du moins en face (mais ça, je ne le saurais jamais). Ça m'a donné confiance pour l'annoncer à ma mère un soir où mon père était encore retenu en réunion à la mairie. Elle s'en doutait depuis longtemps (contrairement à mon père qui excelle dans la politique de l'autruche). Elle ne m’a pas rejeté, au contraire, elle m’a serré dans ses bras. Un poids en moins qui cette année m’a permis de me rapprocher encore davantage d’elle. Je crois que c’est aussi pour cette raison que l’on a pu imposer à mon père mon choix de partir pour l’Irlande.

Faire mon coming-out au lycée faisait partie de ma pseudo stratégie de faire comprendre à Zach que j'avais envie de le lécher partout. Oui, bon, dis comme ça… En tous les cas, cela ne lui posa aucun problème et ça a eu pour effet inespéré de nous rapprocher encore davantage, sans que lui ou moi ayons le besoin d'en parler, ce qui m'arrangeait bien. Aussi dingue qu'inattendu, j’allais cependant mesurer que notre forte amitié allait me faire souffrir.

Je ne lui ai jamais parlé de mon premier petit copain (une relation cachée de quelques semaines avec ce petit brun d’Alexis, aussi timide et maladroit que moi). Je préférais focaliser l'attention sur ses petites amies, même si évidemment ça me faisait bien chier, surtout la dernière en date. Je reste persuadé que Géraldine n‘est qu’une grosse allumeuse qui profite de lui. En y repensant, il serait peut-être temps de l'avertir, mais pour lui dire quoi au final ? Laisse tomber cette fille, et vient plutôt dans mon slip ? Et puis, comme elle s'est barrée en vacances, j'ai encore le temps de voir venir.

*

Les forêts landaises défilent devant moi, je laisse Zach, endormi, marmonner dans son coin. S'il se voyait ! J'ai envie de me moquer gentiment, il est si touchant comme ça. Jusqu'au moment où je m'aperçois qu'il commence à s'agiter sur son siège. Ses rêves, s’ils avaient été tranquilles jusqu’ici, ne semblent plus l’être du tout. Son front se plisse, ses lèvres se durcissent, ses mains font quelques soubresauts. Devrais-je le réveiller ? Je suis à deux doigts de le secouer quand je l’entends parler tout fort. Au départ, je ne comprends absolument rien de ce qu’il raconte, quand soudain, je distingue clairement le mot ''Antelax''. C'est quoi ce truc ? Il le répète plusieurs fois et se met à crier “Nooooon, t' as pas le droit maman de m'abandonner maintenant !”. Je suis tellement surpris que je fais un écart sur la route. Je ralentis ma vitesse. Il semble s'être calmé jusqu'au moment où j'entends de nouveau distinctement des paroles qui me glacent le sang :''Méfie toi des Courtois''. Je rêve où il a prononcé mon nom de famille ?

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