Injection/_

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Je regarde Kamemusha en projection plane. C’était déjà vieux quand j’étais jeune, alors aujourd’hui… Je déteste tous ces films grainés, les froissements du coton et les musiques interminablement mélodramatiques avant les assauts, les longs silences pétri de souffles capturés par les micros lors des négociations, ces costumes au col rigidifié de traditions. La vision technicolor d’un fantasme historique honorable, ce carcan du devoir mortifère. Pourtant je le regarde encore une fois jusqu’au bout alors que j’en connais la fin par cœur – ce corps criblé de balles qui s’appuie sur une lance, trébuche puis plonge dans cette eau s’empourprant. Il regarde la caméra, me regarde au travers avec son visage de craie, sa veste rougie, ses doigts qui tremblent. La bannière du Furinkazan sous l’eau vers laquelle il se précipite au rythme lancinant des tambours, la dernière éclaboussure, son cadavre face contre l’eau que le courant emporte, le long de la rive, blanc de galet, écume de sang, eau de nuit, l’ondulation de la bannière et les flots des caractères blancs du générique de fin.

Le temps a ruisselé sur mes fenêtres et maintenant j’attends. J’attends le retour de la chatte qui ne reviendra pas, ma fille, sa fille à elle et ma mort. Quand elles arrivent, l’une après l’autre, nous parlons du temps qui passe et du temps perdu, surtout du temps perdu à aimer des hommes qui n’aiment pas les femmes et nous mangeons de la pastèque parce qu’il fait encore trop lourd malgré la pluie. Quand elles repartent, je rallume la pro-plate et j’attends la fin d’orage dans mes os irradiés et mes intestins se liquéfiant. Il n’y a rien plus rien à faire. J’attends et je regarde encore tous ses films vintages que je déteste, ces films où la guerre est déjà finie et qui me rappellent à quel point l’histoire s’est écrit sans moi.

Injection/_l’accord nippo-russe sur l’avenir des territoires du Nord (Kourile pour la Russie), dont quatre îles restaient disputées depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, est signé !_le coup de force russe en Unité Européen a convaincu les cercles dirigeants japonais après l’attaque de Taïwan_l'archipel ne saurait rester à l'écart d'une crise dans le détroit_/Sauvegarde.

Dans une autre vie, j’étais médecin, vous savez. Oui, bien sûr que vous savez. C’est pour ça que vous êtes là. J’ai vu les 713 peints sur les murs, dehors. Et ça vous fait rire !

Si je veux ?

Ne vous moquez pas de moi. Vous n’êtes pas venu me demander mon avis. Vous n’en avez pas besoin. Mais allez-y, prenez tout ce qu’il y a à prendre.

Je ne veux rien laisser derrière moi. Et surtout pas des regrets.

Injection/_objectifs préalables_ défenses aériennes_cartes, images satellite, localisation_ types de munitions à privilégier_points d’impact potentiels_croisements de données_suggestions automatiques par signature strike_agrégats de patterns of life_ correspondances/associations_/Sauvegarde.

Le fleuve trouble et spumeux glisse sous les vestiges de ponts, charriant des bouts de monde ; des carcasses de chats, des planches noircies, câbles, des bouteilles de plastiques et des pneus fondus.

Injection/_les Yamaguchi-gumi, les Sumiyoshi-kai et les Inagawa-kai ont envoyé plus de 150 camions remplis de couches jetables, de nouilles instantanées, de piles, lampes torches, boissons, et autres essentiels pour la vie quotidienne_/Sauvegarde.

Le sac de nœuds dans mon ventre et celui que je serre contre moi. Les autorités répètent de boire de l’eau en bouteille, avec son goût de plastique et de chlore, mais qu’il n’y a pas de foyer de choléra. Cette peur irrationnelle de la diarrhée depuis qu’une fille s’est fait dessus en classe me tord le bide alors je préfère les jus. Mais Maman ne doit pas s’inquiéter, je fais attention au sucre. Même si parfois j’hésite à m’abreuver directement au robinet avec l’idiote espérance de tomber malade pour ne plus aller à l’école. Tant pis. On ne manque pas de médicaments au centre et peut-être qu’après quelques jours j’aurais un peu maigri. J’aimerais bien. Je fais des efforts, tu sais. Comme je t’ai promis.

Injection/_pape a fermement condamné l’emploi d’armes biologiques par l’armée chinoise, ces derniers jours en Manchourie, tenue par des résistants impérialistes_/Sauvegarde.

Elles me suivent.

J’accélère le pas exprès sur le chemin du retour pour muscler mes jambes, mais pas trop, je ne dois pas abimer mes chaussures. Même si ma chemise a perdu un bouton, je fais attention à mes vêtements. Je regarderai un tuto pour la recoudre. Ça ne peut pas être bien difficile, et puis, maintenant c’est la période des manches courtes. Je déteste l’été. Devoir montrer mes bras, mes cuisses. Je déteste.

Injection/_aucun pillage n’est à déplorer. Les gens font la queue au supermarché. La résilience du peuple japonais est, comme toujours, exemplaire_/Sauvegarde.

Il fait trop chaud dans les préfabriqués et nous n’avons pas suffisamment de chaises. Aujourd’hui, je me suis assise par terre, car même si je suis arrivée parmi les premières, on m’avait déjà pris ma place. Mais bon, ce n’est pas très grave. Il fait plus frais, en bas et au moins on ne peut pas voir mes cuisses couvertes de petits boutons et ruisselantes de sueur. Je préfère comme ça, je peux mieux me concentrer sur les cours. Je te l’ai promis, je ne me battrais plus à l’école, ni même en dehors. Je dois juste attendre que les choses se tassent. La vie est difficile pour tout le monde. Ça rend les gens méchants et médiocres, comme tu m’as déjà dit.

Injection/_la Commission Internationale Paritaire d’Ethique des Connaissances Scientifiques et Technologiques (CIPECST) a rendu un avis négatif concernant le déploiement des ▌▐█▐▐ _ les Etats Unis d’Amérique du Nord et le Parlement de l’Unité Européenne font appel de cette décision_légitime défense_/Sauvegarde.

Je sais tout ça, mais je te déteste toi et mes promesses tandis que je cours pour qu’elles ne me rattrapent pas. Et tant pis si je raye le cuir de mes mocassins.

Injection/_comme me l’a expliqué un chef des Sumiyoshi-kai, raconte le journaliste cananéen Jack Abel, en temps de crise, il n’y a pas de yakuzas ou de civils, il n’y a que des hommes et des femmes, et nous nous devons d’être solidaires_/Sauvegarde.

La pierre sous mon pied et la chute.

Injection/_fédération de Russie s’engage publiquement à soutenir l’Empire Nippon sur le front indopacifique_/Sauvegarde.

Puis, sur les bas-côtés, elles surgissent de la croute de cendres pour s’ouvrir comme des plaies, les lycoris. Le vent agite leurs filaments rouges, leurs tiges fines, presque fragiles, leurs feuilles brûlées par l’été et les souvenirs atomisés. Et de leurs doigts rouges tendus vers l’azur, graciles mais résilientes, elles ondulent une hola entre les déchets.

Tu disais que c’était le fruit d’une malédiction ; que deux esprits furent condamnés à ne jamais se revoir pour avoir failli à la mission confiée par la déesse Amaterasu ; qu’ainsi, devenus fleurs et feuilles, iels se rencontrent jamais plus au cours des saisons.

Inlassablement pourtant, les lycoris éclosent pleine de fièvre cette année comme chacune des précédentes – dans ces jours à parts égales avec la nuit.

Injection/_le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation_/Suppression.

J’ai fait de mon mieux, Maman. Promis. Mais je refuse de me laisser faire. Je refuse de leur donner mon sac et mes chaussures. De prendre des coups sans les rendre.

Мочить террористов в сортире!

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Qui

/être/

on ?

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疾きこと風如く

徐かなること林 如し

侵 掠すること火の如く

動かざること 山の如し

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