Cellule de crise

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Je t’aime.

Je t’aime.

Je t’aime.

Les mots de Zach résonnent dans ma tête. Dites–moi que ça n’existe que dans les films où le héros, avant de partir au combat pour mourir, roule une pelle à sa meuf, avant de lâcher sur le bout des lèvres un “Je t’aime”. Parce que je ne réalise pas du tout ce que vient de me dire Zach. C’est impossible un truc pareil. On ne dit pas “Je t’aime” comme ça. Ça n'existe pas. Pas dans la vraie vie. Pas dans la mienne du moins. Un “Je t’aime”, ça n’arrive pas aussi rapidement, on ne grille pas les étapes aussi vite. Mon cerveau me joue forcément des tours, je ne vois pas d’autres explications.

Résultat, j’ai buggé. Je n’ai pas su quoi lui répondre. Impossible de décrocher le moindre mot. Paralysé le mec. Qu’aurais-je répondu de toute façon ? Un “Moi aussi, je t’aime” ? Je suis in love total mais…J’étais pas prêt.

Anouchka a du ressentir mon désarroi, elle vient poser son museau sur mes genoux. Elle me regarde tranquillement, avec cet air impassible.

— Comment peux-tu être aussi calme, Anouch ! Qu’est-ce que j’aurais pû lui dire à ton maître, il ne m’aurait jamais écouté, non ?

La chienne me répond par un jappement que je prend pour un accord qui satisfait à demi ma conscience, car, en attendant, les choses sont telles qu’elles sont : j’ai laissé filer mon héros. Je ne le reverrai plus, idem pour Etienne. Ils vont se faire dégommer en pleine forêt. Fin de l’histoire. Je le répète, ça n’existe pas un truc pareil. C’est trop pour un seul homme de dix huit ans, sans permis. Je sais, ça n’a aucun rapport, je dis n’importe quoi, mais je fais ce que je peux. Parce que en attendant,

J’ai peur.

J’ai peur.

J’ai peur.

La chienne sent ma détresse, elle vient de sauter sur le canapé pour me faire des léchouilles. Je tente de l’esquiver comme je peux.

— Anouch, ce n’est vraiment pas le moment de jouer, ma grande !

Mais elle n’en a rien à faire, elle continue son cirque, en se mettant à aboyer cette fois-ci. Je suis surpris de sa réaction et ne sait pas si finalement, c’est un jeu ou si elle aussi me fait comprendre à sa manière qu’elle stresse aussi. Je tente de la calmer en la caressant, mais elle ne se laisse pas faire facilement, tant est si bien que je finis par tomber par terre, comme un abruti. Mon téléphone qui était à mes côtés tombe lui aussi. L’écran s’éclaire et se met à sonner. Numéro inconnu, je décroche sans réfléchir.

— Allô ?

— Allô, monsieur, bonjour, je me présente, société Lamar et Fils. Votre rendez-vous pour la réfection de votre terrasse que nous avions prévu pour demain va devoir être décalé, vous m’en voyez désolé.

— Hein ? Mais je n’ai jamais…

Je raccroche aussitôt. Fuck, c’est vraiment pas le moment ! Mon portable sonne de nouveau, cette fois-ci, je refuse l’appel directement. Mes yeux restent rivés sur l’écran. J’espère seulement voir apparaître le numéro de Zach ou d’Etienne m’apporter des nouvelles. Oui, je sais j’y crois encore. Sinon au moins celles de Jérémie, ce qui est plus probable. Je ne sais pas comment il a réussi à mettre en place tout ce plan de sauvetage aussi rapidement. Je veux bien croire qu’il évolue dans un monde bien à lui, mais quand même, Il est incroyable de mec !

Je ne dois pas quitter cette cabane, sous aucun prétexte.

Je ne dois pas quitter cette cabane, sous aucun prétexte.

Je ne dois pas quitter cette cabane, sous aucun prétexte.

Je suis adossé au canapé, la chienne blottie contre moi. La chaleur de son corps me fait du bien. Je ne sais même plus depuis combien de temps je suis ici. Cinq minutes, plus ? Zach a bien dit que si dans un quart d’heure, il n’est pas revenu, je dois retourner auprès de son père et…Oh, et puis merde après tout, moi aussi, j’ai le droit de faire n’importe quoi !

Je me relève et me dirige vers la porte. Anouchka se met aussitôt à aboyer.

— Désolé, ma belle, mais toi, tu restes ici, sinon, ton maître va me faire une crise s’il t’arrive quoi que ce soit. Fais moi confiance, je pars le sauver, ok ?

Elle me regarde, semble hésiter et finalement se met sagement en boule, pose son museau sur le parquet, en soupirant longuement. Cette chienne est adorable ! J’espère seulement ne pas trahir sa confiance. J'ouvre la porte, l’observe une dernière fois. Elle me lance un regard en biais, genre “vas-y, qu’est-ce que tu attends, j’ai ma sieste à faire, moi !”.

Je sors de ma tanière, en laissant la porte entrouverte. Je préfère qu’Anouchka puisse sortir quand elle veut. La trouille au ventre, j’emprunte le chemin par lequel Zach est parti. J’inspecte le sol et déniche une branche suffisamment solide qui pourrait me servir d’arme pour me défendre. Voilà de quoi affronter l’ennemi. Je réalise que c’est comme au cinéma. C’est bientôt la scène finale du film. Le spectateur retient son souffle mais pense en lui-même : il est con ou quoi, on lui avait pourtant dit de ne pas bouger, et ce n’est pas avec une pauvre branche à la noix qu’il va y arriver. Sauf que le spectateur, tout comme le héros du film, il a envie d’y croire. Parce que ce dernier n’a plus rien à perdre (sauf la vie peut-être). Avoir peur devant le danger est un réflexe normal, n’est-ce pas ? Elle est là pour que nous puissions nous dépasser. Je ne sais pas si cela s’applique à mon cas, mais si ça continue, en plus de me pisser dessus, je vais…

Un cri dans la forêt. Humain, le cri.

J’ai peur.

J’ai peur.

J’ai peur.

Mon portable vibre, message de Jérémie : je t’avais dit de rester où tu étais. T’es pire que ton petit copain.

J’aurais jamais dû quitter la cabane.

J’aurais jamais dû quitter la cabane.

J’aurais jamais dû quitter la cabane.

Tant pis, hors de question de revenir en arrière. Je continue de marcher prudemment. Je resserre le bâton dans les mains, les yeux aux aguets. Quand soudain, un homme surgit de nulle part et me plaque au sol. Putain, ça fait un mal de chien. Je veux crier mais sa main m’en empêche. J’arrive à me dégager.

— Manu, c’est moi, Étienne. Ferme là, on va se faire repérer, sinon, dit-il à voix basse, allongé à mes côtés.

Je le regarde, les yeux hagards.

— J’ai réussi à semer le vilain gros toutou au balafré en lui mettant un bon coup de pied dans les couilles. Vu comment il a crié, il a douillé, je te jure.

— Putain, je suis trop content de te voir, dis-je à voix basse. On était censé rester sagement dans la cabane, en attendant que les flics rappliquent, mais Zach est parti jouer les héros.

— Oui, je sais, c’est grâce à lui si j’ai pu m’échapper.

— Hein ? Il s’est passé quoi, dis-moi !!

— Chuut, j’ai cru entendre quelque chose.

Effectivement, ça s’agite dans les parages, mais vu notre position, impossible d’en voir plus. On est là comme deux couillons qui n’en mènent pas large. Tout est silencieux de nouveau, les yeux à l'affût malgré tout, nous nous tenons prêts. Mais prêt à quoi au juste ? Heureusement qu’Étienne est là, sa présence me rassure. Nos mains se frôlent et finissent par s’entremêler. Une peur indicible me gagne. Un bruissement de feuilles derrière nous nous fait sursauter. C’est un gendarme, un flingue à la main.

— C’est bon les gars, la partie de cache-cache est terminée, dit-il avec une pointe d’ironie.

On se relève, comme deux gamins que l’on a délogés de leur planque.

— On a chopé un mec à quatre pattes dans la forêt. Il avait l’air d’avoir un sérieux problème à l'entrejambes. Vous n’y êtes pas allé de main morte.

Étienne ne peut s’empêcher de sourire.

— Et Zach ?
— Votre copain qui a eu l’inconscience de jouer au super-héros ? Il a beaucoup de chance de s’en être sorti à si bon compte. Avec des coups supplémentaires malheureusement. Tout est sous contrôle à présent. Vous allez devoir me suivre pour l’enquête. Il va falloir que vous nous racontiez exactement ce qui s’est passé.

Sans plus attendre, le gendarme nous emmène rejoindre ses collègues dans la maison devenue cette fois-ci une véritable cellule de crise. Pierrette nous accueille en nous prenant dans ses bras, soulagée de nous voir sains et saufs. Nous n’avons pas le temps de lui parler car nous sommes amenés directement dans la chambre d’Étienne, à l’étage. Nous sommes accueillis par une gendarme, calepin à la main, déjà prête à entendre ce que nous avons à dire. L’heure est à notre déposition.

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