Mon pire cauchemar

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J'entre dans le bâtiment qui à cette heure de la nuit est enveloppé dans un silence absolu. L'infirmière de garde est dans son bureau, elle surveille les moindres signaux d'alerte. Les aides soignants sont en pause avec les agents d'entretien. Par chance, je n'ai croisé personne. Je me dirige vers le vestiaire. Sur un banc, m’attend une tenue. Monsieur Campos a tout prévu pour que je me fonde dans le paysage. Je sais les risques qu'il prend par ma faute. Mais après tout, rien ne va sortir de l'hôpital. Bien au contraire, je vais restituer ce qui a été dérobé par Karl. J'envoie le signal un "mdr" à Jérémie. De La Rochelle, il va pouvoir m'aider avec ses compétences en informatique. Je suis un caméléon aux yeux de ce que je croiserai dans mon uniforme vert de monsieur propre. Fantôme pour les caméras dont mon best a pris le contrôle grâce au brouilleur qu'il a installé dans mon téléphone. Manu serait content de savoir que j'ai obtenu le rôle de James Bond tant convoité par tout un panel d'acteurs beaux gosses. Ou bien, il me tuerait s'il avait connaissance de mon plan. Tout me paraît trop simple. Les rouages sont trop bien huilés.

Tout à coup, les lumières du couloir s'éteignent. Mon tibia tape contre le rebord d'un chariot de soin. Je me mords la langue pour ne pas crier. Ça fait super mal, je frotte vivement sur la zone douloureuse et cherche mon portable qui vient de vibrer, un message de Jerem: "En principe, il n'y a aucune raison que la coupure de courant dure plus d'une minute ou deux. Le groupe électrogène prendra le relais". Le temps s'étire, mon pouls s'accélère quand j'entends deux voix étouffées juste à quelques pas. Mon instinct de survie me lance un signal d'alerte. Je rampe jusqu'à un renforcement et tire le chariot devant moi. Mes mains sont moites, un frisson parcourt mon bras, mon estomac se noue. Je ne suis qu'à une porte de mon objectif. J'y étais presque. Je ralentis mon souffle. Les emmerdes se profilent à l'horizon. Je planque mon téléphone dans la poche pour atténuer la lumière en cas de notification. Je garde le pouce posé au cas où je doive lancer un SOS. Sans faire attention, j'appuie sur le numéro de téléphone de Manu.

— Magne-toi, il faut qu'on récupère les doses, dit celui dont j'ai reconnu la voix.

— Pourquoi ?

— Pour le boss, il s'est fait choper par la douane volante en revenant de Madrid.

— Eh alors on s'en tape. Tant mieux on pourra dealer peinard et reprendre le marché.

— Tu déconnes, il n'hésitera pas à nous balancer pour sauver son cul.

— Eh bien tu t'en débarrasseras comme tu l'as fait pour l'infirmière et Karl.

— Putain, connard ferme ta gueule. On pourrait nous entendre.

— Qui voudrais-tu qui nous captes. T'as vu dans l'état où ils sont tous ces futurs maccabées. Franchement, on fait bien de récupérer la came. Avec eux c'est de l'argent foutu en l'air.

— T'a raison, la sécu devrait nous remercier. Allez bouge. Dans une minute les lumières vont s'allumer.

— Et pour le fouineur ? C'est quoi le plan.

— J'attends les consignes. Mais s'il faut, il sera mon prochain sur la liste. Il en sait trop.

— Et son pote.

— Tu te fous de moi, on touche pas au fils du boss.

— Dommage, je me serai bien tapé le pédé, il a un putain de cul.

— Abruti, c'est pas le moment. Allez bouge, prend ce qu'il y a sur l'étagère. Ça suffira pour aujourd'hui.

— Faudra trouver un nouveau mec pour venir faire la récolte. Maintenant que Karl n'est plus là.

— T'inquiète, des petites frappes on en a plein le quartier.

Je suis fou de rage, je viens d'avoir leurs aveux en direct. Mais qui me croira si je vais à la police. Ma parole contre celle de ceux qui ont déjà étouffé l'affaire. Comment j'expliquerais ma présence à cette heure dans l'hôpital.

Le meurtrier de ma mère se tient à quelques mètres de moi. J'ai envie de sortir de ma planque, lui sauter à la gorge, la serrer jusqu'à sentir son dernier souffle s'échapper. Au lieu de ça, la même scène d'horreur me revient en pleine face, celle qui tapisse mes cauchemars. Les cris de ma mère, moi courant la rejoindre. Je me jette au sol en découvrant son corps sur le trottoir. J'essaye de stopper l'hémorragie avec mon sweat. J'hurle à plein poumons pour que quelqu'un vienne m'aider. Anouchka s'allonge à côté de Stella. La pluie s'abat sur nous. Je plonge mon regard dans les yeux bleus de ma mère. Ces putain de yeux bleus qui ont bercé toute mon enfance et mon adolescence. Une façon de garder un point d'ancrage alors que le sol se dérobe sous le poids de mon corps. Sa poitrine se soulève au ralenti, la mienne accélère, mon cœur tente de sortir de ma cage thoracique. L'eau se mêle à son sang et à mes larmes. Elle me sourit, me demande de me rapprocher d'elle et dans un dernier souffle me dit "je t'aime". Ma vie s'est arrêtée ce soir-là. Tout est devenu noir. Quand les pompiers sont arrivés, je ne les entendais pas. Ils essayaient de me détacher de son corps, je ne voulais qu'une seule chose qu'on me rende ma maman. Je voulais conserver la chaleur de son corps tatoué sur le mien. Garder son odeur. J'étais perdu et en colère contre la terre entière comme en ce moment. Je suis dévasté. Les larmes inondent mes joues, je retiens les sanglots pour ne pas me faire remarquer. Je suis tout seul dans ce putain de couloir, personne ne sera la pour me sauver. À nouveau un sale goût remonte dans ma bouche, si je ne retenais pas, je vomirais. Je manque cruellement d'air, c'est invivable, insupportable. Je me terre comme un animal, au fond d'un trou pour ne pas être attrapé par son prédateur. La loi du plus fort. Comment vais-je me sortir de là ? Maman, tu me manques tellement. J'ai promis à papa que je serai sur le parking du lycée. J'ai promis à Manu que je le rejoindrai à Mézange. J'ai mal à en crever, tout mon corps est tendu. Je voudrais lancer ce fameux SOS mais Jerem et Manu sont bien trop loin pour me lancer une bouée. Je vais devoir laisser passer l'orage. Je ne ferais pas le poids, ce serait de la folie de vouloir les affronter. Il y a trois ans, je n'aurais même pas réfléchi et foncé tête baissée dans le mur. Je suis un James Bond de pacotille, pathétique. Suis-je un lâche ? Peut-être, je veux avant tout respecter les promesses que j'ai faites aux êtres auxquels je tiens le plus au monde. Ceux qui m'ont sauvé et m'aident chaque jour à être un meilleur homme. Mon père ne mérite pas de découvrir le corps de son fils à la morgue. Grandma doit sauver ses pins. Jérémie, je viens de le retrouver ce n'est pas pour l'abandonner. Mais celui à qui je dois tout, c'est Manu. Alors je laisse passer la tempête, je fais le dos rond. La lumière se rallume, le couloir est désert. Je me relève difficilement, les bienfaits du sauna se sont évaporés au cours de ces longues minutes. Je me dirige vers le laboratoire, déverrouille la porte. Je prends une grande inspiration, je dépose les doses à la place de celles dérobées. Je balaye du regard la pièce jusqu'à ce qu' il se stoppe sur le mur au-dessus du plan de travail où s'étalent les microscopes électroniques et les ordinateurs. Il y a une photo de Stella dans son uniforme d'infirmière avec un enfant dans les bras. En m'approchant, je découvre que c'est moi. Un mot en dessous est écrit de sa main, je reconnais sans mal ses arrondis : "un enfant est le plus bel espoir que nous offre la vie alors illuminons le ciel de milliers d'étoiles".

Je retrouve Monsieur Campos à l'extérieur, il me propose une cigarette que j'accepte sans hésiter et en profite pour lui rendre son badge.

— Tu as pu faire ce que tu voulais.

— Oui, maintenant il ne me reste plus qu'à conclure cette affaire.

Je file en direction du parking du lycée et envoie un message à Jérémie pour le rassurer et lui faire passer des informations supplémentaires. Je cours à en perdre haleine, j'apprécie le vent qui caresse mon visage, au loin le soleil se lève. Il est temps pour moi de retrouver Manu.

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