Chapitre 26. Le dîner d'Etat

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Lorsque la lourde porte de l’avion présidentiel se referme sur le tarmac de l’aéroport militaire de Buenos Aires, Luiz et moi poussons un profond soupir de soulagement, et perdons immédiatement notre sourire figé. Les joues horriblement douloureuses après avoir maintenu ce dernier à la seule force de notre mental d’acier pendant les trois longs jours éprouvants de notre visite officielle en Argentine. Un sourire de circonstances, il faut bien le dire. Car même le plus optimiste des conseillers diplomatiques l’a avoué à demi-mot, lors d’un aparté après la première rencontre entre Luiz et le président Hernández : cette première étape de notre tournée internationale, un incontournable des relations extérieures brésiliennes depuis plus d’un demi-siècle, a été un véritable fiasco.

La faute ne nous en incombe pas. Nous étions arrivés avec de bonnes intentions, et avec la consigne de ne pas aborder les sujets qui fâchent. Mais le président argentin, issu de la droite conservatrice et néo-libérale la plus pure, n’a pas hésité une seconde avant de brûler les ponts qui rapprochent les deux peuples, patiemment construits depuis le retour de la démocratie en Amérique latine. Et ce pour des raisons particulièrement honteuses. Lors de l’allocution jointe, dans la salle de presse du palais de la Moneda*, Hernández n’a pas hésité à attaquer frontalement Luiz sur sa politique commerciale, « une catastrophe pour l’avenir du libre-échange sur notre continent », son angélisme vert, « un non-sens économique, une atteinte quasi-terroriste contre la croissance et la prospérité des nations émergentes », et ses positions libérales sur les questions sociales, « une menace sur la famille et la foi, les deux piliers sur lesquels reposent de nos sociétés sud-américaines ».

Et, croyez-le ou non, mais en privé, ce fut bien pire encore. Nous avons été reçus comme des malpropres. On nous a même attribué la plus mauvaise chambre du palais présidentiel, celle que l’on réserve aux dirigeants de pays infréquentables, pour s’assurer de faire passer un message clair et sans appel. Lors du dîner officiel, j’ai même été privé de la table d’honneur, relégué au quatrième rang, avec les dignitaires de second rang, officiellement parce que Luiz et moi n’étions pas mariés, mais je n’ai que très peu de doute sur la véritable raison de ce camouflet diplomatique : un couple de même sexe attablé avec le caudillo, fervent défenseur du catholicisme le plus rétrograde, ça n’était pas envisageable pour le protocole argentin. Quant à la première dame argentine, officiellement « indisposée » pendant toute la durée du séjour, elle nous a tout simplement snobé, Luiz et moi. Soit. Je m’en remettrai. Espérons que l’amitié argentino-brésilienne aussi... Et que la suite du programme se déroule dans des conditions plus apaisées, sans incident diplomatique majeur. Ça devrait être le cas : la prochaine étape, c’est la France.

Perdu au milieu de l’Atlantique, l’avion trace sa route, imperturbable. Nous avons déjà parcouru la moitié de la distance qui sépare Buenos Aires et Paris. Je me réveille en douceur d’une courte sieste effectuée dans la suite présidentielle, une cabine isolée du reste de l’appareil où le président et/ou son conjoint peuvent se reposer dans un lit dont le confort n’a rien à envier à celui d’un hôtel quatre étoiles. Cette fois-ci, j’étais seul. Mais j’espère bien que Luiz finira par m’y rejoindre, un jour ou l’autre, pour goûter au plaisir d’un câlin en altitude.

Après m’être rapidement rafraîchi le visage, je me dirige vers la salle de réunion, où Luiz prépare sa rencontre avec le président français. Une petite dizaine de conseillers s’affairent autour de lui, Emerson en tête. D’ailleurs, quand il me voit pénétrer dans la pièce, ce dernier m’interpelle d’un ton jovial :

- Loïc, tu tombes bien ! Joins-toi à nous, on va passer en revue le programme de la visite.

J’acquiesce en souriant, un peu gêné d’attirer l’attention de l’aéropage tout entier, et m’installe sur un fauteuil en cuir moelleux, à côté de Luiz, qui dépose un baiser sur ma joue, rapide mais tendre :

- Tu as pu te reposer un peu ? me demande-t-il à voix basse.

- Oui, ça va mieux...

Un temps légèrement décontenancé par l’intimité qui renaît entre Luiz et moi, qui l’éloigne un court instant de son président chéri, Emerson reprend rapidement possession de ses moyens, et recadre la discussion avec autorité :

- Bon, messieurs, reprenons, si vous le voulez bien... L’objectif principal de notre visite en France est de faire oublier l’échec argentin que nous venons de subir. Il nous faut des images fortes, des engagements marquants. A notre retour de Paris, une seule image doit être gravée dans les esprits du monde entier : le partenaire raisonnable avec lequel il faut discuter en Amérique du sud, c’est le Brésil. Nous sommes l’interlocuteur de choix du continent, celui qui porte la voix des intérêts sud-américains, et à qui l’Europe, l’Inde et la Chine doivent s’adresser en priorité. Pas Duque, pas Schneider-Gonzalez, et sûrement pas ce crétin d’Hernández... Ça devrait le faire enrager, lui qui est si avide de reconnaissance internationale ! Et, après la visite de ces derniers jours, quand Hernández enrage, c’est le Brésil qui marque des points !

Une salve de petits rires convenus traverse l’assistance. Luiz n’y fait pas exception, échaudé par l’humiliation subie à Buenos Aires. Visiblement satisfait de son coup, Emerson poursuit son show :

- Nous avons reçu le programme officiel de nos homologues français. Luiz et Loïc, vous serez d’abord accueillis à l’aéroport du Bourget par Céline de Pontchâteau, la ministre des affaires étrangères, où vous recevrez les honneurs militaires. Puis, pour toi Luiz, ce sera direction le Quai d’Orsay, pour un déjeuner de travail avec la diplomatie française, jusqu’à quatorze heures trente. Après, tu prononceras le fameux discours inaugural à l’Unesco que nous avons tant préparé, sur l’importance de préserver le patrimoine naturel de l’humanité. Tu termineras pas un entretien avec le président Lepage, à l’Elysée. Les français ont insisté pour que vous plantiez un arbre dans le parc du palais, toi et lui. Ils avaient l’air persuadés que ça allait te plaire, vu ton statut de premier opposant mondial à la déforestation. Ils t’appellent le « géant vert », là-bas, c’est dire... Bon, ils n’ont pas compris qu’on voulait surtout parler de l’Amazonie, mais soit... Un arbre de plus, ici ou ailleurs, ça ne peut pas faire de mal...

J’ai un petit rire étouffé. Luiz, Emerson et les autres ne sont surement pas pleinement conscients du potentiel comique du surnom attitré de Luiz, de l’autre côté de l’Atlantique. Les conserves de maïs « Géant Vert » ne sont pas commercialisées au Brésil... Mais bon, je n’ai pas le cœur de les interrompre, encore moins de mettre en doute l’image que se font les brésiliens de leur propre soft power.

- Loïc, poursuit Emerson, pendant ce temps-là, tu auras ton propre programme. Tu déjeuneras avec tes parents dans un restaurant du septième arrondissement. Puis, tu te rendras au musée Quai Branly, pour une visite guidée, à l’issue de laquelle tu pourras faire une rapide déclaration, en français, sur l’importance de la circulation des œuvres et du retour de certaines dans leur pays d’origine. Tu évites les termes « restitution », « pillage » et « passé colonial », tu brosses les français dans le sens du poil, tu cites Lévi-Strauss, tu fais ce que tu veux, mais tu insistes bien là-dessus. L’objectif, ce n’est pas déclencher une énième guerre des musées, mais de semer l’idée dans la tête des fonctionnaires du ministère de la culture, pour pouvoir en récolter les fruits d’ici quelques années, quelques mois peut-être, si nous sommes chanceux. Après ça, tu nous rejoins à l’Elysée, pour le dîner d’Etat.

Emerson marque une pause, réfléchit un instant. Puis il termine son exposé, le ton grave :

- C’est un honneur que la France réserve à ses alliés les plus proches. Ils ont l’air d’être prêts à mettre les petits plats dans les grands et à dérouler le tapis rouge pour nous recevoir, je pense qu’on peut donc s’attendre à être bien accueillis, cette fois. Lepage est un progressiste, mais il souffre d’une image terriblement dégradée dans son pays. Il compte sur notre visite pour se donner une image moderne, et plus verte aussi. Il ne nous reste plus qu’à leur donner ce qu’ils veulent. Du glamour, du jeune, du frais, de l’inédit, peut-être même un peu de scandale, le baiser gay d’un couple mixte franco-brésilien sur le parvis de l’Elysée, par exemple.... Bref, on va mettre le paquet. Je compte sur vous pour jouer le jeu, Luiz et Loïc !

Les regards des conseillers se tournent vers nous. Je jette un coup d’œil un peu inquiet à Luiz, qui m’adresse un sourire complice, son beau regard ambré, plein de chaleur et pétillant de malice. Je suis immédiatement rassuré.

- S’il suffit de s’embrasser pour que la visite officielle soit un succès, s’exclame Luiz, alors c’est dans nos cordes !

Hilarité générale dans la salle de réunion. Quelques conseillers, sans doute les plus fayots, se fendent même de quelques applaudissement. Emerson, le teint légèrement rosi par l’embarras d’avoir provoqué une telle indiscipline, s’efforce de demander le calme :

- S’il vous plaît, s’il vous plaît ! Un peu de silence... Merci... Bon, s’il n’y a pas de questions, l’idéal serait que vous nous laissiez seuls, Luiz et moi. On doit discuter de choses un peu plus sensibles... Avec ta permission, Luiz, bien sûr ?

Luiz appuie son conseiller principal, et, d’un simple signe de la tête, sonne la fin de la réunion. Et me fait comprendre que ça me concerne également.

*

Une fois Luiz déposé au Quai d’Orsay pour la première étape de sa journée marathon, la voiture mise à disposition par l’ambassade me dépose devant le parvis d’un hôtel particulier du septième arrondissement, où je retrouve mes parents dans leurs habits du dimanche. Le consul brésilien qui m’a accompagné jusqu’ici tient à leur serrer la main. Les deux ex-enseignants, peu habitués à être en telle compagnie, ont l’air complètement perdus face au protocole, si bien qu’ils n’osent même pas me faire la bise devant les gardes du corps. Je dois insister.

- Je sais bien que ça fait bizarre, leur expliqué-je patiemment, moi aussi j’étais perturbé, au tout début... Mais n’y prêtez pas attention, et vous verres, on oublie très vite qu’ils sont là. C’est leur métier d’être toujours présents sans être remarqués.

- Si tu le dis... lâche mon père, sans conviction, faisant la moue.

Nous déjeunons ensemble dans un restaurant bobo-chic avec option végétarienne, détail indispensable depuis que l’administration brésilienne toute entière s’est mise au vert sous l’égide de Luiz. Par la fenêtre, de l’autre côté de la rue, je remarque un petit groupe de paparazzi. J’ai appris à les reconnaître de loin. On a dû les prévenir que le « first boyfriend » du Brésil était arrivé pour déjeuner. Je les surveille du coin de l’œil, s’assurant qu’ils gardent bien leurs distances, sans prendre la peine d’alerter mes parents. Ma mère est en train de m’expliquer qu’ils ont engagé un voisin pour passer un coup de karcher sur la véranda de la maison de Pornic, pour enlever la mousse qui, chaque hiver, s’installe sur le toit vitré. Ce serait dommage de l’interrompre, je veux savoir comment l’histoire se termine...

Après le déjeuner, on se rend tous les trois au Quai Branly, pour une visite guidée par le directeur du musée en personne. Mon père, ancien professeur d’histoire, le corrige à plusieurs reprises alors qu’il nous explique la provenance de certaines œuvres dites « d’art primitif ». Je vois bien que ça agace le haut-fonctionnaire, qui s’efforce malgré tout de conserver son calme, et donne raison à mon père, qui jubile devant les caméras. A l’issu de la visite, alors que nous échangeons une poignée de main avec notre guide pas comme les autres, un forêt de micros de radio et de télévision se dresse soudain devant moi, en quête d’un rapide commentaire qui pourra être repris au journal télévisé du soir. Je me lance :

- Je tiens à remercier monsieur Nazfari pour son accueil chaleureux. Nous avons vu des pièces magnifiques, dont un certain nombre d’œuvres produites par les peuples indigènes du Brésil. Je crois même, si je peux me permettre, monsieur Nazfari, qu’il serait formidable d’envisager le prêt temporaire de certaines d’entre-elles au musée de l’Amazonie de Manaus, afin que les citoyens brésiliens, et encore plus ceux issus des communautés indigènes, puissent découvrir les œuvres produites par leurs ancêtres, eux-aussi, sans avoir à faire le voyage à Paris.

Une journaliste de France 2, le visage sévère et la coupe courte, pose alors la question qui fâche :

- Est-ce vous prônez la restitution des œuvres pillées par la France lors de l’époque coloniale ?

- Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Il existe plein de solutions qui puissent être acceptables pour tout le monde. Une exposition temporaire, un échange d’œuvres, une rotation régulière entre la France et le Brésil, par exemple. Un point que nous ne manquerons pas d’évoquer ce soir, le président et moi, avec le président Lepage. Je vous remercie...

Mission accomplie, et avec brio, si vous me permettez de me jeter des fleurs à moi-même. Avec ça, Emerson a intérêt à être content !

*

Les ors de la République. Quand on nait français et qu’on s’intéresse un peu à la politique nationale, cette expression revient sans cesse. Dans la bouche des journalistes, des élus, des critiques du régime. C’est avant tout une métaphore, une idée selon laquelle les élus de la République se gavent sur le dos du contribuable. Une formule choc contre la gabegie des dépenses somptuaires. Mais, de me retrouver ainsi attablé avec le président français, dans la salle des banquets de l’Elysée, dont les boiseries dorées à la feuille d’or recouvrent murs et plafond, donne à l’expression « les ors de la République » un sens nouveau. Bien plus concret. Tangible. Je peux le toucher, l’or de la République, sur le liseré doré qui borde le précieux service à vaisselle. Impressionnant, il faut bien l’admettre... Mais très classique, et un peu « ancien régime », aussi. A côté, le palais de l’Aurore, à Brasilia, est un vaisseau spatial tout droit sorti d’une œuvre de science-fiction.

Mes parents sont assis à l’une des tables située en périphérie de la table d’honneur. Visiblement abasourdis de se retrouver ici, chose qu’ils n’avaient sans doute jamais imaginé au cours de leur existence somme toute plutôt modeste. Loin, en tout cas, du faste du pouvoir. Pour ma part, je suis placé à la table d’honneur, en plein centre de la pièce, en face de Luiz, lui-même installé aux côtés du président Lepage. Le français n’ayant pas de première dame, ou du moins, pas de première dame attitrée, il a dépêché sa ministre de la justice pour me tenir compagnie. Mais, peu passionné par les mondanités que cette dernière s’évertue à aligner les unes après les autres, je suis finalement plus enclin à discuter avec le charmant jeune homme placé à ma gauche, pas encore la trentaine, ou alors fraîchement entamée, un beau visage à la peau claire sans être tout à fait blanche, de grands yeux marrons dissimulés derrière de petites lunettes rondes, et d’épaisses boucles châtain qui retombent lourdement sur son front lisse. Il me dit travailler pour le ministère de l’agriculture, et diriger l’unité en charge des affaires internationales au sein de la direction de la pêche. J’ignore pourquoi, mais son visage me dit quelque chose... En tout cas, j’ai du mal à comprendre la raison de sa présence à la table d’honneur, mais soit. Il doit faire partie de l’aéropage présidentiel, d’une manière ou d’une autre.

Soudain, le président français se lève, et fait tapote le dos de sa cuillère en argent sur le rebord de son verre en cristal. Un tintement retentit dans la pièce, et le silence se fait. Lepage prend alors la parole, en français, bien sûr, et le ton grandiloquent :

- Mon très cher Luiz, je te suis reconnaissant d’avoir choisi la France pour l’un de tes premiers déplacements hors des frontières du Brésil. Le Brésil, et on l’oublie souvent, c’est le pays avec lequel la France partage la frontière terrestre la plus longue. Sept-cents-trente kilomètres, le long du fleuve Oyapock, en plein milieu de la forêt amazonienne. Le poumon de notre planète. L’un des biens le plus précieux de l’humanité. Et dont nous, français, brésiliens, mais aussi colombiens, vénézuéliens, et j’en passe, sommes les garants. C’est une chance inouïe que de pouvoir administrer, protéger cet espace naturel unique au nom de l’humanité toute entière. C’est aussi une responsabilité, qui nous oblige. Et, dans cette lutte pour la préservation de notre patrimoine naturel, je me réjouis d’avoir un allié de taille à Brasilia, en la personne du président da Silva, le bien nommé*. Ensemble, nous avons l’opportunité de prendre un nouvel engagement pour en assurer la survie. Notre survie... Je ne vous retiendrai pas plus longtemps, et, après ce toast à l’amitié entre nos peuples et à notre futur travail en commun, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter, à toutes et à tous, un excellent appétit.

Le dîner me semble durer une éternité. Heureusement, la présence salvatrice de mon séduisant voisin de table – dont je finis par retenir le prénom, Timothée – m’évite de sombrer dans un ennui trop profond. Car le jeune homme est bien le seul à m’accorder un peu d’attention. En face de moi, Luiz m’ignore complètement, trop absorbé par la conversation à bâtons rompus qu’il mène avec le président français sur la sanctuarisation des forêts primaires. La brave garde des sceaux, quant à elle, a totalement abandonné sa mission, qui ne consistait pourtant qu’à me faire la conversation, et décortique ses crevettes en silence, le nez plongé dans son assiette. Il n’y a donc guère que le pauvre Timothée pour tenter de me distraire, avec comme principal angle d’attaque, la supposée passion pour tout ce qui a trait à la mer que l’on prête volontiers à tous les bretons dans mon genre.

- Les fruits de mer vous plaisent, monsieur Pennec ? me demande-t-il d’une voix très polie, un peu trop, même. C’était un pari risqué qu’ont pris les cuisiniers de l’Elysée : proposer un plateau de crustacés à un breton ! Mais, soyez rassuré, le chef m’a assuré qu’ils étaient tout juste arrivés de la criée de Concarneau, pas plus tard que ce matin...

- C’est délicieux, oui. Et appelez-moi Loïc, j’insiste !

- Très bien... Loïc, donc. Ça ne vous manque pas trop, les fruits de mer, au Brésil ?

- Il y en a aussi. Mais je dois avouer que je ne suis pas un grand fan, je m’en passe très bien.

- C’est vrai qu’il y a quelques zones poissonneuses aux larges des côtes du Brésil, admet-il avec un léger sourire. D’ailleurs, j’ignore si vous le savez, mais il y a même un zone de pêche franco-brésilienne, à la frontière avec la Guyane.

- Non, je l’ignorais...

- On y pêche surtout la crevette. Enfin, pour l’instant, parce que la ressource diminue à vitesse grand V.

- Oh... Et pourquoi ?

- Principalement à cause de la surpêche... D’un côté comme de l’autre de la frontière, d’ailleurs. Les communautés de pêcheurs ne sont pas très disciplinées, et la richesse halieutique de cette zone de l’Atlantique est en train de disparaître, petit à petit.

- C’est terrible...

- Terrible, oui...

Nous en restons là, ayant rapidement fait le tour de l’épineuse question des crevettes guyanaises, comme c’était malheureusement prévisible. J’espère que le beau Timothée a d’autres sujets de conversation en réserve, car j’avoue ne pas savoir comment enchaîner, après une telle entrée en matière.

*

Une fois le repas terminé, nous sommes invités à quitter la salle des banquets pour rejoindre un salon donnant sur les jardins de l’Elysée, où la soirée se poursuit de manière plus informelle. J’y retrouve mes parents, toujours aussi mal à l’aise dans cet univers si différent du leur.

- Bon, chuchote ma mère, de peur d’être entendue, j’ai toujours mis un point d’honneur à contredire ton oncle Gérard, à dire que les politiques étaient des gens comme nous, mais là, quand même, tout ce faste, tout ce tralala... Je suis en train de revoir ma copie...

- Tu as goûté les crevettes ? renchérit mon père. Elles étaient meilleures que celles que tu trouves sur le port de Pornic ! Ce n’est pas normal, quand même... Qu’ils vivent dans un palais XVIIIe en plein cœur de Paris, et à nos frais, je veux bien, mais qu’ils nous laissent les bonnes crevettes...

- Vous verrez quand vous viendrez nous rendre visite à Brasilia, leur réponds-je d’un ton amusé. Ce n’est pas Versailles, mais c’est pas mal non plus !

- Bon, je ne crache pas dans la soupe, admet ma mère avec un sourire, je serais bien contente de voir tout ça de mes propres yeux... Par contre, d’ici à ce qu’on vous rende visite au Brésil... On n’a toujours pas eu le temps de saluer Luiz, nous !

J’ai un moue un peu agacée. Luiz est toujours en pleine discussion avec Lepage, désormais entouré d’Emerson et de son homologue français, un obscur conseiller diplomatique au visage plus austère qu’une porte de prison nord-coréenne.

- Il est très occupé, comme tu peux le voir, maman...

Soudain, Timothée surgit de nulle part, salue mes parents avec déférence, et me demande si j’accepterai de l’accompagner dans un endroit tranquille pour continuer notre discussion sur les quotas de pêche à la crevette entamée lors du repas. Je n’ai pas un folle envie de rouvrir le sujet, que je croyais clos, mais j’avoue ne pas résister à l’occasion de prouver à mes parents que je suis plus qu’un simple faire-valoir, et que, moi aussi, je traite d’affaires importantes pour le compte du Brésil. J’accepte donc le suivre. Alors, Timothée se saisit de mon bras, et, me m’emportant dans son sillage, fonce tout droit vers les baies vitrées qui donnent sur le parc. Il me propose de prendre l’air, prétextant être un peu agoraphobe, et avoir besoin de tranquillité pour mettre de l’ordre dans ses pensées. Je sous-estime visiblement la complexité du problème posé par la surpêche sûr les côtes de Guyane...

Une fois à l’extérieur, nous parcourons un instant les jardins à la française qui jouxtent le palais, avant de nous éloigner lentement de l’Elysée qui brille de mille feux dans la nuit parisienne. Nous empruntons un petit sentier bordé de lampadaires, qui diffusent une faible lumière orangée, suffisant tout juste à éclairer le beau visage pensif du jeune Timothée. Nous marchons en silence, d’abord, intimidés par le crissement assourdissant des graviers sous nos pieds. Puis, jugeant sans doute ses pensées suffisamment ordonnées, Timothée retrouve l’usage de la parole :

- Merci Loïc, d’avoir accepté de m’accompagner. Je ne suis pas fait pour ce genre de réception, j’étouffe vite.

- Pas de quoi, réponds-je d’une voix douce, et je vous comprends parfaitement. En fait, j’étais soulagé par votre proposition. Prendre un peu d’air, ça ne peut faire que du bien, après une telle orgie de nourriture cinq étoiles et de mondanités...

- Vous devez y être habitué, pourtant ? dit-il avec malice.

- Pas encore. Ça finira par venir, j’imagine... Mais c’est seulement notre deuxième visite officielle, après l’Argentine. Et je crains que la France ne soit pas particulièrement réputée pour avoir la main légère sur le protocole...

- C’est sans doute vrai, admet le jeune homme. Vous vous en sortez très bien, en tout cas, pour quelqu’un qui n’aime pas ça ! Et votre compagnon aussi. D’ailleurs, je me permets de vous féliciter sur ce plan-là, aussi : je n’ai jamais vu un tel couple au pouvoir. Si jeunes, si beaux, si charismatiques... Je ne sais pas si vous en êtes conscient, mais vous avez un pouvoir de séduction incroyable, tous les deux ! Lui, bien sûr, mais vous aussi...

- Hmm... Je.. Je sais pas quoi vous répondre, balbutié-je. Merci... Vous vouliez parler de la pêche à la crevette, non ?

- Tout à fait ! reprend-il d’une voix soudain plus claire et assurée. Je comprends bien que ce n’est pas, a priori, un sujet passionnant, ne vous détrompez pas, Loïc... Mais je pense qu’il y a quelque chose d’intéressant que la France et le Brésil pourraient faire ensemble, à ce sujet.

- Je vous écoute, Timothée.

- Eh bien, vous avez pu le constater vous-même, le président Lepage est prêt à faire des efforts considérables en matière de protection des espaces naturels. C’est l’un de ses dadas. Et mon ministère l’a convaincu de s’intéresser au cas de la Guyane. Notre idée serait de créer un réserve naturelle mixte le long des côtes guyanaise, afin de protéger la faune et la flore locale – la mangrove, et les bancs de crevettes...

- Et donc d’interdire la pêche à la crevette dans la zone ? le coupé-je.

- Pas forcément, rétorque Timothée, avec l’air faussement modeste du conseiller qui a une meilleure solution à proposer. Plutôt l’encadrer strictement, avec un contrôle de la réserve, et une régulation des quotas de pêche en fonction du taux de renouvellement.

- Je vois.

On marque une légère pause. Le temps pour moi d’essayer de comprendre où est-ce qu’il veut en venir. Mais très vite, Timothée reprendre la parole, et dissipe mes doutes :

- Jusque-là, vous en conviendrez, la France peut agir seule, sans l’aide de ses voisins. Mais pour être honnête, l’effet serait limité. Les guyanais ne sont pas les seuls à pêcher dans ces eaux, les brésiliens le font aussi. Et, croyez-le ou non, les crevettes n’en ont pas grand-chose à faire, des frontières, de zones de pêche, et des réserves naturelles. Donc, si on n’a pas la même protection en France et au Brésil, on estime que la population de crevettes sera totalement décimée d’ici cinq ans, dix tout au plus.

Je l’interromps immédiatement :

- Mais si vous voulez renégocier le traité de pêche avec le Brésil, il faut commencer par vous adresser à l’Union européenne. C’est à Bruxelles, pas à Paris, que se décident ce genre de choses, je ne vous l’apprends pas.

Malgré la semi-obscurité, je peux alors deviner un léger sourire qui se dessine sur ses lèvres pâles. Et, je ne sais pas pourquoi, à cet instant, je suis convaincu de l’avoir déjà vu quelque part. Où, quand, et à quelle occasion, je n’en ai aucune idée. Mais j’ai déjà vu ce sourire. Un si joli sourire, ça ne s’oublie pas...

- C’est vrai que vous avez travaillé pour l’UE, reprend Timothée. Vous connaissez le sujet aussi bien que moi... Vous n’êtes donc pas sans savoir que la Commission européenne n’a aucune envie d’ouvrir la boîte de Pandore des traités de pêche, depuis le fiasco du Brexit. Il faut donc contourner Bruxelles. Notre idée, c’est de jouer la carte de la protection de la nature, et de proposer la création d’une réserve de biosphère transfrontalière entre la France et le Brésil, et de la faire reconnaître par l’Unesco. De cette manière, on régule les activités halieutiques en mer de Guyane, tout en évitant de remettre le nez de le traité de pêche.

Nous arrivons devant l’arbre que, plus tôt dans l’après-midi, Luiz et le président Lepage ont planté sous le regard bienveillant de quelques ambassadeurs et du service presse de l’Elysée. Un frêle hêtre, qui mettra un bon siècle avant d’atteindre la taille de ses congénères du parc. La petite plaque en cuivre qui rappelle les faits – « planté le 13 mars par le président de la république et le président brésilien Luiz da Silva » – aura certainement disparu, d’ici-là. L’histoire n’a pas le temps de s’encombrer de détails du genre... Pensif, je me tourne alors vers Timothée, à qui j’adresse un léger sourire d’encouragement.

- Merci de m’avoir fait part de ce projet, Timothée. J’en toucherai deux mots au président da Silva, je vous en donne ma parole. Très malin, en tout cas...

- Merci, jubile le jeune homme, qui, incorrigible premier de la classe, ne peut s’empêcher d’ajouter : c’est une idée à moi !

- Ça ne m’étonne pas, réponds-je d’un ton flatteur.

- Pourquoi ?

- Si, à votre âge, vous dirigez déjà une unité clé d’un ministère aussi important que celui de l’agriculture, c’est forcément qu’il y a une foultitude d’idées brillantes dans cette tête bien faite...

- Oh... Vous savez, des idées, j’en ai aussi de très mauvaises...

- Comme ?

Sans prévenir, Timothée fait un pas vers moi et, avec un peu de maladresse qu’on ne peut pas lui reprocher vu la semi-obscurité, vient presser ses jolies lèvres contre les miennes. En un doux et surprenant baiser qui me fait tourner la tête. Je ne m’y attendais pas du tout. Mais la surprise est délicieuse. Quand je m’écarte, après quelques secondes passées à goûter aux lèvres du jeune homme, je plonge mes yeux dans son regard marron, presque noir dans la lumière orangée qui éclaire péniblement son beau visage. Après avoir jeté un coup d’œil furtif aux alentours, et vérifié que nous sommes bien seuls dans le parc de l’Elysée, je retourne embrasser sa bouche, qui semble brûler de désir pour moi. Il y avait bien longtemps qu’on ne m’avait embrassé avec autant de fougue. Luiz, souvent occupé, toujours préoccupé, ne m’accorde plus que de rapides baisers, tendres, mais jamais passionnés. Je suis donc bouleversé par la chaleur du notre étreinte, à laquelle Timothée prend le soin de joindre ses mains, qui passent de mes joues à ma nuque pour donner un peu de rythme à notre baiser.

Puis, soudain, le jeune français délaisse mes lèvres, et se dérobe à ma vue. Il s’accroupit devant moi, sur le gravier, et semble décider à me sucer en plein milieu du chemin. Je ne me peux m’y résigner, et lui fait signe de s’écarter de la route principale, pour trouver un peu d’intimité dans un bosquet à quelques mètres de là. Dans la pénombre, j’entends le cliquetis dans la ceinture que Timothée défait avec précipitation, puis le « zip » de la fermeture éclair du pantalon qu’il abaisse. Enfin, je sens sa main tiède se glisser sous l’élastique de mon caleçon pour y saisir ma queue, durcie par l’excitation de cette rencontre inattendue. D’un geste précis, Timothée me branle lentement, pour parfaire mon érection. Puis il vient poser ses jolies lèvres sur le rebord de mon gland enflé, et avant d’engloutir ma queue tout entière dans la chaleur de sa bouche. La sensation est grisante. A cause de l’obscurité, je distingue à peine son visage, en contrebas, les lèvres ourlées autour de mon membre, mais j’ai au moins le bonheur de passer mes doigts dans les épaisses boucles brunes du jeune homme, pour le guider dans sa besogne. Et, visiblement, il apprécie le geste, car il se met alors à pousser de petits gémissements étouffés par mon sexe bandé qui lui emplit l’intégralité de la bouche.

Je suis rapidement emporté par le plaisir que me procure les va-et-vient de Timothée. De ce que je peux juger, ce dernier semble d’ailleurs parfaitement capable de rivaliser avec Luiz en matière d’aptitude à la fellation. La technique est impeccable, l’exécution soignée, et la passion qui l’anime rend la caresse de sa bouche sur ma queue, accompagnée de celle de ses doigts sur mes couilles, d’autant plus irrésistible. Par trois fois, je suis tout proche de l’extase. Et dois prendre sur moi pour ne pas jouir tout mon dû dans la tiédeur de sa bouche. Timothée doit finir par comprendre que je frôle l’orgasme en permanence, car il cesse son œuvre net, juste au moment où je suis sur le point de craquer. Parvenant à réfréner la vague de plaisir qui monte en moi, et se fracasse sur mon bas-ventre. On a encore eu de la chance...

Alors que je reprends mon souffle et mes esprits, adossé contre le tronc d’un arbre centenaire, le jeune français ne chôme pas pour autant. Il sort de sa poche un préservatif et un sachet de lubrifiant, qu’il ouvre en s’aidant de ses dents. « Mauvaise idée... », pensé-je. Mais après tout, je suis toujours sous PrEP, après toutes ces années, nous ne courrons pas de risque particulier. Je ne proteste donc pas lorsque Timothée enfile le préservatif sur ma queue trempée de sa salive, avant d’y badigeonner le peu de lubrifiant que contient le sachet. Ni quand il défait sa ceinture et laisse son pantalon tomber à ses chevilles, puis son caleçon, révélant un derrière magnifique, imberbe, rebondi et musclé, que je ne peux m’empêcher d’empoigner, de pincer, de caresser, émerveillé par la fermeté des fesses du beau français. Je mouille un doigt d’un peu de salive, et pars en quête de son trou, que je n’ai aucun ma à trouver. Brûlant. Crépitant de désir, sous l’effet de ma caresse. Je le pénètre légèrement, du bout du doigt, et, constatant qu’il est déjà relativement détendu, je décide de passer à la suite du programme.

Du plat de la plain, j’invite le jeune homme à se cambrer pour me faciliter l’accès à son derrière. Puis, confortement appuyé contre le tronc d’arbre que je n’ai pas quitté, depuis tout à l’heure, j’insère le bout de ma queue lubrifiée dans le trou de Timothée, avec précaution. Voyant qu’il n’impose aucune résistance au passage de mon gland, je poursuis mon chemin, lentement mais sûrement, d’une seule traite, jusqu’à ce que je me retrouve entièrement en lui. Et, hormis le rythme de sa respiration, un peu saccadé, il n’y a aucune indiciation que le jeune homme n’éprouve la moindre sensation de douleur. Son derrière se révèle donc être exceptionnellement accueillant, en plus d’être incroyablement beau. Passé le choc de cette pénétration presque trop facile à mon goût, je commence alors à imprimer de courtes saillies sur le postérieur de Timothée, qui pousse de petits cris étouffés à chaque fois que mon gland frappe contre son bas-ventre. Ce qui ne manque pas de m’exciter un peu plus encore. J’accélère la cadence, rien que pour entendre le jeune homme gémir sous les assauts de ma queue. Et, je dois bien l’admettre, aussi parce que la sensation procurée par son derrière est particulièrement agréable.

En dépit du préservatif, je ressens la chaleur de ses entrailles qui emprisonnent mon membre dur comme l’acier, duquel s’échappent de puissantes vagues de plaisir, chacune plus violente que la précédente à mesure que les à-coups s’enchaînent. Ma main fermement agrippée dans la tignasse bouclée du jeune homme, pour l’empêcher de baisser la tête vers le sol. Je dois faire un effort considérable pour pas ne pas exulter à voix-haute, enivré par notre étreinte interdite, dans la pénombre des jardins de l’Elysée. D’ailleurs, après quelques saillies supplémentaires, un peu plus amples que les autres, je ne peux plus me retenir, et laisse la jouissance l’emporter. Je me vide dans le préservatif, le souffle court et les jambes flageolantes, sans vraiment prêter attention au gémissement de douleur qui s’échappe d’entre les lèvres de Timothée. J’y suis peut-être allé un peu fort, sur la fin...

Alors que l’orgasme retombe lentement, je me sens coupable d’avoir été trop égoïste lors de notre étreinte. Je dois me rattraper auprès du pauvre jeune homme au derrière endolori. Je me retire, laissant son trou entrouvert, et viens lui quémander un baiser. Il se retourne vers moi, et je retrouve son beau visage, puis ses lèvres ivres de désir. Ma main descend lentement le long de son corps, à tâtons, en quête de sa queue. Je la trouve enfin. Large, longue et gonflée à bloc. Appétissante à souhait. « Timothée, le bien monté », me dis-je à moi-même, avec un léger sourire. « TBM ».

C’est alors que tout me revient, en un éclair foudroyant. Son doux visage... Son joli sourire... Je sais où je les ai déjà vus ! Le profil OneFeed qui m’avait ajouté lors de la campagne électorale. Un bel homme travaillant pour le gouvernement français, du nom de Tim Berthaud-Muñoz, « TBM, il fallait oser », avais-je alors pensé. C’est lui. Timothée. Sa présence à mes côtés lors du repas n’était pas un hasard. Il avait été placé là avec une mission précise, qui, d’après ce que je peux en juger, devait se terminer à moitié nu dans les jardins de l’Elysée...

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