On est bientôt arrivés

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Nous roulons depuis une demi-heure. Le paysage défile au ralenti. J'ai opté pour une conduite touristique. Après la version sportive de ces derniers jours, le rythme tortue me convient bien mieux. Je me laisse porter, la route est déserte à cette heure matinale. Elle ondule au milieu des pins. J'ouvre ma fenêtre pour profiter de leurs odeurs si particulières. Ce parfum agresse les narines des vacanciers avec ces arômes forts et entêtants. Moi, je les retrouve avec bonheur, cette fragrance a baigné mon enfance à chacune de mes vacances.

Si Cédric était dans la voiture, il me balancerait des trucs du genre : " fais gaffe un escargot nous double, bon si tu trouves plus le manche demande à Manu". Il ne supporte pas que je passe du temps avec lui. Mais c'est quand même surprenant que par dépit il se soit rapproché d'Olivier. Combien de fois il a craché sur sa face, le traitant de fils à papa mal sapé, plein de fric et avec aucun goût. Ah, quand j'y repense, il peut en dire des conneries. Il est trop fort. Il raconte des bêtises et n'est pas le dernier pour en faire. Il a l'art de me mettre dans des situations inextricables sans que cela ne lui pose aucun problème et me laisse me dépatouiller pour recoller les morceaux. Pour la dernière en cours, on a franchi un level. Au lycée, il se complaisait à m'organiser des rencards en me faisant un portrait des potentiels bons coups. J'ai toujours trouvé son attitude déplacée. Géraldine était la dernière sur sa liste. Je suis vraiment un imbécile de première d'être tombé dans ses griffes. À moins qu'ils aient tout prémédité et comme un pauvre con, je sois tombé dans le panneau. Pas possible ! Ils étaient de mèches ? Olivier était-il au courant ? C'était sa façon de m'éloigner de son meilleur pote. Est-ce que je me fais des films ? Ce serait trop gros ou une coïncidence parmi tant d'autres. Franchement à l'heure actuelle, je m'en tape.

Papa s'est endormi. Toutes mes révélations l'ont épuisé. Il m'a écouté sans me bousculer, sans me juger ou m'envoyer sur les roses. Il est comme ses grands arbres : solide. Il me protège dès que je m'égare du droit chemin. J'ai senti que mes aveux l'ont déçu mais il s'est abstenu de tout commentaire. Il ne m'en tiendra pas rigueur. Je viens de lui promettre que je ne toucherai plus à la beuh et je m'y tiendrai. De toute façon, officiellement ça fait un mois que je ne fume plus.

Maintenant, mon père connaît tous les chapitres de l'affaire. Le poids sur mon estomac s'envole, ça fait un bien fou. Tous les secrets sont devenus un fardeau trop lourd à porter. Si j'assemble les dernières pièces du puzzle avec Jérémie, nous devrions avoir un dossier en béton. Personne ne pourra le glisser en dessous de la pile ou le jeter dans une corbeille. Avant de mettre un terme à toute cette histoire, je dois absolument en parler avec Manu. Sans son accord, je ne ferai rien. Je l'ai laissé planté à La Rochelle, juste avec un mot. Il est temps que je ne me voile plus la face. Il est bien plus qu'un simple ami, qu’un frère ou tout autre qualificatif que je pourrais essayer de lui trouver. Plus je me rapproche de ma destination, plus des bulles pétillent au creux de mon ventre. Cédric me dirait pour me charier que j'ai dû manger un truc trop épicé, voilà ce que c'est d'être le tombeur du quartier, l'incendiaire des ménagères, le voyou des bons coups. Pour une fois, j'aurai envie de lui répondre : ça a le goût de reviens-y, la douceur d'un chamallow.

Nous ne sommes plus qu'à une vingtaine de kilomètres de Mezange. Nostalgie me tient compagnie et me propose une compilation des meilleurs tubes des années 80. Cette station me berce depuis mon enfance. Ce matin, mon père s’est endormi sur le siège passager en l'écoutant. Nous avons inversé les rôles. J'aurai pu changer mais ça me plait. Je suis heureux que mon père m'accompagne jusqu'à chez Grandma. Je voulais jouer au grand : illusoire. J'ai dix huit ans et terriblement besoin de mon père. Sa présence me soulage. Je m'accroche à lui pour ne pas perdre pied. Il a un projet pour les vacances et je l'ai détourné de son voyage. Il avait envie de changer d'air, d’en profiter pleinement. Une nouvelle fois, il me fait passer avant lui. Même s'il ne me l'a pas avoué, ni ne m'en a parlé, je sais qu'il discute avec une femme depuis plus de six mois. J'ai conscience qu'il ne désire pas remplacer ma mère, elle est tatouée dans son cœur. Il s'est montré discret pour ne pas me chagriner.

Je me souviens de cette période idyllique où papa et maman après la pause à Gastes reprennaient en chœur des chansons pour accompagner la fin de notre voyage. Ma mère adorait chanter et danser. Je me rappelle les voir se déhancher sur la piste du bal à Mezange chaque été. Ils étaient fous amoureux et tellement heureux. De mon côté, je me trémoussais avec Camille. J'avais un style bien à moi, me disait-elle pour me taquiner. J'ai fait quelques progrès depuis avec l'aide de mon amie, enfin je suis loin d'être un Noureev même en herbe.

Papa faisait virevolter maman, ses cheveux tournoyaient. Une danseuse étoile aux yeux bleus dans une nuit d'été, telle la ballerine dans sa jolie robe rose pâle. Elle apparaissait par magie dès que l'on ouvrait le couvercle de la boîte à bijoux. La mélodie était douce. Encore aujourd'hui, elle est toujours posée sur la coiffeuse de leur chambre. Les soirs après la perte de ma mère, j'étais à chaque fois au plus mal quand mon père travaillait de nuit. Je jouais mon rôle à la perfection, je me posais devant la télé avec mon repas. Ainsi il ne se doutait de rien. Finalement, lui aussi était un bon comédien. À plusieurs reprises, il a suggéré de changer de poste pour ne plus assurer la troisième tranche. Je ne voulais pas que par ma faute il change quoique ce soit. Aussi, je prenais sur moi. Enfin pas tant que ça parce que dès qu'il avait mis la clé dans la serrure, je me précipitais me cacher sous leur couette. Anouchka s'installait sur le tapis. Je mettais mon réveil sur mon téléphone pour me glisser dans mon lit avant qu'il ne rentre. Puis, je caressais la tête de ma chienne et m'endormais hypnotisé par les notes qui s'échappaient de la boîte à bijoux. Cet écrin de bois avait été confectionné par grandpa pour les dix ans de sa fille Stella. Pour les miens, il m'avait construit un petit coffre dans lequel je rangeais mes cartes Pokémon. Je me revois ouvrir mes paquet avec impatience pour pouvoir les glisser dans ma boite à trésor. Sur le couvercle, il avait gravé un Pikachu. Le jour où il me l’a offert, j'ai couru dans ses bras pour y cacher mes larmes. Elles étaient différentes de celles qui depuis trois ans coulent sur mes joues. Eh oui Zach le Bad boy pleure. Ces perles de douceurs sont devenues des rivières de désespoir où je me noie. Quand à son tour, mon grand-père nous a quittés quelques mois après, j'ai rapporté la boîte et l'ai rangée avec tous mes doux souvenirs dans ma cabane des pins entre mes BD d'Astérix et mon Petit Prince. Il y a tant de choses à l'intérieur de cette maison en bois, tant de moi. Depuis toujours, elle est mon refuge.

"On est bientôt arrivé". Quand on est gosse on se lasse vite de ses longs trajets en voiture. Petit, maman me racontait des histoires. J'ai réalisé plus tard qu'elle les créait de toutes pièces. Je l'écoutais avec attention et adorait tous ses personnages qu'elle inventait. Ils prenaient vie dès que je fermais les yeux. Des princes chevauchaient dans des mondes magiques. Ils croisaient des génies, des sorciers, des fées, et des dragons. J'aurai envie à mon tour de lui raconter une histoire. Elle commencerait ainsi : " Nous sommes des princes. Notre quête débute au pied d'un immeuble sous une pluie battante. Le ciel se déchaîne sur nos frêles épaules. Nous avançons vers notre destin. Le monstre se terre à l'angle d'une rue, prêt à fondre sur sa proie. Elle succombe sous sa lame. Le prince arrive trop tard pour la sauver, elle s'éteint dans ses bras laissant échapper un "je t'aime mon fils" dans un dernier souffle. Il vient de perdre sa mère en une nuit noire et sombre. Depuis ce soir-là, désemparé, il erre au travers des ombres pour découvrir la vérité. Perdu, seul au monde, il croise la route d'un prince charmant. Dans ses yeux noisettes et son sourire, il perçoit une étincelle, un espoir. Pas à pas, ils apprennent à se connaître et à s'apprivoiser. Chacun trouve dans l'autre ce qui lui manque. Ils se construisent un avenir commun. Le prince fait appel en parallèle à son ami le mage pour l'aider dans sa mission. Le trio avance à pas de loup pour découvrir le fin mot de l'histoire. Rien ne les arrête, leur quête vient de débuter…"

— Zach, tu me disais ? me demande mon père.

Je suis surpris, je l'ai sorti de son sommeil.

— Rien, je m'amusais à raconter une histoire à voix haute. Pardon de t'avoir réveillé.

— Ne t'en fais pas. Nous sommes bientôt arrivés ?

Je ne peux retenir mon rire.

— Qu'est ce que j'ai dit de si drôle. Quoique ce soit, je suis heureux de te voir sourire.

— D'habitude, c'est moi qui te casse les pieds avec cette phrase. On est bientôt arrivé. Tu te souviens de l'âne de Shrek que j'avais eu en cadeau dans un fast-food.

À son tour d'éclater de rire.

— Oh que oui. Nous partions une semaine pour des vacances au bord de la Méditerranée. Nous avions fait une pause pour manger pour calmer ton impatience.

— Oui et une fois de plus maman avait joué son rôle à la perfection. Elle me manque tellement. Ça me fait toujours très mal.

— Elle t'aimait fort et je te promets qu'elle serait fière de toi si elle était encore parmi nous.

— Tu penses qu'un jour je pourrais ouvrir mon coeur.

— Laisse toi porter, et qui sait, sans t'y attendre quelqu'un sera venu se blottir juste là, me répond-il en posant sur index sur ma poitrine.

— Tu me la présenteras ?

— Qui ? me demande mon père surpris.

— Celle qui t'attend dans les Alpes.

— Comment tu le sais ?

— Ton sourire.

— Zach tu sais…

— Oui et avant tout je souhaite que tu sois heureux.

— Merci mon grand, je n'osais pas …

— Je comprends.

Nous restons silencieux jusqu'à ce que Joseph me dise :

— Zach, arrête-toi sur le parking. Regarde la boulangerie ambulante de Bruno. On va prendre le petit déjeuner pour Grandma. Je l'ai prévenu que nous arrivions.

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