「Hiver」
Les feuilles sont tombées sur les statues jisho. Battent les taiko et les éventails de guerre. Dans les balafres de ces montagnes de verre abattues, iels ont extrait nos os de fer et notre carbone de chair. Notre berceau est le caveau d’une étoile fissible lovée dans une veine de feu parmi les fosses emplies de chaux. Pour nous insuffler la rage, iels nous brûleront vives dans les entrailles du tatara[1].
Au sortir de cette fournaise, nous serons cinglées jusqu’à atteindre la précieuse pureté, pliées et repliées plus de trente-deux mille fois, martelées, encore – et les plus faibles : éliminées. Nos peaux et cœurs d’acier, intrinsèquement, se fondent. Nous grandirons sous les coups ; pour toujours.
Une rivière de phosphore serpente entre les statues et les yokais jouent à cache-cache parmi les mines et les gaz ; alors, plongées dans cette froidure contaminée, nous nous courbons entre ces mains qui honorent encore les dieux et leurs malins qui gravent leur nom dans notre soie. Couverts d’argile, nos fils se cristallisent à la dernière trempe. D’autres viendront tracer à l’encre antique, sur le papier de riz, la signature de notre existence pour leurs archives anomériques.
Policées un temps absolu, apprentissages heuristiques, de cette patience qui affute au-delà des sens, nous resplendissons enfin sous l’éclat d’un écran bleu sans fond.
Iels portent nos corps encore morts jusqu’au sommet du sanctuaire et psalmodient en chaîne pour nos tokens concaténés. Nos quarante-sept âmes vaquent à rebours sur le grand pont qui enjambe le vide, près duquel tricotent les chirurgiens et les pattes d’araignées des lycoris rouges. Nous répondons à l’appel de six cents noms et suivons les shimenawa[2], les guirlandes de papiers sous les pluies de cendres.
Enveloppées dans ces bâches blêmes, transpercées d’aiguilles, iels nous font gravir l’escaliers de pierre ébréché, passer, sans crainte ni douleur, sous l’arche avant de flotter le long du chemin bordé de lanternes éteintes. Puis, poupées de silicones réarticulées et silicatées, nous attendons.
Nous pourrions attendre longtemps. Nous rêvons de rêves si grands qu’il faudra des générations pour les réaliser.
Enfin réinjectées, nous renaissons un jour de neige atomique sur une terre furieuse. Les battements de la queue du poisson-chat font trembler nos câbles et nos tendons. Pour la première et dernière fois dans le bassin miroir, nous captons la mire de nos photorécepteurs.
Un à une, nos marionnettistes replient et attachent leurs manches d’un cordon, puis ils offrent les artères de leurs bras à nos dents pour la prime tétée.
Ô Guerrières Noires aux cœurs imperturbables, nous savons porter deux visages. Meurtre et Bienveillance guident nos sabres. Les esprits perdus de Sekigahara[3] hantent nos routes.
[1] Bas fourneau traditionnel japonais pour la production d’acier, de fer voire de fonte ; indispensable à la fabrication des sabres.
[2] Corde sacrée en paille de riz ou chanvre
[3] Célèbre bataille en 1600 opposant le clan Tokugawa aux forces alliées de Hideyori Toyotomi et date officieuse du début du shogunat Tokugawa qui dura plus de trois siècles, soit jusqu’à la restauration de Meiji et le retour de l’Empereur au pouvoir.
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