N°4

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L’épice métallique du clou de girofle, son éclat d’huile brille sur ma lame. La sueur et la douleur de mes mains. Mes pas que les tatamis étouffent et les carillons au vent. Cette respiration que j’essaye de contrôler mais ne contrôle rien. Ne rien contrôler pour oublier le geste, la tension des muscles, ressentir son flux, s’élever puis s’abandonner, tout abandonner, à la gravité.

Le ciel et la pointe du sabre vers le ciel, un bleu d’indigo. Du coton humide qui sèche sur les étendoirs, la porte de la baie vitrée est grande ouverte sur la nuit, rien que la toile pourfendue de grillons et de moustiques, les ailes poudrées des papillons sous les halos des réverbères. L’ombre et le mouvement d’une ombre. Mon cri et le sentiment du fer, sa trajectoire comme le long du revers d’une veste, en travers la natte enroulée autour d’un bambou – la chair autour d’un os – , un souffle qui s’abat en diagonal vers la terre, mes appuis campés, mes poumons se vident.

Sur le portoir, le rouleau de natte de roseaux ploie, tombe puis se déroule. Sa course spirale, la vrille de ma coupe entre les tronçons, deux moignons qui se débobinent encore jusqu’à mes pieds ; la rondeur imparfaite de la Lune croissante et le cercle de ma lame pour la saluer. J’inspire lorsque la pointe se pose au ras du sol, fil au clair et les fibres gorgées et étalées, mes tripes nouées, mes vaines tentatives devant lesquelles je m’incline. Encore.

Le sang suinte dans mes paumes d’avoir serré trop fort la tsuka – la morsure de la scolopendre enlacée dans le tissage de la poignée. La lourdeur de mes bras et celle de l’acier, du regard de sensei qui dit : « Que cherches-tu à prouver avec cette force d’homme que tu n’as pas ? »

Comme j’ai honte d’être aussi faible. Comme mes bras tremblent. Et ma rage, ma rage dans le creux de ma poitrine enfle, son impact entre les côtes dans un silence d’insectes, le bruissement du balai de sensei, son dos gibbeux, ses piétinements, son hakama de spectre flottant, l’eau qui dégouline d’une bassine où trempent d’autres pailles tressées, d’autres échecs en devenir, qu’il plante face à moi.

Le ciel et la pointe du sabre vers le ciel – qui se pourfend. L’expir d’une éclipse de soleil, l’atmosphère évidée. Le blanc des keikogi et le blanc de la cendre. La chaleur de plomb. L’empreinte des pieds sur les tatamis et celles des ombres imprimées sur les murs.

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